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stéphane beauverger

  • Faites demi-tour dès que possible

    la volte, faites demi-tour dès que possible

    Pour fêter leur dixième anniversaire, les éditions la Volte (La Horde du contrevent, Le Déchronologue, les romans de Jeff Noon...) ont demandé à une petite quinzaine d'auteurs d'écrire une nouvelle de fiction à la fois ancrée dans un terroir, et « saisie par l'imaginaire ». Le résultat s'intitule Faites demi-tour dès que possible. Au sommaire, donc, quatorze territoires, villes ou régions, avec de fameuses plumes, dont sept figuraient déjà au sommaire du Jardin schizologique (que j'avais eu le plaisir de diriger). Étant encore de la partie, bien que cette fois en tant que simple auteur, je ne puis évidemment livrer une critique en bonne et due forme, d'autant que plusieurs auteurs sont des amis, et si d'aventure certains textes m'avaient déplu je n'en dirais certes rien : contentons-nous donc donc de faire la réclame, et de porter à votre connaissance l'existence de ce recueil et de ses plus belles pages.

    Si vous ne faites pas demi-tour et vous procurez l'ouvrage, vous lirez quelques très beaux textes, comme ceux de Leo Dhayer (« Ichtyornis, juvenilia, knickerbockers, labyrinthodonte », récit sensible et stylé d'un passage brutal de l'enfance à l'âge adulte, sur une étrange Côte d'Opale), d'Alain Damasio (« Le chamois des Alpes bondit », où l'injection de mémoire liquide, et c'est là un point commun avec « Le Berceau des lucioles » de Jacques Barbéri, fait vivre à son narrateur une expérience schizoïde des plus perturbantes) ou de Stéphane Beauverger (« DCDD » ou la perdition d'un journaliste dans les fantomatiques monts d'Arrée, où rôdent l'Ankou et la méfiance). Il y a, aussi, le plaisir de lire le retour anticipé de Ketty Steward sur les terres létales de son enfance (comme une manière, somme toute assez ludique, de faire le deuil de celle qui se racontait dans Noir sur Blanc), et la petite musique science-fictive de Philippe Curval, qui envisage à sa primesautière manière l'évolution inattendue de notre système nerveux entérique – autrement dit le petit cerveau que nous avons tous dans le bide. Je pourrais encore citer l'Est onirique de Léo Henry ou « L'île des pierres lentes » de Norbert Merjagnan, dont le seul titre résonne clairement avec mon Angoulême insulaire et ses Météores Lents, mais je voudrais ici mettre en lumière Jeanne Julien, qu'on avait découverte dans Le Jardin schizologiqueavec une nouvelle déjà coupée au couteau, « Sacha », et qui nous délivre un formidable et percutant « Coup d'langue », récit bien acéré des derniers soubresauts d'une vieille femme qui ne demande rien d'autre qu'un dernier shoot de souvenirs.

     

    Quelques mots encore, pour finir, à propos de ma nouvelle alchimique et apocalyptique « Finis Gloriae Mundi ». Imaginez un Déluge. Angoulême sous les eaux. Un organiste solitaire. Un fleuve de montgolfière. Vous y êtes ?

     

    La cathédrale pouvait attendre. Si son interprétation de la position des météores lents était juste, il en aurait terminé aujourd’hui même.

     Les mains sur le parapet, à l’ombre de la statue de Carnot, à l’endroit précis où, selon la légende, les murailles d’Iculisma tombèrent d’elles-mêmes en l’an cinq cent huit, ouvrant la voie à Clovis venu chasser les disciples d’Arius et asseoir sa domination, l’organiste titulaire Aloysius respirait les embruns atlantiques et observait la perpétuelle migration des montgolfières. Il en venait sans cesse de nouvelles, toutes identiques, et toujours d’est en ouest. Leurs robes d’or resplendissaient au large du millième matin, antiques et innombrables, dessinant un fleuve de constellations éphémères, tant sur le dôme d’azur que sur l’océan-miroir dont la main titanesque était venue mourir ici-bas, à l’adolescence du siècle, juste sous ses yeux. Certaines dérivaient en haute altitude, si lentement qu’en pleine nuit, sous les feux tournants du phare-campanile, elles se confondaient avec les étoiles, et l’on n’aurait su dire alors si leur éclat émanait des braises de leurs entrailles ou plutôt de quelque propriété réflective de leur enveloppe ; d’autres glissaient à trente pieds seulement des terrasses du Château, sur lesquelles Aloysius aimait à s’allonger par temps clair. Au clapotement des vagues qui, un peu plus loin, venaient lécher les remparts, s’ajoutait alors le souffle nonchalant des brûleurs.

    (Finis Gloriae Mundi)

     

  • La Déchronique du Déchronologue. L’index

     

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    Voici, chers amis, l'index tant attendu de ma « déchronique » du Déchronologue, le beau roman de Stéphane Beauverger aux éditions la Volte.J'en profite pour signaler à votre attention la récente parution, chez le même éditeur, de L'Homme qui s'arrêta recueil de nouvelles de Philippe Curval dans sa meilleure veine, celle des angoisses existentielles, où la littérature et la folie s'investissent mutuellement.

     

    Fragment Zéro

    Fragment I

    Fragment XVI

    Fragment XVII

    Fragment VI

    Fragment II

    Fragment VII

    Fragment XXII

    Fragment XI

    Fragment XIX

    Fragment XX

    Fragment IX

    Fragment XXIII

    Fragment III

    Fragment X

    Fragment IV

    Fragment VIII

    Fragment XII

    Fragment XV

    Fragment XXI

    Fragment V

    Fragment XIII

    Fragment XXIV

    Fragment XIV

    Fragment XVIII

    Fragment XXV

    Fragment final

     

     

    Coulez mes larmes, dit le capitaine : bande originale du livre.

     

  • La Déchronique du Déchronologue. Fragment final

     

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    Chronos.

    Nomos.

    Eikon.

     

    (Image de la loi du Temps)

     

    Le Déchronologue est un Déchronomicon.

     

     

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  • La Déchronique du Déchronologue. Fragment XXV

     

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    René Magritte, Le château des Pyrénées

     

     

    Villon n'a jamais cru au Nouveau Monde, ni ne l'a souhaité. Il l'a seulement désiré. Un désir c'est une machine, quelque chose qui échappe à la volonté. Et quand un désir n'est pas réalisé, à plus forte raison quand il est irréalisable, nous l'exprimons toujours d'une manière ou d'une autre. Villon et ses machines auront tout tenté, jusqu'à l'apocalypse, pour s'ouvrir une vie nouvelle. Mais l'apocalypse elle-même échoue. Alors, il ne lui reste, en définitive, que ses carnets, son texte, comme ultime expression de ce désir.

    Villon essaie de justifier le « désordre » de ses cahiers : « ma mémoire n'est plus ce qu'elle était, ni le temps ce qu'il paraît. "Fugit irreparabile tempus", écrivit le poète Virgile... Comme il avait tort ! Je sais, moi, que les voiles du temps se sont déchirées, pour porter jusqu'à mon siècle des choses qui n'auraient pas dû s'y échouer. » (15) Nous voyons ici, pour notre part, l'aveu d'une tentative désespérée de fuir ses fantômes, de briser l'inéluctabilité du Temps pour échapper à l'emprise d'un passé envahissant. Ce que veut Villon, c'est basculer dans un rapport psychotique au Temps ; ne percevoir les fragments de Temps que comme des entités autonomes, irreliées, flottantes, permutables (Corps sans Organes).

    Si le Temps réel (le Temps vécu, le Temps de Veen) « est en rapport avec l'intervalle qui sépare les événements et non dans leur déroulement, leur combinaison ou l'ombre qu'ils projettent sur la fissure où transpire la pure, l'impénétrable texture du temps » (V. Nabokov, Ada ou l'ardeur, trad. De l'anglais par Gilles Chahine avec la collab. De Jean-Bernard Blandenier, Gallimard, Folio, 2003, p. 441), alors Villon se trompe : le Temps chronologique seul est déchiré. Pas le Temps vécu.

    Alors, il n'y a plus que la mort  annoncée par Samuel le Baptiste (Jean le Baptiste, le prophète, annonce la venue du Christ, et Samuel, autre prophète, prédit la mort de Saul, Samuel 28:3).

     

     

  • La Déchronique du Déchronologue. Fragment XVIII

     

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    Giuseppe Arcimboldo, L'eau, 1566

     

    La figure la plus marquante du Déchronologue, est sans doute celle de la fusion de la matière, au cours des tempêtes et batailles temporelles - métamorphoses qui font évidemment écho à celles d'Ovide. Les éléments touchés fusionnent avec leurs doubles dans le temps et dans un même espace, ainsi qu'avec les autres éléments présents. Images splendides, cauchemardesques.

     

    « Dans cette poche éphémère de causes et de conséquences inextricablement mêlées, des marins déjà morts assistèrent à leur anéantissement avant le tir du boulet coupable. Des esclaves enchaînés à leur banc de nage fusionnèrent avec le métal de leurs entraves et les fibres aiguës de leurs rames. Des guerriers intrépides, qui avaient pris Halicarnasse et la Phénicie, sentirent leur chair se mêler à celle de leurs compagnons d'arme tout aussi pétrifiés. » (59-60)

    « Dans le ventre du Chronos blessé à mort, la fonte déchirée des canons se mêla à la chair des servants. » (202)

    « À deux reprises, j'aperçus ce qui me sembla être un tronc qu'on aurait mélangé avec le corps d'une bête » (322) .

    « Je ne supportais plus les postures tant humaines des derniers troncs dressés, fragments implorant le retour de leur gloire perdue. Mon esprit vacillait au souvenir des formes fusionnées que j'avais aperçues au cœur de la tourmente, chair et fibres amalgamées jusqu'à la pulpe. Je pensais à la métamorphose de la Daphné d'Ovide, ne pouvait voir dans ces dépouilles que l'ultime supplique d'une âme à l'agonie. » (329-330)

     

    Dans les cieux du Yucatan dévasté, les étoiles, le soleil, se dédoublent. Nous reviennent alors à l'esprit ces mots de Nerval :

     

    « Arrivé sur la place de la Concorde, ma pensée était de me détruire. À plusieurs reprises, je me dirigeai vers la Seine, mais quelque chose m'empêchait d'accomplir mon dessein. Les étoiles brillaient dans le firmament. Tout à coup il me sembla qu'elles venaient de s'éteindre à la fois comme les bougies que j'avais vues à l'église. Je crus que les temps étaient accomplis, et que nous touchions à la fin du monde annoncée dans l'Apocalypse de saint Jean. Je croyais voir un soleil noir dans le ciel désert et un globe rouge de sang au-dessus des Tuileries. Je me dis : " La nuit éternelle commence, et elle va être terrible. Que va-t-il arriver quand les hommes s'apercevront qu'il n'y a plus de soleil ? " Je revins par la rue Saint-Honoré, et je plaignais les paysans attardés que je rencontrais. Arrivé vers le Louvre, je marchai jusqu'à la place, et, là, un spectacle étrange m'attendait. À travers des nuages rapidement chassés par le vent, je vis plusieurs lunes qui passaient avec une grande rapidité. Je pensai que la terre était sortie de son orbite et qu'elle errait dans le firmament comme un vaisseau démâté, se rapprochant ou s'éloignant des étoiles qui grandissaient ou diminuaient tour à tour. »

    (Gérard de Nerval, Aurélia)