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critique cinématographique

  • It Follows de David Robert Mitchell

    Plébiscité par la presse, It Follows souffre de trop de faiblesses pour être un grand film mais n'en reste pas moins assez passionnant, par sa forme élégante mais aussi et surtout par sa représentation métaphorique de la perte de l'innocence, du Ça freudien - et sa critique en creux du puritanisme moderne.

    it follows

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  • Interstellar de Christopher Nolan

    intertellar

    And you, my father, there on the sad height,
    Curse, bless, me now with your fierce tears, I pray.
    Do not go gentle into that good night.
    Rage, rage against the dying of the light.

    Dylan Thomas

     

    Et toi, mon père, là, sur ces tristes hauteurs,
    Maudis-moi, bénis-moi de pleurs durs, je le veux !
    N’entre pas apaisé dans cette bonne nuit.
    Mais rage, rage encor lorsque meurt la lumière.

     Trad. Lionel-Édouard Martin

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  • Amour de Michael Haneke

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    L’appartement d’Amour, le nouveau film de Michael Haneke, n’est pas qu’un décor (fort réaliste, grâce aux talents du cinéaste et de son chef opérateur Darius Khondji), il est la représentation spatiale, topographique et dynamique, du couple incarné par Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva et de son rapport au monde extérieur : fenêtres, portes, fermées, ouvertes, seuils, franchissements.

    Après le prologue (porte d’entrée défoncée au bélier par la police), qui nous révèle l’issue fatale pour désamorcer d’emblée tout suspense indécent, le film désormais parfaitement linéaire s’ouvre sur un face à face spéculaire avec les spectateurs du théâtre des Champs-Elysées, venus assister à un récital d’Alexandre Tharaud. Parmi eux, Georges et sa compagne, Anne. Nous n’y verrons rien d’autre que ces spectateurs – comme si le couple s’était déjà retiré d’un monde dont la futile réalité se serait déjà étiolée, prémisse du drame imminent. Le concert commence : il est temps pour nos octogénaires de quitter la scène du monde.

    Une fois dans l’appartement, nous ne le quitterons plus. Très vite, la santé d’Anne se détériore. Absences, hémiplégie, aphasie, dépendance – étapes d’un voyage vers la mort.  Et ce dernier voyage – initiatique –, les amants entendent le faire seuls. S’ils ne se calfeutrent pas comme les Bienheureux de Bergman, c’est que leur réclusion est moins pathologique que métaphysique : il s’agit, pour eux, dont la vie est manifestement passée, de se frayer un passage vers un autre monde où ils seront à nouveau réunis, heureux. Une infirmière infantilisante est renvoyée. Les concierges dévoués sont poussés vers la sortie. Georges ne répond plus au téléphone. « Vous avez votre vie, laissez-nous la nôtre ! » lâche-t-il à  leur fille Eva (Isabelle Huppert). Même elle n’est plus la bienvenue. Lorsque qu’elle se présente à l’improviste, Georges la laisse un temps à la porte et verrouille la chambre où Anne repose. Rien ne doit parasiter la cérémonie : le passage nécessite un absolu dévouement.

    Dès lors l’extérieur est une menace : qu’on sonne en rêve à la porte et c’est l’asphyxie ; qu’une fenêtre s’ouvre et ici Anne s’écroule, là s’introduit un pigeon – évident psychopompe, renvoyé une première fois, puis serré sur le giron du vieil homme qui n’aspire qu’à une chose : libérer l’âme de sa bien-aimée et la retrouver telle qu’en elle-même, assise derrière son piano par exemple : ce même piano sur lequel Georges, pathétique, se met à jouer le bouleversant Ich ruf zu Dir, Herr Jesu Christ (BWV 639) de Jean-Sébastien Bach, rien moins que le thème d’ouverture de Solaris de Tarkovski – un film auquel Amour renvoie secrètement : ce n’est qu’à la disparition des avatars de Khari – malades – que Kris peut enfin rejoindre son îlot d’espace-temps ; de même, Georges ne quittera l’appartement qu’après le dernier souffle de sa femme.

    L’on peut observer cliniquement la planète Solaris ou l’amour du vieux couple : leur essence nous demeure pareillement inconnue. 

     

     

  • Cosmopolis de David Cronenberg

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    Nulle drogue – et certainement pas le novo de la rave party onirique où se perd le bodyguard Danko pour festoyer nus dans le vidéodrome contemporain de Cosmopolis. La puissance psychotique d’un langage purement narcissique (substitut du dollar) suffit. Le monde extérieur est une toile muette (cf. les génériques de début – pollockien, et dans la droite lignée de celui de A Dangerous Method – et de fin – Rothko) où s'impriment non les mots mais leurs extensions fantasmatiques. Tableau expressionniste. Il suffit que le milliardaire Packer (Robert Pattinson, rigoureusement parfait) et son jeune analyste financier Michael Chin évoquent un poème dans lequel le rat devient l'unité monétaire dominante, et les rats se mettent à envahir l'extérieur – vu à travers l'écran/vitre de la limousine-telepod insonorisée. Eric Packer glisse dans la ville-monde en plan rapproché comme dans un rêve absurde et violent, pontué par la fascinante partition d'Howard Shore, qui n'est pas sans rappeller celle de Crash. Et l'intérieur feutré de la stretch-limo, c'est la métaphore de l'esprit, comme siège (en cuir) d'une parole virale et délirante. L'esprit du temps, le Zeitgeist, le fantôme du capitalisme.

     

    cosmopolis, david cronenberg, robert pattinson

     

    L’on se connecte à la structure absolue via l’examen de la prostate par toucher rectal, comme l’on se connectait à eXistenZ par l’introduction d’un biocâble dans un orifice artificiel en bas du dos… La voix d’un champignon entre les orteils peut justifier l'exécution d'un homme... Prononcer un nom peut tuer même le plus aguerri des gardes du corps (et ne pas prononcer un nom c'est entériner l'effacement du sujet)... Nier l'auto-immolation d'un manifestant, c'est le faire disparaître... Le cours du yuan ne peut plus monter mais il monte encore... Et demander où passent les limousines la nuit, vous envoie inéluctablement au théâtre… Dire la chose, c'est la faire accéder à l'existence – d’où ces champs et contrechamps systématiquement calés sur celui qui parle. Richard Sheets (Paul Giamatti) affirme que ses organes sexuels se rétractent à l'intérieur de son corps : « Qu'ils le fassent ou non, je sais qu'ils le font ». Déclarer à sa directrice financière « odorante et moite » son désir de la foutre suffit à nimber Packer d’un parfum de sexe aux yeux de son épouse (délicieuse Sarah Gadon, pour la seconde fois chez Cronenberg). Et quand le chauffeur Ibrahim et le coiffeur Anthony avertissent Packer du danger extrême qu’il encourt dans Hell’s Kitchen sans arme ni protection rapprochée, se déclenche presque mécaniquement la fusillade qui ouvre le final.

     

    cosmopolis, david cronenberg, juliette binoche

     

    Quitter l'univers « prousté » de la limo (bulle économique, cercueil), c'était, en toute logique, risquer la contamination, non d'une réalité consensuelle, à laquelle Packer, mort au monde » pour le réalisateur, semble aussi imperméable que son persécuteur, mais de l'univers d'un autre, en l'occurrence Benno Levin/Richard Sheets, incarnation proprement démoniaque (Pierre Cormary signalait justement l’autre jour combien le dialogue final évoquait celui de Kirilov et Verkhovenski dans Les Démons de Dostoïevski) des laissés pour compte du néolibéralisme. Baiser une garde du corps (Patricia McKenzie, dans une scène d’un rare érotisme) ou une galeriste (Juliette Binoche d’une beauté et d’une sensualité sidérantes), se prendre une décharge de taser à cent mille volts, se tirer une balle dans la main ou se faire entarter par un activiste (Mathieu Amalric peroxydé) : piqûres de rappel pulsionnelles sans autre effet que de l’attirer peu à peu au cœur du dernier cercle, celui de la déréliction, du désordre et de l’asymétrie (la liberté, dira Packer, fasciné par les cicatrices de ses employés). De la limo utérine de plus en plus pollockisée, au délabrement théâtral du squat. Son corps (une extension de l'esprit – pas de place, donc, chez Cronenberg, pour les figurants allongés nus en pleine rue, dans le roman) en porte les stigmates, d’abord dérisoires (la limùo dégradée, une tenue de plus en plus débraillée, de la crème sur le visage, des plats dépareillés ou un vieux pistolet à la main, une coupe mal égalisée…) puis plus impressionnante (la blessure à la main). Packer semble réaliser enfin qu’il est déjà mort. Un fantôme parcourt le monde...

     

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  • Les Regrets de Cédric Kahn (le sourire de Valéria)

     

     

    De Cédric Kahn, je me souvenais de Roberto Succo, et surtout de L'Ennui, d'après Moravia, dont le parti pris – concentrer son attention sur la présence physique (et nue) des acteurs, Charles Berling et Sophie Guillemin – restituaient une certaine vérité de la passion amoureuse (ou sensuelle) comme pathologie mentale, qui fait sens – fuite du réel, réinterprétation quasi psychotique du monde – autant qu'elle brise. Cette passion à double tranchant, qui selon qu'on la vit où qu'on l'observe, de l'extérieur ou de l'après, s’apparente à une élévation de l'âme ou, au contraire, à une affreuse déchéance, Cédric Kahn essaie d’en restituer quelque chose dans Les Regrets (2009).

     

     

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    À l'occasion de l'agonie puis du décès de sa mère, dans la petite ville de son enfance, un architecte parisien, Mathieu (Yvan Attal), marié à Lisa (Arly Jover), qui travaille dans le même cabinet, rencontre inopinément son amour d'antan, Maya (Valéria Bruni-Tedeschi). Saisi d'une attirance irrépressible et obsessionnelle, le couple illégitime ne cessera de rejouer retrouvailles et séparation, allers et retours (soulignés par quelques pièces de Philip Glass, et par des lieux de passage, gares, halls, trains, routes, hôtels) entre une vie sociale pesante – avec ses contraintes, ses engagements, ses responsabilités, ses compromis – et une liberté amoureuse dévorante (Lisa, la femme de Mathieu, peu à peu reléguée en hors champ, puis hors de sa vie), et sans égard pour les contingences ; allers et retours, aussi, entre la mort (celle de la mère, qui renvoie Mathieu à sa finitude), et l'amour (celui qui l'unit à Maya). Mais jamais hors du temps. Leur histoire passée, et celle du départ subit de Mathieu, quinze ans auparavant – parce qu'elle le rendait dingue –, cette chape de regrets, pèsent de tout leur poids sur leur nouvelle relation. En renouant avec leurs amours passées, Maya et Mathieu cherchent surtout, à l'évidence, à retrouver la flamme d'une vie qui s'éteint peu à peu, à force de compromis et de rêves contrariés.

    Malheureusement, une mise en scène assez plate, une image terne, des décors tristounets – symboles du champ de ruines de leur aventure entre parenthèses –, et un Yvan Attal sans relief, enferment le film – y compris ses scènes d'amour – dans une grisaille émotionnelle irrémédiable, où seule brille Valéria Bruni-Tedeschi. Sa présence physique – son visage marqué par l'empreinte du temps et des événements d'une vie –, d'une justesse exceptionnelle, comme dans 5×2 de François Ozon et dans Un couple parfait de Nobuhiro Suwa, sa voix douce et cassée, écho d'un feu qui ne saurait renaître sans tache, son regard triste, et pourtant encore vif, son sourire secrètement mélancolique, cette manière d'être absente, de n'être déjà plus là, tout en s'imposant à son amant – et au spectateur –, illuminent le film à eux seuls, flamme ténue mais invincible au cœur de l'insignifiance générale. Vertige du premier regard échangé, d'un trottoir à l'autre, quand nous voyons littéralement, sur les traits de Valéria, passer toute une vie enfouie, et basculer, tragique. En dehors de ces rares moments de grâce, malheureusement – le pas pressé de Mathieu, puis de Maya, sur le splendide Sinnerman de Nina Simone –, Les Regrets patine, s'enlise dans ses mauvais choix (Philippe Katerine est parfait dans le rôle du mari de Maya, mais celui-ci aurait dû être relégué à l'arrière-plan) échoue là, précisément, où réussissait son sublime modèle évident, La Femme d'à côté de François Truffaut. Si, dans son registre fort différent, plus nuancé, plus discret – plus résigné –, Valéria Bruni-Tedeschi n'a pas à rougir d'une (vaine) comparaison avec Fanny Ardant (ou avec Meryl Streep dans Sur la route de Madison de Clint Eastwood, grand film construit sur l'opposition entre l'amour conjugal et, non la passion, mais l'amour romantique), ce n'est certes pas le cas d'Yvan Attal, minuscule, sans charisme, sans relief, quand Gérard Depardieu crevait l'écran, monstre d'intensité.

     

     

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