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Fin de partie - Page 10

  • Barn Owl, V - oeuvre au noir

    Barn owl, V, oeuvre au noir

     

    Quatre mois. Quatre mois que j'aurais dû poster cette chronique sur le merveilleux webzine swqw. Trop court pour une gestation. Trop long pour un accouchement. Comme le prosateur hermétique, replié chaque jour davantage dans sa tanière aux volets fermés, secret zélateur de saint Procrast, comme cet automne diluvien qui s'étire au-delà de toute décence jusqu'en Angoumois, le nouvel album du duo de San Francisco formé d'Evan Caminiti et Jon Porras semble n'apprécier que les états intermédiaires et n'évoluer que dans les interstices du réel, là où s'effilochent nos rêves et où les premières sensations de l'éveil ont encore la consistance des songes. V est le disque de l'entre-deux, la musique géostationnaire d'une aube qui n'en finit pas et d'un crépuscule sans fin. Jour drapé d'éclipse. Nuit nimbée d'aurore. Tout commence comme si rien n'était encore achevé, avec les nappes synthétiques dark ambient de Void Redux. Comme le désir, le vide n'est pas un manque mais un état. Il est constellé de matière-fantôme – particules en veilleuse, présentes mais indétectables, latentes ou virtuelles, qui n'accèdent à l'existence – à l'incarnation dixit Etienne Klein – qu'à la seule condition de recevoir l'énergie nécessaire. Ce à quoi s'échine notre Chouette effraie, qui ne niche pas dans les clochers pour rien... D'abord, nous ne percevons que ressac de drones et rythmique d'outre-tombe. Mais déjà résonnent sons concrets, guitares et synthés – musique du champ quantique et chant du Plérôme. D'où vient dès lors, avec The Long Shadow, l'ombre qui lentement nous recouvre ? Crépitement saturé, guitares angéliques, sons synthétiques ambient et drones nous tiennent à distance égale de la ténèbre et de la lumière. Commence alors un combat contre la nuit aux accents timheckeriens. L'entre-jour sera long... Du synthé spectral de Blood Echo qui enfle jusqu’à emplir tout notre champ sonore comme le flux de nos artères après une nuit d'insomnie, aux ambiances earthiennes de Pacific Isolation, dont la guitare claire de leurs débuts s'augmente bientôt de drones et d’accords électriques godspeediens, Barn Owl nous parle de l'équilibre cosmique et de sa connaissance des choses cachée – son desert rock drone doom psyché dub folk relève à n'en pas douter de la science alchimique. The Opulent Decline, le long (17 :32) et dernier morceau du disque, réalisé à partir d’une improvisation d’une demi-heure, achève en apothéose l'oeuvre au noir. Les guitares rappellent Richard Pinhas, l’harmonie entre nappes synthétiques, guitares et drones est superbe et, tandis que décline l'éclat conjugué de la lune et du soleil soniques, nos Ombres viennent à notre rencontre.

     

    Barn Owl, V (label Thrill Jockey, avril 2013)

    Lire aussi la chronique de Lexo7 (qu'il me pardonne) sur swqw.

  • Top 10 Films 2012

     

    1. Le Cheval de Turin de Béla Tarr & Ágnes Hranitzky

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    Symphonie minimaliste et répétitive absolument unique. Six jours d'apocalypse lente. Six jours pour que le souffle et la lumière désertent la création. Une plaine décharnée balayée par le vent, une ferme en ruine, un arbre mort. La nuit s’abat lentement sur le vieux paysan taiseux (Jànos Derzsi) et sa fille (Erika Bók), trahis par l’assèchement de leur cheval, de leur puits et du monde. Terrassant.

     

     

    2. Faust d'Alexandre Sokourov

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    L'idée géniale de Sokourov, qui signe son meilleur film depuis Mère et Fils, est d'avoir trouvé une formidable expression formelle du mythe. Si le docteur Faust lui-même brille surtout par sa fadeur, c'est en vérité parce que nous sommes les véritables victimes du démon. C'est nous (pulsion scopique) qui désirons la virginale et sensuelle Marguerite, nous qui nous attardons sur son éblouissant visage, nous qui vrillons son bas-ventre du regard. C'est nous, encore, que corrompent Méphistophélès (aussi bien Sokourov) et son corps difforme (chairs visqueuses, parties génitales à l'arrière / image anamorphosée), nous qui choisissons délibérément la voie de la volupté. Ce sont bien eux (sans oublier le talent du chef opérateur Bruno Delbonnel) irrésistible objet du désir – qui, comme le notait très justement Jacky Goldberg dans sa belle critique, finit par irradier la toile comme une icône – et monstrueuse représentation de la volonté de puissance, qui permettent au film, commencé dans la glauque lumière d'un village à l'atmosphère de mort, d'atteindre progressivement au sublime, jusqu'à l'hallucinant dénouement volcanique.

     

     

    3. Amour de Michael Haneke

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    L’appartement d’Amour n’est pas qu’un décor (fort réaliste, grâce aux talents du cinéaste et de son chef opérateur Darius Khondji), il est la représentation spatiale, topographique et dynamique, du couple incarné par Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva et de son rapport au monde extérieur : fenêtres, portes, fermées, ouvertes, seuils, franchissements. C'est que, pour ces vieux amants qui n'ont d'autre désir que de se frayer un passage vers un autre monde où ils seront à nouveau réunis, heureux, l’extérieur est une menace : qu’on sonne en rêve à la porte et c’est l’asphyxie ; qu’une fenêtre s’ouvre et ici Anne s’écroule, là s’introduit un pigeon – évident psychopompe, renvoyé une première fois, puis serré sur le giron du vieil homme qui n’aspire qu’à une chose : libérer l’âme de sa bien-aimée et la retrouver telle qu’en elle-même, assise derrière son piano par exemple : ce même piano sur lequel Georges, pathétique, se met à jouer le bouleversant Ich ruf zu Dir, Herr Jesu Christ (BWV 639) de Jean-Sébastien Bach, rien moins que le thème d’ouverture de Solaris de Tarkovski – un film auquel Amour renvoie secrètement : ce n’est qu’à la disparition des avatars de Khari – malades – que Kris peut enfin rejoindre son îlot d’espace-temps ; de même, Georges ne quittera l’appartement qu’après le dernier souffle de sa femme.

     

     

    4. Cosmopolis de David Cronenberg

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    Le monde extérieur est une toile muette (cf. les génériques de début – pollockien et dans la droite lignée de celui de A Dangerous Method – et de fin – Rothko) où s'impriment non les mots mais leurs extensions fantasmatiques. Tableau expressionniste. Il suffit que le milliardaire Packer (Robert Pattinson, rigoureusement parfait) et son jeune analyste financier Michael Chin évoquent un poème dans lequel le rat devient l'unité monétaire dominante, pour que les rats se mettent à envahir l'extérieur – vu à travers l'écran/vitre de la limousine-telepod insonorisée. Eric Packer glisse dans la ville-monde en plan rapproché comme dans un rêve absurde et violent, pontué par la fascinante partition d'Howard Shore, qui n'est pas sans rappeller celle de Crash. Et l'intérieur feutré de la stretch-limo, c'est la métaphore de l'esprit, comme siège (en cuir) d'une parole virale et délirante. L'esprit du temps, le Zeitgeist, le fantôme du capitalisme.

     

     

    5. Drive de Nicholas Winding Refn

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    Bluette d'une mièvrerie éhontée, film de vengeance violent et hyper-stylisé, Drive avait tout pour me déplaire. Et pourtant, mon moi-midinette et mon moi-Conan se sont unis secrètement pour m'injecter une dose quasi mortelle d'endorphine devant cette post-série B idéale dont a toujours rêvé Michael Mann sans jamais oser la réaliser. Splendide composition des plans, avec une recherche quasi systématique des lignes de fuite (copyright Hélène Bora Coquecigruë). D'accord, Drive est sorti le 5 octobre 2011. Mais c'est moi qui fixe les règle. Okay ?

     

     

    6. Moonrise Kingdom de Wes Anderson

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    A l'image de Fantastic Mr. Fox, Moonrise Kingdom est un authentique et euphorisant cartoon live, d'une inventitivé visuelle de tous les instants. Il y a même, mais oui, quelque chose de bouleversant dans cette course effrénée du couple d'enfants-amants vers un impossible et autistique jardin d'Eden. Un rythme fou, et une grande maîtrise.

     

     

    7. The Day He Arrives (Matins calmes à Séoul) de Hong Sang-soo

    The Day He Arrives.jpegEmouvante énième variation du coréen Hong Sang-soo autour de sa figure fétiche de cinéaste paumé, lâche et alcoolique. Comme d'habitude – mais dans le magnifique noir et blanc qui conférait déjà à La Vierge mise à nu par ses prétendants une pointe irrationnelle de nostalgie Nouvelle Vague – les personnages se croisent et les événements (comme les films) se répètent, mais ici le décalage suscite le malaise, parce que les reprises des mêmes scènes – en particulier dans le bar « Roman » – interviennent dans une narration à priori linéaire. Dès lors Seungjun nous apparaît hagard, comme empêtré dans la trame sans fin de ses échecs, prisonnier de ses propres schémas mentaux. Rohmer + 3 bouteilles de soju = Resnais.

     

     

    8. Un monde sans femmes de Guillaume Brac

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    Comédie mélancolique sur les déboires sentimentaux d’un célibataire maladroit dans une station balnéaire de Picardie. Le réalisateur saisit au vol avec une rare délicatesse ces instants fugitifs du jeu de la séduction, quand un courant inattendu passe soudain entre deux êtres… Il y a du Rohmer (décidément) dans le cinéma de Guillaume Brac, du Rozier aussi. Touchant.



    9. Le Marin masqué de Sophie Letourneur

    Le marin masque.jpgSophie Letourneur m'avait déjà passablement impressionné avec La Vie au Ranch, chronique survoltée et discrètement désenchantée d’un groupe d’étudiantes fêtardes et immatures. Elle confirme avec un court-métrage rohmero-truffaldien franchement réussi. Noir et blanc désuet, dialogues post-synchronisés (façon Nouvelle Vague, encore) et voix off légère créent d’incessants décalages : façon efficace et sophistiquée de noyer la mélancolie sous les artifices acidulés. Ca ne dure que 38 minutes mais c’est un pur plaisir.

     

     

    10. Avengers de Joss Whedon

    avengers.jpg À mille lieues des boursouflures d'un Hobbit, Joss Whedon maîtrise son sujet presque à la pefection : scénario et découpage efficaces, effets spéciaux réussis, dynamisme et maîtrise des scènes d'action. Tout juste regretterons-nous le caractère trop impersonnel des bestioles venues d'Asgard, lors de la bataille finale. Mais ne boudons pas notre plaisir : voir Thor le bombeur de torse, Captain America le propre sur lui, Iron Man l'alcoolique et Hulk le pas content réunis pour contrer l'infâme et tragique Loki, c'est un plaisir purement régressif, certes, mais non moins intense. Les filles ne peuvent pas comprendre.

     

     

     

  • Top 20 Albums 2012 - les 10 meilleurs

    Et voici le haut du panier, le top du top, les dix meilleurs, la crème de la crème, l'élite, les inépuisables et les disques de chevet. Avec, toujours, un extrait, et des liens vers des chroniques.

     

    1. Swans - The Seer

    La bande de Michael Gira est de retour et signe son meilleur album depuis Soundtracks for the Blind. Une bachanale inespérée et des plus grandioses et, déjà, un immortel.

     

    2. Caulbearer - Haunts

    Chef d'oeuvre de drone abrasif et anxiogène surgi du Texas et d'Albuquerque, qui nous fait visiter ses cathédrales sonores naufragées. Chronique par bibi sur l'indispensable SWQW.

     

    3. Oyaarss - Smaida Greizi Nakamiba

    Oyaarss, c'est ma claque de dernière minute. Une tuerie breakbeat qui nous arrive tout droit de Lettonie. C'est sur Ad Noiseam et ça déchire grave. 

     

    4. r.roo - Mgnovenie

    Andriy Symonovych est Ukrainien, et son Mgnovenie, sur le label Tympanik, est juste beau à faire chialer un Gobelin. Préparez vos mouchoirs.


     5. Godspeed You! Black Emperor - Allelujah! Don't Bend! Ascend!

    Les prodiges canadiens enfin de retour avec un classique instantané, trop court mais d'une exceptionnelle densité. On écoute et on ferme sa goule.


    6. Talvihorros - And It Was So

    Apocalypse ambient en sept tableaux par le prophète d'Edimbourg, Ben Chatwin. Si à force de l'écouter vous finissez par voir un tunnel de lumière blanche, calmez-vous : ce n'est, peut-être, que l'antichambre de l'enfer.


    7. Tindersticks - The Someting Rain

    A la maison, c'est toujours un plaisir de retrouver les Tindersticks et leur douce et swinguante mélancolie. Mais ça faisait longtemps que Stuart et sa troupe ne nous avaient pas enchantés comme ça. L'album de chambre à coucher de l'année, à n'en pas douter.


    8. Strië - Ohtul

    Ide Reinhart est norvégienne, mais son onirisme musical, qui oscille sans cesse entre rêves féériques et angoisses primitives, m'évoque plutôt les films de Béla Tarr, d'Alexandre Sokourov ou de Guy Maddin.


    9. Nebulo - Cardiac

    Ca commence comme du Radiohead façon Where I End And You Begin (The Sky Is Falling In), avec Octo ici en écoute. Mais c'est français, c'est de l'IDM, du glitch ou tout ce que vous voudrez, mais c'est surtout la bande-son idéale de vos introspections.


    10. JK Flesh - Posthuman

    Deux excellents disques de Justin Broadrick sont sortis en 2012 : le troisième (et de loin le meilleur) opus de The Blood of Heroes, et surtout ce Posthuman où l'on retrouve la rage sereine d'un Godflesh solo. Chronique par bibi sur SWQW.

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  • Top 20 Albums 2012 - de la 11e à la 20e place

    L'heure n'est plus aux tergiversations mais bien à la prise de décisions : voici donc, dans un ordre quasi aléatoire, dix des vingt meilleurs disques de l'année 2012. La suite demain.


    11. Raime - Quater Turns Over A Living Line

     

    12. - The Caretaker - Patience (After Sebald)

     

    13. Emanuele de Raymondi - Buyukberber Variations

     

    14. Thomas Köner - Novaya Zemlya

     

    15. Tim Hecker & Daniel Lopatin - Instrumental Tourist

     

    16. Silent Servant - Negative Fascination

     

    17. Shifted - Crossed Paths

     

    18. Christoph Berg - Paraphrases

     

    19. Aes Dana - Pollen

     

    20. The Eye of Time - s/t

  • Amour de Michael Haneke

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    L’appartement d’Amour, le nouveau film de Michael Haneke, n’est pas qu’un décor (fort réaliste, grâce aux talents du cinéaste et de son chef opérateur Darius Khondji), il est la représentation spatiale, topographique et dynamique, du couple incarné par Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva et de son rapport au monde extérieur : fenêtres, portes, fermées, ouvertes, seuils, franchissements.

    Après le prologue (porte d’entrée défoncée au bélier par la police), qui nous révèle l’issue fatale pour désamorcer d’emblée tout suspense indécent, le film désormais parfaitement linéaire s’ouvre sur un face à face spéculaire avec les spectateurs du théâtre des Champs-Elysées, venus assister à un récital d’Alexandre Tharaud. Parmi eux, Georges et sa compagne, Anne. Nous n’y verrons rien d’autre que ces spectateurs – comme si le couple s’était déjà retiré d’un monde dont la futile réalité se serait déjà étiolée, prémisse du drame imminent. Le concert commence : il est temps pour nos octogénaires de quitter la scène du monde.

    Une fois dans l’appartement, nous ne le quitterons plus. Très vite, la santé d’Anne se détériore. Absences, hémiplégie, aphasie, dépendance – étapes d’un voyage vers la mort.  Et ce dernier voyage – initiatique –, les amants entendent le faire seuls. S’ils ne se calfeutrent pas comme les Bienheureux de Bergman, c’est que leur réclusion est moins pathologique que métaphysique : il s’agit, pour eux, dont la vie est manifestement passée, de se frayer un passage vers un autre monde où ils seront à nouveau réunis, heureux. Une infirmière infantilisante est renvoyée. Les concierges dévoués sont poussés vers la sortie. Georges ne répond plus au téléphone. « Vous avez votre vie, laissez-nous la nôtre ! » lâche-t-il à  leur fille Eva (Isabelle Huppert). Même elle n’est plus la bienvenue. Lorsque qu’elle se présente à l’improviste, Georges la laisse un temps à la porte et verrouille la chambre où Anne repose. Rien ne doit parasiter la cérémonie : le passage nécessite un absolu dévouement.

    Dès lors l’extérieur est une menace : qu’on sonne en rêve à la porte et c’est l’asphyxie ; qu’une fenêtre s’ouvre et ici Anne s’écroule, là s’introduit un pigeon – évident psychopompe, renvoyé une première fois, puis serré sur le giron du vieil homme qui n’aspire qu’à une chose : libérer l’âme de sa bien-aimée et la retrouver telle qu’en elle-même, assise derrière son piano par exemple : ce même piano sur lequel Georges, pathétique, se met à jouer le bouleversant Ich ruf zu Dir, Herr Jesu Christ (BWV 639) de Jean-Sébastien Bach, rien moins que le thème d’ouverture de Solaris de Tarkovski – un film auquel Amour renvoie secrètement : ce n’est qu’à la disparition des avatars de Khari – malades – que Kris peut enfin rejoindre son îlot d’espace-temps ; de même, Georges ne quittera l’appartement qu’après le dernier souffle de sa femme.

    L’on peut observer cliniquement la planète Solaris ou l’amour du vieux couple : leur essence nous demeure pareillement inconnue.