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Fin de partie - Page 11

  • Godspeed You! Black Emperor au Rocher de Palmer (1er novembre 2012)

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    © Sébastien Coulombel, 2012

     

    Godspeed You! Black Emperor et moi c’est une longue histoire. Lift your skinny fists like antennas to heaven, l’album aux mille extases offert par ma bien-aimée, synthétisait tout ce qui me faisait vibrer : ambiances pesantes, sombres, électriques, et lent crescendo de cordes, samples et percussions jusqu’à l’explosion (in the sky) avant la redescente. Noise, velléités symphoniques et explorations sonores, bande originale idéale de mes états mentaux, F#a#∞, Slow Riot for New Zerø Kanada (EP), puis Yanqui U.X.O. (à la production trop stevalbinesque à mon goût) m’ont accompagné pendant des années, Slow Riot et Lift your skinny fists surtout, mes immortels aux pochettes cartonnées, le haut du haut du panier de ma discothèque amplifiée avec le monstrueux Soundtracks for the Blind des Swans de Michael Gira. Le concert au Grand Mix à Tourcoing en 2003 fut un grand moment de folie douce, quintessence – à la limite du cliché – de leur art du post-rock (un genre né du croisement du rock progressif, du rock psychédélique et du post-punk / noise / no wave de Sonic Youth et des Swans), qui m’emmena au septième ciel jusqu’au malaise (mon amie C. subit pareille mésaventure lors d’un récent concert de Dominique A au Lieu Unique). Mes seuls regrets, alors, étaient : 1) d’avoir dû rester debout (Godspeed s’écoute allongé) et 2) de n’avoir pas encore découvert les bouchons en silicone (j’alternais alors écoute libre et usage des trop efficaces boules Quies). Mais Jésus m'annonça la bonne nouvelle : le 1er novembre, GY!BE se produirait dans la proche banlieue bordelaise.

    Le concert du Rocher de Palmer à Cenon semble avoir déçu pas mal de monde, à commencer par la joyeuse troupe qui m'accompagnait : finies, ou presque, les grandes envolées d'antan. Plus que jamais les Godspeed You! Black Emperor écoutent de l’ambient et autres bourdonnements machiniques et soignent leurs textures plutôt que leurs partitions. Moldex Rockets dans les conduits auditifs, j’étais paré.

    Fascinant spectacle que ces nappes soniques d'énergie contenue et leurs images d'un monde révolu – annoncé par un « hope » ironique quand montent les drones asphyxiants en ouverture : 

     

     

    Même les pièces les plus anciennes sont moins abrasives et jouissives qu'élégiaques et cérémoniales – je dois néanmoins confesser des hochements de tête quasi psychiatriques –, mais le malentendu persiste : aux oreilles d'aucuns GY!BE devrait encore et toujours expédier son public au nirvana par vagues successives alors qu'Efrim et sa bande n'ont qu'enfer et purgatoire à l’esprit, comme nous l'a rappelé le froid – mais non moins splendide – dernier album, Allelujah! Dont' bend! Ascend! 

     

     

    Après l’épique Mladic (longtemps connu sous le titre Albanian) vient l’heure du grand classique Moya, interprété à la perfection mais que je ne reconnais jamais (pendant la performance, j’étais convaincu, comme en 2003 déjà, d’écouter une pièce de Yanqui UXO).

     

     

    Et puis soudain, Godspeed se métamorphose en Earth et déroule un long doom à la sereine et martiale beauté qui finit par virer au drone avant d’agoniser en un post-rock à se pendre illico aux structures de la salle.

     

     

    La transe démoniaque aura duré une bonne demi-heure, à vue de nez. Peut-être plus. Nous voici vidés, prêts à recevoir comme une offrande l’autre classique de Slow Riot (que j’ai confondu cette fois avec un titre de Levez vos pognes étiques comme des antennes vers les nuées : probablement un dysfonctionnement cérébral). De quoi nous mettre un peu de baume au cœur avant de regagner la réalité – qui chez moi a pour nom : bar.

     

     

     

    Une bière plus loin, l’ami Sébastien C., photographe à capuche, s’est jeté sous les roues d’une twingo. Je suppose que le conducteur, livide, est mort d'arrêt cardiaque quelques ronds-points plus loin, mais l'ami s'en est sorti indemne. « Même pas peur » a-t-il lâché une heure plus tard, Rince Cochon à la main. Le miracle Godspeed a encore eu lieu.

     

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    © Sébastien Coulombel, 2012

     

  • Fragments. Ulnaire

    sébastien coulombel

    © Sébastien Coulombel, 2012

     

    Dormir dans l'Antichambre est pour Ana la seule échappatoire à l'extension du domaine du Mal. « Possédé », avait lâché la prêtresse. Est-ce le prix à payer pour avoir doué la Sophia d'une nouvelle incarnation ? Avons-nous failli à notre tâche ?

    « Votre fils est sous l'emprise d'un démon ».

    Verdict sans appel, mais non sans espoir : trois fois par semaines, nous laissons le Singe blond s'éloigner entre les mains et les prières des exorcistes de Notre-Dame du Mystère. Cris et chuchotements entre les murs du Prieuré. Je t'aime, petit singe.



    Au Blockhaus le temps se désarticulait doucement. Nous n'étions plus Onze mais Vingt-Sept désormais à élaborer les plans de l'Arche et Lady Czartoryska s'éteignait dans son mutisme hautain. Les Logs, stimulés par les échanges d'information, fluaient béats sans égard pour l'imminent départ d'Aouda vers le Nord. Et tandis qu'en équilibre entre K. et Frère Zéro mes doigts martelaient des rapports en mode automatique, je dérivais lentement sur mes paysages intérieurs.



    « As-tu rêvé depuis notre dernière conversation ?

    – Oui.

    – En as-tu retranscrits ?

    – Deux seulement. L'un en mai, l'autre cette nuit.

    – Le printemps peut attendre. Décris-moi ton rêve encore chaud.

    – L'image est celle d'un film monochrome, mais le son me parvient directement : je suis simultanément dans les réalités diégétique et extradiégétique.

    – Oniriques et consensuelles ?

    – Je ne sais pas. Dans le film et en-dehors. Quoi qu'il en soit, je suis spectateur et metteur en scène. Ce qui, soit dit en passant, est exactement la situation du rêveur.

    – Très juste. Et que montre ce film ?

    – Il y a un couple. L'homme, je ne le vois pas. C'était peut-être moi, peut-être pas. La femme, d'abord assise à droite de l'image, se lève et marche lentement vers la gauche, tout en s'approchant du premier plan.

    Était-ce Ana ?

    – Je ne la connais pas mais elle m'est familière. Probablement un mélange d'Ana et de réminiscences d'un mauvais film de maison hantée visionné la veille.

    – Voilà qui explique l'apparence filmique de ton rêve. Elle marche, donc, et ensuite ?

    – Elle marche au ralenti, oui, et elle se frotte machinalement le pli du coude, sans cesse.

    – Elle est nue ?

    – Non, elle porte une robe blanche. Peut-être une chemise de nuit. Quand elle passe devant mes yeux-caméra en plan rapproché, je vois que ses avant-bras sont concaves. Travelling et zoom : bien qu'encore couverts de peau, ils sont creusés presque jusqu'à l'os, du coude au poignet. Cut. Gros plan sur le pli du coude. La femme frottefrottefrotte. L'os apparaît. Cut. Très gros plan, en couleur cette fois : la veine ulnaire à vif. Cut. Plan identique, mais en noir et blanc. La veine cède et je me réveille juste à temps pour éviter.

    Éviter une douche de sang ?

    – Je suppose.

    – Comment interprètes-tu ton rêve ?

    – Je ne sais pas. Un pli, des frottements, une membrane déchirée, un saignement : je pense à l'hymen, à la virginité perdue. Un passage à l'âge adulte duquel je suis exclu. Je ne participe pas. Je suis hors champ. Impuissant.

    – Cela ne t'évoque rien ?

    – Je ne sais pas. Oui. Je crois. Oui.

    – Le Singe blond, n'est-ce pas ?

    – Oui. Peur de ne lui être d'aucune aide. Désir de le voir grandir.

    – N'aie pas peur. Reviens dans une semaine. »

     

  • Thomas Pynchon, L'Arc-en-ciel de la gravité

     

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    Contrairement à la croyance populaire, L'Arc-en-ciel de la gravité (Gravity's Rainbow, 1973) de Thomas Pynchon n'est pas un imbittable collage postmoderne, mais la quête effrénée par ses personnages errants des signes d'on ne sait trop quoi, probablement de la structure absolue, de l'unité de la Création, d'un enchantement définitivement perdus semble-t-il dans le chaos de la deuxième guerre mondiale et de la Zone. Comme Enzian du Schwarzkommando apprend à lire le Vrai Texte des ruines industrielles pour y chercher la Fusée-Torah (qu'il finira d'ailleurs par assembler), Slothrop bande aux futurs points d'impact des V2 : c'est l'Arbre de Vie qu'il désire... Et qu'il finit peut-être par trouver, en se dispersant, immortel (comme Byron l'ampoule révolutionnaire increvable), aux quatre coins de la Zone. La paix de Dieu, incarnée en martyr masochiste de L'Homme Blanc (aka Blicero), termine pulvérisée dans la Fusée 00000, sans que nous sachions si c'est pour disparaître définitivement, ou pour se diffuser sous forme de lumière dans le monde en cercles concentriques à partir de la salle de cinéma finale – à l'image de Tyrone 'Rocketman' Slothrop...

     

  • Cosmopolis de David Cronenberg

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    Nulle drogue – et certainement pas le novo de la rave party onirique où se perd le bodyguard Danko pour festoyer nus dans le vidéodrome contemporain de Cosmopolis. La puissance psychotique d’un langage purement narcissique (substitut du dollar) suffit. Le monde extérieur est une toile muette (cf. les génériques de début – pollockien, et dans la droite lignée de celui de A Dangerous Method – et de fin – Rothko) où s'impriment non les mots mais leurs extensions fantasmatiques. Tableau expressionniste. Il suffit que le milliardaire Packer (Robert Pattinson, rigoureusement parfait) et son jeune analyste financier Michael Chin évoquent un poème dans lequel le rat devient l'unité monétaire dominante, et les rats se mettent à envahir l'extérieur – vu à travers l'écran/vitre de la limousine-telepod insonorisée. Eric Packer glisse dans la ville-monde en plan rapproché comme dans un rêve absurde et violent, pontué par la fascinante partition d'Howard Shore, qui n'est pas sans rappeller celle de Crash. Et l'intérieur feutré de la stretch-limo, c'est la métaphore de l'esprit, comme siège (en cuir) d'une parole virale et délirante. L'esprit du temps, le Zeitgeist, le fantôme du capitalisme.

     

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    L’on se connecte à la structure absolue via l’examen de la prostate par toucher rectal, comme l’on se connectait à eXistenZ par l’introduction d’un biocâble dans un orifice artificiel en bas du dos… La voix d’un champignon entre les orteils peut justifier l'exécution d'un homme... Prononcer un nom peut tuer même le plus aguerri des gardes du corps (et ne pas prononcer un nom c'est entériner l'effacement du sujet)... Nier l'auto-immolation d'un manifestant, c'est le faire disparaître... Le cours du yuan ne peut plus monter mais il monte encore... Et demander où passent les limousines la nuit, vous envoie inéluctablement au théâtre… Dire la chose, c'est la faire accéder à l'existence – d’où ces champs et contrechamps systématiquement calés sur celui qui parle. Richard Sheets (Paul Giamatti) affirme que ses organes sexuels se rétractent à l'intérieur de son corps : « Qu'ils le fassent ou non, je sais qu'ils le font ». Déclarer à sa directrice financière « odorante et moite » son désir de la foutre suffit à nimber Packer d’un parfum de sexe aux yeux de son épouse (délicieuse Sarah Gadon, pour la seconde fois chez Cronenberg). Et quand le chauffeur Ibrahim et le coiffeur Anthony avertissent Packer du danger extrême qu’il encourt dans Hell’s Kitchen sans arme ni protection rapprochée, se déclenche presque mécaniquement la fusillade qui ouvre le final.

     

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    Quitter l'univers « prousté » de la limo (bulle économique, cercueil), c'était, en toute logique, risquer la contamination, non d'une réalité consensuelle, à laquelle Packer, mort au monde » pour le réalisateur, semble aussi imperméable que son persécuteur, mais de l'univers d'un autre, en l'occurrence Benno Levin/Richard Sheets, incarnation proprement démoniaque (Pierre Cormary signalait justement l’autre jour combien le dialogue final évoquait celui de Kirilov et Verkhovenski dans Les Démons de Dostoïevski) des laissés pour compte du néolibéralisme. Baiser une garde du corps (Patricia McKenzie, dans une scène d’un rare érotisme) ou une galeriste (Juliette Binoche d’une beauté et d’une sensualité sidérantes), se prendre une décharge de taser à cent mille volts, se tirer une balle dans la main ou se faire entarter par un activiste (Mathieu Amalric peroxydé) : piqûres de rappel pulsionnelles sans autre effet que de l’attirer peu à peu au cœur du dernier cercle, celui de la déréliction, du désordre et de l’asymétrie (la liberté, dira Packer, fasciné par les cicatrices de ses employés). De la limo utérine de plus en plus pollockisée, au délabrement théâtral du squat. Son corps (une extension de l'esprit – pas de place, donc, chez Cronenberg, pour les figurants allongés nus en pleine rue, dans le roman) en porte les stigmates, d’abord dérisoires (la limùo dégradée, une tenue de plus en plus débraillée, de la crème sur le visage, des plats dépareillés ou un vieux pistolet à la main, une coupe mal égalisée…) puis plus impressionnante (la blessure à la main). Packer semble réaliser enfin qu’il est déjà mort. Un fantôme parcourt le monde...

     

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  • Fragments. Welcome to the ghost train

     

    sébastien coulombel, rochefort

    © Sébastien Coulombel, 2011


    L'Arche s'enlisait par vents contraires. J'en traversais le pont en transe, emporté par la fièvre aux confins de l'invisible. Les Logs commençaient déjà à se ternir – ils risquaient désormais l'engloutissement pur et simple. Dans son sommeil, Ana tenta de me rassurer : je ne devais pas m'inquiéter « pour le dragon ». Elle s'en occuperait. Transparente métaphore. Mais je ne cessai pour autant de guetter dans l'éther les traces du Léviathan.

     

     

    « J'étais dans une capsule spatiale avec Sophia, Petit Tom et le Singe Blond, à la merci du feu télépathique de l'ennemi, violentes salves de flux mentaux. Nous nous sommes enfuis à travers un conduit cosmique (où nous avons loupé les coeurs façon jeu de plateforme alignés horizontalement contre la voûte) avant de déboucher dans la rue principale d'un long, long village de type médiéval qui grimpait une colline – paysage d'une incroyable beauté, avec son herbe tendre, son château de pierre sombre, son hôtel de ville et ses bâtisses hors d'âge... Travelling inouï...

    Et deuxième rêve d'une cité inconnue en l'espace de quelques jours.

    Le plus étrange, c'est que je savais à quoi aboutirait cette montée.

    Mais ?...

    La sonnerie de mon réveil m'a arraché à ma vision édénique...

    Quoi d'autre ?

    J'hésite...

    vas-y.

    Il n'y a sans doute aucun rapport...

    Il y en a un. Fais confiance à tes associations d'idées.

    Eh bien, Michel Portal n'aime pas les vieux qui toussent.

    Hum.

    Je plaisante. Enfin, non, pas vraiment. Michel Portal n'aime pas les vieux qui toussent, c'est un fait. Encore qu'il soit vieux lui-même, mais son truc, ce n'est pas de tousser, c'est plutôt de souffler. Enfin, bref. J'ai trouvé une poupée à mon effigie au Blockhaus.

    Ton lieu de travail ?

    En quelque sorte.

    Tu soupçonnes quelqu'un en particulier ?

    Aouda LeFog.

    Poupée vaudou ?

    Ou veau d'or.

    Et K. ?

    Non. Son bestiaire est inoffensif. Et Rosencrantz et Guildenstern en sont incapables. C'est Aouda.

    Comment as-tu réagi ?

    J'ai laissé pousser ma barbe. Ainsi, la poupée n'est plus mon double, mais celui de mon ancien Moi.

    Ton Moi est-il suspendu à ta pilosité ?

    Chaque événement, même infime, annonce une Résurrection. Nous renaissons à chaque instant.

    C'est vrai que tu ressembles au Christ. Ou à ce chanteur, là.

    Francis Lalanne ?

    C'est ça.

    Il a joué Joseph dans Marie de Nazareth. Et Marie Nitzos l'a souvent croisé aux Belles Lettres.

    La maison d'édition ?

    Il y était directeur de collection, je crois.

    Oh. »

     

    Je suis né cent fois au cours de mon dernier voyage. Ceux d'en bas ne comprennent pas. Ils n'ont jamais vu les machines fantastiques à Vieux Reflets. Jamais ils n'ont arpenté la Passerelle du Vent à deux heures du matin – l'une des plus belles conjonctions au monde, m'a dit Mille Airs –, jamais n'ont échoué au Bucolique Urbain en plein coma. Jamais ils n'ont écouté la Lully's « Turquerie » as interpreted by an advanced script  en boucle à Saint-André. Et jamais ils n'ont dialogué avec l'Ange à l'ombre du Monolithe parnassien.

     

     

     

    Eau et feu ondoient de concert dans cette voie de purification et de renouveau.