Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : L'homme qui mangait

  • Des choses et des fantômes (pathétique Jean-Claude Guillebaud) – 2 – Le bas-bleu sacristain et l’imago

    « Voici, je vous enseigne le Surhumain !
    Le Surhumain est le sens de la terre. Que votre volonté dise : que le Surhumain soit le sens de la terre.
    Je vous en conjure, mes frères, restez fidèles à la terre et ne croyez pas ceux qui vous parlent d'espoirs supraterrestres! Ce sont des empoisonneurs, qu'ils le sachent ou non.
    Ce sont des contempteurs de la vie, des moribonds et des empoisonnés eux-mêmes, de ceux dont la terre est fatiguée : qu'ils s'en aillent donc! »
    F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra


    Selon Jean-Claude Guillebaud, « L’homme n’est pas un état, mais un projet. Sa « nature » est en mouvement permanent, tendue vers un but, transformée sans cesse par son « intérêt ultime (ultimate concern).» » [10] L’intention du livre est contenue toute entière dans cette contrevérité, antienne non seulement de l’ouvrage, mais aussi de toutes les interventions de son auteur sur la Toile ou dans la presse. Pas un état, mais un projet : son point de vue n’est donc pas tant philosophique, ou scientifique, qu’évangélique car vous conviendrez que si l’homme est projet, celui-ci suppose d’abord un « chef de projet », autrement dit un Ordonnateur, mais aussi un but à atteindre – une Eschatologie. Toute la doctrine guillebaudienne – car c’en est une – repose sur cette soumission totalement gratuite et invérifiable de l’histoire à un Projet supérieur, selon laquelle l’homme ne doit en aucun cas s’éloigner d’une route qui lui aurait été désignée ; il ne doit pas chercher à percer les secrets de l’univers, de la matière, de la vie et de la conscience. Le Principe d’humanité, cet évangile selon Jean-Claude, n’est alors rien d’autre en dernière analyse qu’une épître humaniste censée décréter autodafés et mises à l’index, et nous mettre en garde contre les « dérives » eugénistes et autres menaces ou « injonctions » scientistes – rappelons à toutes fins utiles que le terme anglais scientist signifie simplement scientifique. Cette prédication, on s’en doute, ne saurait s’accommoder d’une pensée construite pierre après pierre, à la fois attentive au détail et consciente de l’architecture générale. C’est pourquoi le gourd gourou Guillebaud recourre sans cesse – sans le moindre talent littéraire, soulignons-le – à de grossiers subterfuges rhétoriques et, lâchons le mot, démagogiques ; il veut prévenir toute tentative de distanciation intellectuelle, et s’il prétend réveiller les masses, ce n’est que pour mieux les hypnotiser avec son bric-à-brac religieux – sans parler des pages entières de sermons débonnaires où je vous mets au défi de discerner le moindre argument logique, en sorte que l’on se demande souvent, à sa lecture, si l’auteur a vraiment quelque chose à dire.
    Le plus fréquent, le plus discutable aussi de ces artifices destinés à guider le cheptel humain le long de ce sentier prétendument lumineux – bien qu’il soit surtout obscur –, consiste à ternir la recherche scientifique d’une négativité immanente, ontologique, presque luciférienne, au point que Guillebaud considère que toute philosophie purement matérialiste est un préalable à un holocauste à venir. Dès le premier chapitre, le ton est donné : « Nul doute que toutes les questions contemporaines sur la définition de l’homme nous rappellent quelque chose » [11] , écrit-il sournoisement, faisant explicitement référence à la Shoah. Trois pages plus loin, un encadré intitulé « Bétail, boue, ordure » reprend un extrait de Si c’est un homme de Primo Lévi. De fait, ce premier chapitre – de même que le chapitre consacré à l’eugénisme – est en grande partie consacré à la superposition du dessein nazi et des anthropotechniques, en sorte que ce rapprochement innerve le livre jusqu’aux dernières pages. Le but inavoué d’une telle manœuvre est évidemment de replacer le Mal au centre de sa réflexion – comme si les camps d’extermination étaient la conséquence de la seule technique – mais aussi de masquer l’absence patente de hauteur de vue, de cette structuration qui devrait selon Raymond Abellio caractériser toute pensée digne de ce nom. Réducteur de têtes hystérique mais malhabile, Guillebaud émonde aveuglément son objet d’analyse, le débarrasse de ses organes susceptibles de discréditer son homélie, jusqu’à ce que ne subsiste plus au final qu’une masse linéamentaire qui n’a plus qu’un lointain rapport avec l’objet d’origine. La Vérité importe peu à notre scribouilleur qui se contente d’établir des « principes » permanents, dogmatiques et invérifiables fondés sur des arguments moraux périmés, quoique hélas encore partagés par une écrasante majorité d’êtres humains.
    Ainsi, sous prétexte d’étudier de façon globale, c’est-à-dire dans leurs interactions, ce qu’il désigne arbitrairement comme les « trois révolutions » telles que présentées à partir de la page 36, à savoir les « révolutions » économique, informatique et génétique, Guillebaud confond les domaines de la recherche et leur exploitation économique par les multinationales : « L’hypothèse du clonage humain [demande-t-il dans un article du Monde diplomatique tiré du livre] ne réinvente-t-elle pas les catégories mentales de l’esclavage ? La génétique – avec ses quotients et sa prétendue « normalité » – ne risque-t-elle pas d’engendrer un racisme du troisième type ? ». Les risques d’applications industrielles du clonage sont bien réels en effet, mais avant de légiférer, nous ne pouvons faire l’économie d’une redéfinition précise, à l’aune des connaissances actuelles – et non des lieux communs qui forment la pseudo-pensée de notre éditorialiste –, de ce qu’est vraiment un être humain, c’est-à-dire de ce qui le distingue en droit des autres espèces. Or l’image de l’homo sapiens sapiens – qui n’est qu’un stade provisoire de l’évolution – tel que l’esquissent progressivement physiciens, généticiens, biologistes et cogniticiens ne correspond en rien au cliché grossièrement physicaliste que s’en fait poltron-Guillebaud. En matière d’éthique scientifique et de législation plus particulièrement, il est impératif de comprendre que l’homme, comme le rappelle Alain Prochiantz dans son livre Machine-esprit, ne se distingue pas exclusivement par sa capacité d’apprendre et de conceptualiser (ce que suggérait par exemple le protomatérialisme d’un Julien Offroy de la Mettrie). Prochiantz rappelle que « la réalisation des programmes de division, migration, différentiation, mort […] cellulaires résulte en la production d’un imago, toujours le même – caractéristique de l’espèce –, aussi vrai que tout un chacun sait distinguer un homme d’un macaque. » [12] Même incomplète, cette réalisation de l’imago fonde la spécificité humaine. Subséquemment l’handicapé mental, de même que le clone modifié dont on aurait bridé l’intelligence par manipulation génétique ou par chirurgie cérébrale, correspondent toujours à cet imago profondément inscrit dans notre corps et dans notre esprit, et ce en dépit de leurs déficiences génétiques ou accidentelles ; ils ne peuvent donc être exclus de l’humanité. L’utilisation de clones âgés de plus de 14 semaines in utero – âge limite des IVG – à des fins industrielles ou médicales devrait donc être totalement exclue.
    Mais Guillebaud n’a jamais qu’une connaissance fort vague et très secondaire des sciences cognitives et du génie génétique, qu’il regarde pourtant avec circonspection. Que les choses soient claires : je n’ai moi-même qu’un regard fragmentaire sur la question, mais il me semble que la moindre des précautions, lorsqu’on s’en prend sur cinq cents pages aux fondements même de ces sciences passionnantes, est de prendre connaissance des ouvrages de vulgarisation des chercheurs compétents. Au lieu de puiser les informations scientifiques à leur source, Guillebaud choisit soigneusement les siennes propres, par définition secondaires, parmi les commentateurs les plus proches de sa vision vitaliste et humaniste du monde – son humanisme étant celui des sectes et des églises, celui d’une foi increvable en un avenir meilleur. Dès lors, erreurs d’interprétation et mystifications en tous genres étaient inévitables – il suffira de citer sa réaction épouvantée dès qu’il s’agit de trouver quelque fondement biologique à l’homosexualité par exemple ; de même, il ne comprend pas que les travaux de Richard Herrnstein et Charles Murray (auteurs de The Bell Curve en 1994), même très contestables, ne sont pas sans valeur uniquement pour la seule raison qu’ils iraient à l’encontre des idéaux égalitaristes et humanistes – le but n’étant pas d’établir quelque hiérarchie mais bien d’essayer de comprendre le monde dans ses moindres détails (en l’occurrence, de chercher d’éventuelles relations entre QI, origine ethnique et réussite sociale). Or il ne suffit pas, pour réfuter une thèse, aussi choquante soit-elle, d’en dénoncer la récupération par l’extrême droite comme le fait Guillebaud en page 318 de sa chose ! Quant à Edward O. Wilson, le célèbre sociobiologiste deux fois prix Pulitzer, Guillebaud ne cesse de le traîner dans la boue, s’en prenant même à un article de Libération qui en fit en 2000 un portrait « plutôt élogieux » [13] , sans jamais accorder quelque attention à l’intérêt de ses travaux. On entrevoit alors le peu de rigueur de la démarche guillebaudienne.
    Passons rapidement sur la prétendue collusion entre bouddhisme et extrême droite (Guillebaud omettant ce faisant de rappeler que l’extrême droite française, historiquement, a surtout de nombreux liens avec l’intégrisme chrétien), passons aussi sur l’étrange comparaison entre bouddhisme et nietzschéisme – l’un comme l’autre prôneraient l’abdication de toute volonté d’infléchir le cours des choses ; c’est d’abord oublier que la pratique du bouddhisme – religion pour laquelle je n’éprouve aucune attirance particulière, soit dit en passant – vise avant tout à la libération (et non à l’acceptation) de la souffrance par la connaissance et l’ascétisme, c’est-à-dire en se libérant des causalités ; c’est oublier ensuite que Nietzsche vouait justement l’essentiel de sa réflexion au dépassement des contingences, autrement dit au lointain. Mais cette attaque contre Nietzsche est tellement injustifiée que je préfère ne pas m’étendre davantage ; s’imprégner des œuvres du philosophe allemand reste encore la meilleure défense.
    Passons encore sur l’inconséquente remise en cause du don d’organe qui serait selon Guillebaud une atteinte à l’intégrité de l’individu – sans doute s’attend-il à voir le membre greffé agir contre son gré, comme dans Les Mains d’Orlac [14], comme si la conscience était enclose dans la chair, comme si le bénéficiaire était possédé par l’âme du donneur… A croire que Guillebaud préfère veiller à l’intégrité d’un corps d’origine – sous-entendu : d’origine divine – plutôt qu’à la survie de malades ou d’accidentés... Au don utilitaire des hommes, notre humaniste oppose le don divin. Y toucher relève du Mal à l’état pur.
    C’est donc en toute logique que l’eugénisme devient pour Guillebaud la conséquence inéluctable du génie génétique. De manière générale, il traite de « savant fou » tout scientifique dont les travaux n’obéissent pas à son dogme - par exemple François Dagonet, qui dans Corps réfléchi (éd. O. Jacob), eût le malheur de ne point s’indigner de la possibilité future de procréer et de développer le fœtus in vitro… Ce à quoi je n’opposerais qu’une indifférence polie si Guillebaud n’était pas de surcroît hostile à toute manipulation génétique, y compris lorsqu’il s’agit de réduire les risques de malformation. Guillebaud, qui considère l’embryon comme une personne à part entière, s’oppose également à l’interruption volontaire de grossesse, même s’il y a constatation de malformation lors du diagnostic prénatal. Sont ainsi attaqués en particulier les techniques de procréation assistée, le tri préimplantatoire des embryons humains ou encore la thérapie génique et le clonage thérapeutique. Plus grave : ces pratiques seraient selon lui rien moins qu’eugénistes. L’usage de ce terme, loin d’être neutre, relève d’une démarche volontairement polémique – bien qu’il s’en défende – et lui sert en premier lieu à stigmatiser les domaines de la recherche qui transgressent sa vision du monde. Mais le Verbe grâce auquel Guillebaud ânonne ses billevesées n’est-il pas lui aussi susceptible de provoquer un holocauste ? Je ne sache pas pour autant qu’il ait décidé d’abolir le langage par principe de précaution…
    Guillebaud ne pouvait dès lors que condamner les propos de Peter Sloterdijk, qu’il ne prend d’ailleurs même pas la peine d’expliciter (faute de les avoirs lus ?). Réparons cette omission. Pour Sloterdijk, il « s’agit à présent de comprendre que même la situation fondamentale et apparemment irréductible de l’être humain, qui porte le nom d’être-au-monde et se caractérise comme l’existence ou comme le fait de se tenir à l’extérieur dans la clairière de l’Être, constitue le résultat d’une production dans le sens originel du terme - un processus où l’on guide vers l’extérieur et où l’on met au jour, pour une position relevant de l’extase, une nature jusque là plutôt voilée ou dissimulée et, dans ce sens, « inexistante ». » [15] . Autrement dit, il convient d’analyser l’homme non plus comme une créature matrice mais comme un produit, celui, en tout état de cause, « d'une production qui, elle-même, n'est pas homme, qui n'était pas menée par l'homme de manière intentionnelle, et il n'était pas encore ce qu'il allait devenir avant de le devenir » [16]. A écouter Guillebaud cependant : « Lorsqu’un savant, membre d’un comité d’éthique, s’oppose au clonage humain, il ne le fait pas au nom de la science elle-même mais d’un « autre chose » qui n’est pas d’ordre scientifique. » [17] Cet « autre chose », c’est évidemment son « principe d’humanité » aussi flou qu’indéfini. Peter Sloterdijk, plus sérieux, propose que la philosophie métaphysique, qui oppose « le spirituel, le propre et l’humain d’un côté, le concret, le mécanique et l’inhumain de l’autre » est en vérité erronée puisqu’elle « attribue [...] au sujet et à l'âme une pléthore de qualités et de facultés qui, en réalité, appartiennent à l'autre face. Dans le même temps, elle nie aux choses ou aux matériaux une foison de qualités qu'elles possèdent tout de même, à y regarder de plus près » [18].
    Guillebaud, qui n’a visiblement rien compris, semble toutefois un brin désemparé puisqu’il concède dans un autre article que « […] ce n'est pas la révolution génétique en soi qui pose problème – elle est évidemment porteuse de promesses considérables ». Certes ! Il ajoute cependant qu’il « ne parle pas seulement de l'application de leurs recherches mais de la direction même de ces recherches » Nous y voilà. Au lieu d’analyser la trame systémique où ses trois « révolutions » (qui ne sont d’ailleurs, à mon sens, qu’évolutions) s’entrelaceraient, Guillebaud en choisit arbitrairement les nœuds les plus spectaculaires (ici, « l’arraisonnement de la recherche scientifique elle-même par le marché ») à l’exception de tous les autres, faisant acte de réduction plutôt que de déduction. En guise d’étude systémique – rappelons que tout système obéit à quatre principes fondamentaux : interaction, globalité, organisation et complexité – il imagine des causalités linéaires en imputant par exemple au néolibéralisme l’apparition de nouveaux champs scientifiques comme la sociobiologie (ce qui est absurde : les travaux d’Edward O. Wilson sur les insectes sociaux sont unanimement reconnus par la communauté scientifique, y compris d’ailleurs par Axel Kahn, que personne ne peut raisonnablement accuser d’extrémisme ; et la sociobiologie prétend seulement expliquer un certain nombre de comportement par des facteurs biologiques, ce que nul ne saurait sérieusement contester…). La méthode Guillebaud n’est donc que de la poudre aux yeux, de l’eau bénite vendue comme de l’eau de vie. Les citations, le plus souvent inadaptées, servent uniquement à masquer l’inanité d’un discours fondé sur des lieux communs et un « bon sens » qui m’évoquent immanquablement ces mots du Désespéré de Léon Bloy : « Le sens commun dont la nature est d’étendre des tapis sous les pieds des foules, a ce privilège mythologique de devenir toujours plus fort en s’abaissant et de ramasser par terre ses victoires. […] Il est à n’avoir plus besoin de connaître ce dont il parle, et à ne plus lire du tout les livres qu’il a la prétention de juger dans ses harangues. » [19]. Guillebaud est comme Beauclerc, le critique auquel Marchenoir fait allusion : il ne sait pas de quoi il parle.
    En effet, si s’inquiéter des « dérives » éventuelles du clonage ou de la « brevetabilité du génome humain », ces tartes à la crème de l’éthique moderne, n’est pas a priori illégitime – encore que le prétendu consensus autour du clonage humain ne soit en fait qu’un mensonge supplémentaire de médias analphabètes, puisque de nombreuses personnalités, au nombre desquelles Simone Veil, Richard Dawkins ou encore le prix Nobel Francis Crick (co-découvreur de la structure en double hélice de l’ADN, également connu il est vrai pour ses positions extrémistes) furent signataires en 1997 de la "Déclaration en défense du clonage et de l’intégrité de la recherche scientifique" émise par l’Académie internationale de l’humanisme (en réaction, convient-il de préciser, à un inadmissible lobbying orchestré par le Vatican et les administrations Clinton, puis Bush) –, confondre ces dérives avec la recherche elle-même, interdisant ainsi toute réflexion sur les bénéfices qu’une partie d’entre nous – ou de nos descendants – pourrait en tirer, paraît en revanche beaucoup plus dangereux et procède d’un obscurantisme endémique [20] et bien-pensant. Le propre de toute découverte, de toute avancée n’est-il pas, a contrario, d’engendrer de nouveaux possibles ? Et le propre des sciences n’est-il pas de tâtonner, d’exprimer des hypothèses vérifiables ou réfutables en mettant au point, comme le rappellent les Mutants dans leur amusante exécution sommaire, des protocoles d’expérimentation ?
    L’essentiel, de mon point de vue, réside alors dans notre capacité à définir objectivement les limites du champ expérimental, à l’aune du respect de l’individu. Nous avons élucidé plus haut le problème du statut des clones ou des handicapés qui, parce qu’ils partagent notre imago, doivent être considérés comme des humains à part entière – encore une fois, pour tuer toute tentative d’asservissement ou de hiérarchisation des hommes, le meilleur argument est encore scientifique. Ceci étant admis, reste à aborder la question de l'origine biologique de la pensée, ou comment l'homme, d'une certaine manière, est sorti de la Nature.

    [10] J.-C. Guillebaud [2001], Le Principe d’humanité (Le Seuil, Points essais, 2002), p. 123.
    [11] Ibid., p. 21.
    [12] A. Prochiantz, Machine-esprit (O. Jacob, 2001) p. 72.
    [13] Op. cit., p. 317.
    [14] M. Renard [1920], Les Mains d’Orlac (Belfond, 1998). Voir aussi les adaptations cinématographiques successives de Robert Wiene (Orlacs Hände, All., 1924) ; Karl Freund (Mad Love, USA., 1935) ; Edmond T. Gréville (Fra., 1960).
    [15] P. Sloterdijk, La Domestication de l’Être (Mille et une nuits, 2000), p. 19.
    [16] Ibid., p. 36.
    [17] Op. cit., p. 455.
    [18] Op. Cit., p. 83.
    [19] L. Bloy, Le Désespéré (La Table ronde, la petite vermillion, 1997), pp. 210-211.
    [20] A tel point que le tsunami qui a récemment ravagé les côtes asiatiques a suscité en occident, pensez-y, un certain soulagement. Cette catastrophe, aussi terrible soit-elle, est en effet d’origine naturelle ; elle est alors comprise, inconsciemment, comme la réponse foudroyante de la nature à la puissance technique de l’homme symbolisée par Auschwitz et par les attentats du 11 septembre 2001, béances qui avaient sérieusement ébranlé la confiance de l’occident dans sa propre technique. La profonde culpabilité engendrée par une si intolérable consolation (renforcée par la localisation de la catastrophe et des victimes), expliquerait alors au moins partiellement cet « élan de générosité sans précédent » dont ont fait preuve, selon Michel Serres, les habitants des pays riches…

     

  • Transhumanae Vitae

     

    medium_leonardo_da_vinci_la_vierge_allaitant.2.jpg

     

    « Nous ne savions pas que les premiers embryons avortés dont on faisait des médicaments pour nourrissons malades ouvraient la voie aux gigantesques usines où, aux portes de nos villes, des milliers de nos semblables – oui, de nos semblables ! – sont chaque jour dépecés ?

     

    « Nous ne savions pas que les premières cultures de tissus destinés aux greffes des grands brûlés préparaient la justification humanitaire de la boucherie – oui, la boucherie ! – à l’étal de laquelle les alcooliques viennent aujourd’hui s’approvisionner en foies neufs et les tabagiques en poumons frais ?

     

    « Nous ne savions pas que les premiers bébés éprouvettes, qui nous attendrirent tant, n’étaient que les aînés de ces frères – oui, frères ! – que, sous le label commode de « clones », nous expédions crever par millions dans les incendies de nos usines, dans les radiations létales de nos centrales, dans les gaz toxiques de nos mines, sous les hautes pressions de nos océans ou sous les chenilles de nos chars d’assaut ?

     

    « Si nous ne savions pas, c’est que nous n’avons pas voulu entendre ceux qui savaient : […] – l’Église ringarde, l’Église réactionnaire, l’Église totalitaire, intolérante, inaccessible aux souffrances humaines, fermée aux progrès de la science, disions-nous, moi le premier […].

     

    « Nous ne savions pas ? En réalité, nous avions des yeux mais ne voulûmes point voir, des oreilles mais voulûmes rester sourds… »

     

    J.-M. Truong, Reproduction interdite.

     

    Reproduction Interdite, le premier roman de Jean-Michel Truong, paru en 1988, bien avant Le Successeur de pierre (1999) et Eternity Express (2003), était une oeuvre visionnaire, prophétique, à la fois terrifiante et d'une infinie tristesse, et reste à mon sens la meilleure fiction consacrée au clonage – thème qui obsède pourtant la science-fiction, mais qui y déverse aussi son lot de fantasmes et d’idées reçues. A l’heure où écrivains et journalistes s’interrogent vainement sur la possibilité et l’intérêt de « cloner le Christ » – quand bien même telle chose serait possible, nous n’obtiendrions qu’une copie génétique, un corps plu sou moins identique, mais certainement pas une copie du Christ lui-même –, à l’heure où  Raël et ses fidèles pathétiques défendent un scientisme amoral au nom d’une nouvelle et grotesque eschatologie, à l’heure où La Possibilité d’une île de Michel Houellebecq, qui ne recourre à la figure du clone qu’à d’habiles fins morales et narratives, est mal compris par des médias et un poussah décérébrés, à l’heure donc où le clone vous devient aussi familier que votre ordinateur, une brutale mise au point s’imposait.

    Mon transhumanisme, je l’avais écrit en inaugurant ce blog critique, ne se conçoit qu’au point nodal des enseignements essentiels du Christ et de Zarathoustra, c’est-à-dire qu’il se propose de considérer aussi bien l’amour du prochain que l’amour du plus lointain : « Dans le plus strict respect de la dignité humaine – ce qui nous distingue fondamentalement (pour l’heure…) des machines, étrangères à toute notion d’empathie et seulement préoccupées, génétiquement pourrait-on dire, de leur réplication –, nul, à mon sens, n’est en mesure d’assigner une limite au champ de la connaissance, sinon pour combattre l’immarcescible volonté de puissance qui nous caractérise. ». Jamais paradoxe plus parfait. Le transhumanisme, la modification technique de l’homme par l’homme, est en effet le mode de l’homme, il le caractérise, mais ce faisant il creuse son propre tombeau, il s’enfonce inéluctablement au plus profond de la fosse de Babel. Le Successeur comme déhiscence de l’Homme. Les progrès du génie génétique me passionnent évidemment plus que quiconque, mais le clonage humain est une pratique imminente bien plus problématique que ce à quoi les journalistes nous préparent… Plus que la question, sans doute secondaire, de la construction de l’identité du sujet cloné – indistinction du sujet et de l’objet –, plus que l’arraisonnement de l’humain par la technologie – qui en fait a existé depuis qu’un primate s’est servi d’une pierre comme d’un outil : cet arraisonnement, en un sens, n’est rien d’autre que l’humanité comme process –, c’est aux prémices d’une solution finale auxquels vous assistez sans même vous en rendre compte – une douce apocalypse que vous cautionnez, qui insidieusement fait glisser l’être humain au rang de pièce de machine. Et vous, chers lecteurs, vous-mêmes êtes les agents serviles de ce nouvel holocauste.

    medium_reproduction_interdite.jpgSous forme de dossier d’instruction (transcriptions d'écoute, articles de journaux, lettres, etc.), Reproduction interdite déroule son implacable démonstration avec une rigueur, une froideur d’entomologiste qui renvoie au lecteur ses lâches compromissions. Le juge Norbert Rettinger, avec l'aide de la belle commissaire de police Nora Simonot, exhume une affaire d'ampleur internationale, mettant gravement en cause divers gouvernements et multinationales, et ébranlant la puissante industrie du clone. Nous sommes en France, en 2037. Les clones humains, génétiquement amputés d’une petite partie du cerveau et donc profondément débiles, sont depuis longtemps utilisés à des fins médicales (transplantations d'organes, transfusions sanguines, expériences diverses...), industrielles (recyclage des déchets...) et militaires (chair à canon), depuis que les dernières résistances d'ordre éthique ont été balayées grâce, entre autres, à l'acceptation par l'Eglise de la non-humanité du clone, désormais considéré comme un robot organique, sans plus de droit qu’un autocuiseur. Tout le monde s'en accommode, vous, moi, vos enfants, sauf quelques agitateurs subversifs volontiers qualifiés de terroristes fanatiques. Mais à la suite de divers rebondissements, les millions de clones « élevés » dans le camp CP24 doivent être supprimés, de la même façon qu’un cheptel d’animaux est aujourd’hui abattu dès que plane un soupçon de contamination par l'encéphalopathie spongiforme bovine. Entre temps, Rettinger aura appris à considérer les clones, qui pour lui n’étaient que de la chair à son service, comme ses égaux en droit.

    Vous n’y croyez pas ? Vous ne trouvez pas ce scénario crédible ? Détrompez vous. Pour Jean-Michel Truong, dont l’avertissement n’a évidemment pas été écouté – comme pour Peter Sloterdijk –, nos lois éthiques actuelles, notre contexte socio-économique, sont en train de constituer un terreau plus que favorable à l’institution d’un holocauste autorisé, officiel, politiquement correct, parce que la logique et l'ontologie mêmes de l'éthique, pour reprendre les mots de Sloterdijk, sont sinon impensées, du moins déformées par la répartition erronée de l'étant entre d'une part le spirituel, l'humain et d'autre part le concret, l'inhumain. C'est au nom de cette éthique dont vous vous réjouissez que l'horreur sera répétée encore et encore, sous vos yeux bienveillants. On parle déjà d’utiliser des organ bags, clones acéphales donc inhumains, qui constitueraient une réserve d’organes pour nos transplantations. Notre civilisation va bientôt être confrontée à un grave problème de conscience auquel l’Eglise, désormais réduite à son rôle de repoussoir réactionnaire – ce qu'elle est assurément –, n’apportera d’autre réponse qu’une indignation aussi prévisible qu’attendue – une lettre encyclique n’y changera rien –, à moins qu’elle refuse tout simplement d’accorder une âme aux clones, auquel cas le problème serait rapidement réglé. Ce que vous refusez d’admettre, chers lecteurs, chers agents exterminateurs de tous horizons, c’est que vous-mêmes accompagnerez l’abjection avec indifférence, avec intérêt, voire avec convoitise. Je l’affirme ici sans ambiguïté, au risque de me voir agoni d’injures : tolérer l’avortement, c’est entériner la future jurisprudence qui permettra l’usage intensif et industriel de clones auxquels sera refusée la dignité humaine.

    Je sais pertinemment qu’écrire cela, c’est s’exposer à de violentes attaques. Je sais qu’on m’accusera d’être un pro-life, moi qui me méfie des religions comme de la peste, mais qu’importe : au moins serez-vous prévenus, au moins agirez-vous en toute connaissance de cause, lorsque les premiers cas de clonage humain surviendront officiellement, lorsque, peut-être, la médecine ou une industrie vous proposeront de prolonger votre espérance de vie, ou celle de vos enfants, d’un, de dix ou de vingt ans grâce au clonage. Si l’avortement est toléré en effet, c’est parce que le législateur a décrété qu’un amas de cellule n’avait pas de dignité humaine. Or, comment convaincre ce même législateur qu’un clone au cerveau diminué, au corps déformé, ne pouvant assumer son rôle social de par sa nature même, devrait cependant bénéficier des mêmes droits que vous et moi ? Je vous vois venir… Les handicapés ? Non, eux ont été victimes d’un accident de la nature, quand les clones ne sont que des produits de fabrication. Aujourd’hui, certains scientifiques nous font admettre l’utilité médicale – indéniable – d’éventuels organes créés in vitro. En effet, si l’on vous dit aujourd’hui qu’en cas d’accident, votre rein ou votre foie peuvent être remplacés par un clone de l’original, avouez que vous êtes tentés… Si l’on vous dit que votre durée de vie peut être augmentée de plusieurs années si vous acceptez diverses transfusions et transplantations, si l’on remplace vos organes vieillissants par des modèles de première fraîcheur, avouez que quelles que soient vos convictions morales ou religieuses, vous ne pourrez que céder à vos rêves d’immortalité… « Mais oui, enfin, cher Transhumain, bien sûr que nous acceptons ! Un foie n’est pas un être humain, admettez au moins cette évidence ! » Un foie ? Et un fœtus ?... Mais admettons… Il est en fait très improbable que les laboratoires puissent dans un avenir relativement proche réussir cet exploit. Un organe ne se développe en effet que dans un environnement interactif : il n’acquiert sa forme qu’au cours de la morphogenèse. Autrement dit, le seul moyen techniquement envisageable de disposer d’organes de rechange est le clone. Lorsque les laboratoires avoueront leur échec, il sera trop tard : l’idée de transplantations médicales d’organes clonés sera déjà admise, solidement ancrée dans nos esprits trop avides d’une nouvelle jeunesse, d’une seconde chance. L’étape suivante, la production industrielle de clones à usage médical pourra alors commencer, et nous pouvons d’ores et déjà avancer qu’elle connaîtra un succès prodigieux – la recherche étant majoritairement financée par les industries, celles-ci devront inexorablement être payées en retour, et de façon plus conséquente que les dérisoires revenus de l’aide à la procréation…

    Alors l’être humain, déjà déconsidéré par l’Holocauste, déjà en voie de machinisation avancée, se dépossédera lui-même de sa propre humanité – je ne parle pas de son corps, qui pour moi n’est qu’un médium auquel nous pouvons avantageusement greffer diverses extensions, mais bien de son essence métaphysique –, car si le clone débile ou acéphale peut être dépecé, remplacé, fabriqué, réparé, nous-même éprouverons les plus grandes difficultés du monde à conserver notre dignité humaine. Nous ne serons plus que les pièces d’une machine utilitariste, celle que Maurice G. Dantec redoute tant dans Cosmos Incorporated, celle que Jean-Michel Truong, s’il la craint tout autant, espère voir succéder à cette humanité à jamais damnée par ses crimes. Et tout cela sera possible parce qu’un jour, nous avons décidé, pour des raisons que je me refuse ici de juger, qu’un fœtus n’accède à la dignité humaine qu’au terme de douze semaines d’aménorrhée, y compris lorsque l’intégrité de la mère n’est pas menacée. Il est certains combats où les conclusions matérialistes les plus athées rejoignent les positions spirituelles les plus intransigeantes...

     

  • Alexandre Beliaev, Le Pain éternel

     

    medium_alexandre_beliaev_le_pain_eternel.jpg

     

    « La Nature est prodigue. Sur une centaine de plants, un ou deux seulement survivraient ; sur une centaine d’espèces, une ou deux.
    Mais pas l’homme. »
    T. M. Disch, Génocides

     

    Avant de commencer l’année 2006 par quelques critiques de nouveautés – L’Ultime tabou de Franca Maï (le Cherche Midi, 2005), Electrons libres de James Flint (Au Diable Vauvert, 2006)… –, ou de curiosités et rééditions – Les géocroiseurs d’Eric Pessan (La Différence, 2004), Le Gambit des étoiles de Gérard Klein (Le Livre de poche « Science-fiction », 2005), Dernière conversation avant les étoiles, passionnante et frustrante série d’entretiens avec Philip K. Dick déjà évoquée ici… –, permettez-moi de clore le mouvementé chapitre 2005 par l’évocation d’une rareté slave miraculeusement échouée dans ma boîte à lettres.

     

    De la science-fiction russe, le lecteur français ne connaît rien ou presque : hormis Evgueni Zamiatine (Nous autres, Gallimard « L’imaginaire », 1971) et Arcadi & Boris Strougatski (Stalker, Denoël « Présence du futur », 1994) – ainsi, à la rigueur, qu’Ivan Efremov, dont le nom nous est plus familier que l’œuvre, et peut-être Vladimir Volkoff, dont les éditions L’Âge d’homme ont réédité récemment La Guerre des pieuvres et Le tire-bouchon du bon Dieu, écrits en français –, nous serions bien en peine de citer d’autres noms marquants… Or si l’on croit la préface de l’anthologiste Leonid Heller à l’introuvable Livre d’or de la science-fiction soviétique (Pocket, 1984), le genre avait suscité sous le régime communiste de nombreux textes tantôt inféodés au Parti, tantôt farouchement critiques, mais souvent admirables.

    Remercions donc les éditions Langues & Mondes/L’Asiathèque qui nous font aujourd’hui découvrir (en version bilingue !) le talent d’un certain Alexandre Beliaev (1884-1942) dont la biographie, brièvement esquissée par la traductrice (Aselle Amanaliéva-Larvet) en introduction, est déjà un roman... Fasciné par Jules Verne et par la science, le jeune Beliaev « construisait des ailes en paille, attachait des balais à ses bras ou s’accrochait à un parapluie ou à un parachute fait d’un drap, montait sur le toit et… se jetait dans le vide. » (p. 8), abandonna un séminaire religieux imposé par son père et devint juriste avant de se consacrer au théâtre pendant quinze ans, non sans avoir construit des barricades en 1905 pendant les émeutes de Moscou. Frappé d’une pleurésie, il resta paralysé des membres inférieurs de 1916 à 1922 (« C’est là que j’ai réfléchi et perçu tout ce que peut subir une “tête sans corps”. », p. 9), devint chercheur, collabora à divers journaux et rédigea ses premiers textes de science-fiction. A la fin des années trente, à Pouchkine (!) au sud de Léningrad, Beliaev rencontra Alexeï Tolstoï (autre auteur de science-fiction dont on peut lire une nouvelle dans Le Livre d’or mentionné plus haut) et publia de nombreux textes. « En 1940, il subit une opération aux reins […]. Beliaev suivit l’intervention dans un miroir accroché devant lui à sa demande. » (p. 12). Il décède en 1942 dans Pouchkine occupée par les nazis.

    Le Pain éternel, recueil de quatre nouvelles choisies et traduites par Aselle Amanaliéva-Larvet, prouve s’il en était encore besoin – les récalcitrants sont nombreux ! – que la science-fiction, en spéculant sur notre avenir, s’intéresse avant tout à notre temps présent. De fait, plusieurs problèmes envisagés ici par Alexandre Beliaev[1] nous concernent directement.

    La longue nouvelle de 1928 qui donne son titre au recueil, « Le Pain éternel », relate les espoirs suscités par la formidable invention du professeur Brojer : une substance vivante et nourrissante semblable à une gelé d’œufs de grenouilles, laquelle, si l’on en mange la moitié, se régénère totalement en une seule journée – si bien qu’un seul pot suffit en principe à nourrir un individu tout au long de sa vie. Seulement, le secret du scientifique n’aurait jamais dû être éventé : pour une bouchée de cette pâte miraculeuse – version science-fictive de La Nappe magique et d’autres contes du même type –, les pauvres pêcheurs de l’île de Fair vont s’entretuer avant d’être phagocytés par des industriels sans scrupule, puis par l’Etat qui s’arroge le monopole du commerce de la pâte. Las ! Si le professeur Brojer, qui réservait son invention à l’éradication de la famine, n’avait déposé aucun brevet, il avait pour cela une bonne raison : le produit semblait en tous points parfait, mais ses expériences n’étaient pas encore achevées ! Or, alors que tout le monde, dans le pays et au-delà des frontières, semble posséder son pot de précieuse mixture, celle-ci commence à croître anormalement, à déborder, à envahir les maisons, jusqu’à s’étendre, invincible, sur terre comme à la surface des mers… L’humanité saura-t-elle trouver une parade à cette apocalypse grotesque et métastatique ?... La course effrénée au profit, l’impasse d’une éthique officielle corrompue par les enjeux économiques, l’espérance savamment entretenue par les marchands en la fin de tous les maux au moyen d’un produit-miracle, ont raison de la plus élémentaire prudence. En manipulant ainsi la vie, en substituant à une chaîne alimentaire traditionnelle un mode d’alimentation aussi nouveau qu’artificiel, le professeur Brojer savait que le pire était envisageable – mais n’en travaillait pas moins avec acharnement. Cela ne vous rappelle rien ? ORGANISMES GENETIQUEMENT MODIFIES. De même que le clonage humain ne devient problématique que s’il est considéré en termes fantaisistes plutôt que rationnels, de même ne condamnons ni ne portons aux nues les techniques transgénétiques – chez Beliaev, moraliste optimiste, point de technophobie, au contraire : le salut viendra encore de la science et de la technique. Soyons positivistes, gardons-nous donc de la cadavérique stase réactionnaire, mais montrons-nous inflexibles et refusons toute exploitation commerciale d’organismes transgéniques dont l’innocuité pour l’homme et pour son environnement, ne l’oublions jamais, reste encore à prouver…

    « La Lumière invisible », le second texte du recueil, s’avère lui aussi d’une sidérante modernité. Un médecin ambitieux (Kruss) permet à un aveugle (Dobbel) de voir non pas le monde visible tel que nous le voyons, mais seulement, grâce à un récepteur connecté à ses nerfs optiques, le monde électrique tel que le « voient » les galvanomètres. A la splendeur du paysage inédit qui s’offre à notre aveugle aux yeux électrique succède hélas rapidement la monotonie de la vie sociale : Dobbel, engagé par la Compagnie générale d’électricité au titre d’appareil vivant d’expérimentation, s’ennuie ferme. Kruss lui rend sa vision « normale ».  Dobbel, désormais privé d’emploi, orphelin des beautés de la « lumière invisible », voit comme vous et moi, mais le monde n’est-il pas d’une tristesse à pleurer ?... Ici, l’apport cybernétique est bien décrit comme une positive extension du corps humain, et non comme la profanation d’un temple sacré. Inutile de préciser que je souscris intégralement à cette vision prototranshumaniste des anthropotechniques.

    Dans la troisième nouvelle, « Monsieur le rire », un jeune ingénieur-mécanicien avide de réussite, Spaulding, entreprend de découvrir l’ultime secret du rire, source de succès assurés. Mais dès l’instant où il y parvient, au terme d’une implacable démarche rationnelle, Spaulding tue tout rire en lui. « Je me suis volé à moi-même… », lance-t-il au comble du désespoir (p. 283). Je ne résiste pas à l’envie de vous offrir la conclusion de ce texte aussi drôle que féroce : « Les plus grands artistes comiques finissent souvent dans une mélancolie noire, disait le médecin. Mais son jeune assistant, un original et un amateur de paradoxes, assurait que Spaulding avait été tué par l’esprit américain de mécanisation. » (p. 283)… Américain, vraiment ? Ou soviétique ?... Je suis décidément stupéfait de trouver dans les textes de ce Russe d’avant-guerre une telle acuité de regard – acuité, mais aussi ambivalence : ne cachons pas que chaque texte pourrait sans doute être interprété de très différente manière –, non seulement sur les forces à l’œuvre, soviétiques et capitalistes, mais encore sur la richesse et la complexité du progrès scientifique. Ici  en effet, vous l’aurez noté, ce n’est pas l’analyse du vivant en soi qui est condamnée, mais seulement la confusion de l’inerte et du métaphysique : considérer l’homme, qui est créature productrice d’âme, comme une simple machine – alors qu’il est une machine, certes, mais infiniment complexe, et que les choses de l’esprit relèvent de l’indéterminé –, est une grossière erreur passible de mécanisation du monde – où l’on en revient à Anders et à Dantec...

    Dans « Cap à l’ouest » enfin, dernier texte du Pain éternel, Beliaev se montre diablement ingénieux. Le « Grand Esprit », surhomme aux facultés mentales extraordinaires, fruit du long travail de scientifiques eugénistes, est sur le point de mourir. La communauté scientifique, affolée à l’idée de devoir se passer, même momentanément, des lumières d’un tel cerveau , lui demandent alors de chercher toutes affaires cessantes le moyen de prolonger sa propre vie, de façon à pouvoir mener à bien le projet en cours… Notre Grand Esprit, se basant sur les théories relativistes, a alors l’idée fantastique de s’installer avec son laboratoire et ses assistants dans une grande fusée volant indéfiniment vers l’ouest (c’est-à-dire dans le sens inverse de la rotation terrestre) à la vitesse, censée relativiser le déroulement du temps, de mille six cent soixante-six kilomètres et six dixièmes à l’heure. Le résultat est au-delà des espérances : le Grand Esprit ne vieillit plus mais… pour lui, comme pour les autres passagers, le temps s’est arrêté ! Pire : suite à une erreur de calcul après plusieurs rebondissements, le pilote augmente encore la vitesse de la fusée… dans laquelle un physicien envoyé en reconnaissance ne trouve que des bébés, tous morts à l’exception d’un seul, le Grand Esprit sauvé par son intelligence supérieure… Passons sur l’aspect scientifique du texte, en grande partie obsolète – même si demeure intact le mystère d’éventuels paradoxes temporels –, et saluons plutôt l’audace et l’humour mordant de Beliaev, qui pour un prétexte matérialiste que n’aurait pas renié le Parti, souffla à ses contemporains que c’est à l’ouest, seulement à l’ouest que le renouveau naîtrait…

     

    Il n’y a pas de hasard. « Ce n’est pas parce que deux nuages se rencontrent que l’éclair jaillit, écrivait Raymond Abellio, c’est afin que l’éclair jaillisse que les nuages se rencontrent ». Le Pain éternel surgit en France précisément au moment où nous avons cruellement besoin non de maîtres à penser (ce que ne sont ni le footballeur Lilian Thuram, ni le populiste Nicolas Sarkozy, pas plus d’ailleurs qu’Alain Finkielkraut[2]) mais de passeurs (stalkers) comme Alexandre Belaiev, réactionnaires ou progressistes, apocalyptiques ou utopistes, mais toujours prophétiques – des grands écrivains d’anticipation capables de nous faire entrevoir la « lumière invisible ».

     

    Tenez, puisque vous êtes encore là, j’en profite pour vous signaler aussi la parution le 5 janvier 2006 d’un inattendu Omnibus intitulé Catastrophes, brièvement présenté par Michel Demuth (« le malheur a commencé dès que le premier feu a été allumé »[3]) et réunissant des œuvres assez datées (Terre brûlée de John Christopher, Soleil vert de Harry Harrison, et le remarquable Génocides de Thomas Disch) et deux autres que je n’ai jamais lues (La fin du rêve de Philip Wyle et La Goélette des glaces de Michael Moorcock). Cinq romans cataclysmiques pour le prix d’un : largement de quoi reprendre du poil de la bête ! Le 21e siècle sera transhumain ou ne sera pas.



    [1] Après vérification, la traduction française d’un roman d’Alexandre Beliaev, L’Homme amphibie, est disponible depuis 1988 aux éditions Radouga (Moscou).

    [2] Alain Finkielkraut, dont on devine quelle fut la réaction au coup d’éclat de Marc-Edouard Nabe, en 1985, sur le plateau d’Apostrophes… ou celui de Renaud Camus dans son journal de 1994, La campagne de France...  Dénombrer les Juifs parmi les invités d’une émission, et dénombrer les Noirs dans le onze de départ de l’équipe de France de football, relève de la même logique.

    [3] M. Demuth, « La Terre gronde, le ciel tombe, il gèle en enfer… Les nouveaux voyages de Gulliver » in Catastrophes (Omnibus, 2006), p. IV.

  • Ouverture

    Echecs.jpg

     

     

    « Maintenant l’échiquier respirait la vie, tout y était concentré sur un point déterminé, tout s’y resserrait de plus en plus ; la disparition de deux pièces apporta une accalmie passagère, puis éclata un nouvel agitato. La pensée de Loujine errait dans des ténèbres à la fois attrayantes et horribles, elle y rencontrait parfois la pensée inquiète de Turati, qui cherchait ce qu’il cherchait lui-même. »

    Vladimir Nabokov, La défense Loujine.

     

     

    « Tout le monde ne peut écrire une pièce de théâtre, construire un pont, voire faire un bon mot. Mais, dans le jeu d’échecs tout le monde peut et doit créer intellectuellement et savourer ce plaisir de choix. J’éprouve toujours un peu de pitié pour ceux qui ne savent pas y jouer, comme j’en ai pour ceux qui n’ont jamais connu l’amour. Les échecs, comme l’amour, comme la musique, ont la possibilité de donner du bonheur à l’homme. »

    Siegbert Tarrasch, Traité pratique du jeu d’échecs.

     

     

    Je ne connais rien de plus obsédant, rien de plus fascinant que les soixante-quatre cases et les trente-deux pièces du jeu d’échecs. S’y plonger sérieusement, étudier les ouvertures et les parties célèbres, consulter les manuels, pratiquer les exercices et résoudre les problèmes, peut vous rendre fou, comme le savaient les héros de Zweig et de Nabokov auxquels les médecins conseillèrent de prendre leurs distances – ou le grand Bobby Fisher, dont la paranoïa n’avait d’égale que le génie.

     

    Le joueur du XXIe siècle a la chance, que n’avaient pas ses aînés, de pouvoir s’adonner à son vice à tout moment. Si son plus grand plaisir reste de s’installer devant un simple échiquier en bois en compagnie d’un amateur au cortex incarné, il peut en effet se connecter à l’un des nombreux sites de jeu en ligne ou encore se mesurer à une machine. Je préfère de beaucoup en vérité jouer contre un être humain, une créature relativement fantasque et encline aux mauvaises appréciations. S’attaquer à un puissant logiciel, en effet, c’est certes s’éviter les combinaisons inouïes de telle Partie du Siècle (Byrne-Fisher, 1956), mais c’est aussi abandonner tout espoir de profiter d’une erreur – et se résoudre à perdre un nombre incalculable de parties sans jamais être certain d’en venir un jour à bout.

     

    Il en va ainsi de mon incessant combat aux accents sisyphiens avec le redoutable Little Chesspartner de Lokasoft, qui a aussi cet avantage de réagir avec une rapidité exemplaire – car il est vrai, oui, que si je préfère jouer sur la table d’un café, je ne puis résister au défi lancé par le règne cybernétique. J’ai joué avec les blancs, avec les noirs, des parties ouvertes ou fermées, ou semi-ouvertes. J’ai essayé toutes les ouvertures, toutes les défenses connues. Rien à faire. La défaite, encore et encore. L’homme chaleureux laminé par la froide machine. J’ignore combien de parties mon redoutable adversaire et moi avons jouées – disons une centaine. Et même si ma concentration a parfois laissé à désirer, faute d’un environnement propice, il me faut admettre que sur ces cent parties présumées, Little Chesspartner m’a battu quatre-vingt-douze fois. À sept reprises – surtout ces derniers temps, signe manifeste, semble-t-il, de progrès –, j’ai réussi à arracher le nul (six fois avec les blancs, que je choisis généralement, et une fois avec les noirs et ma défense Caro-Kann), suite à un prudent positionnement visant moins à transpercer les troupes ennemies qu’à ériger une infranchissable muraille autour de mes bases arrières. Quatre-vingt douze et sept. Il en manque une !... Oui, oui, cela signifie, mes lapins en sucre, que j’ai tout de même vaincu mon adversaire virtuel lors d’une seule, unique et mémorable partie espagnole jouée avec les blancs, désamorçant la sournoise défense Schliemann des noirs, également appelé gambit Jaenisch (1. e4 e5 2. Cf3 Cc6 3. Fb5 f5!?) grâce au prudent 4. d3, avant de bénéficier d’un très léger avantage de position de mes pions obtenu au moyen d’audacieuses combinaisons. Promouvoir un pion en Dame était alors un jeu d’enfant (à condition toutefois de ne pas commettre la moindre erreur, car plusieurs fois la machine a obtenu la partie nulle, voire la victoire, par la faute d’un mouvement mal choisi de mon Roi).

     

    Malheureusement ce genre d’événement est pour l’heure resté sans lendemain. Tenez, hier soir encore, alors que la Machine répondait cette fois par une étrange défense Barnes (e4 f6), je réussis d’abord à l’acculer à la faute, empêchant son roque et prenant sa Dame contre une Tour et un fou, mais ce fut au prix d’un terrible affaiblissement du flanc droit : harcelée, ma Dame dut se réfugier en b2 – où elle était impuissante –, tandis que les noirs, forts de leurs tours et de leurs fous, exploitaient brillement l’isolement de mon Roi. Quelques coups plus tard, atterré, j’étais maté. Une nouvelle fois.

    echiquier.gif
  • Visionnaire Raymond Abellio !

    medium_284653678.jpg
    Coup sur coup, en l’espace de quelques heures, deux messages de la liste des Mutants apportent d’étonnants arguments scientifiques aux positions de Raymond Abellio sur l’homosexualité d’une part, et sur les intelligences féminine et masculine d’autre part. Pour Abellio, si l’homosexualité est d’abord la manifestation d’une inversion du féminin et du masculin, autrement dit l’emprise chez un homme de l’intelligence féminine – davantage intuitive, étalée, que logique et structurée – ou vice versa, sa véritable signification, c’est-à-dire sa positivité, n’apparaîtra que dans un autre cycle de temps, d’un point de vue structuraliste. C’est ce qu’il appelle, reprenant un terme biologique, un « fait néoténique » Or voici ce qu’écrivent les Mutants, reprenant un article de David Ryan Alexander (« Gene scan suggests homosexuality origin », in PlanetOut Network) : « L'équipe de Brian Mustanski vient de publier dans la revue de biométrie 'Human Genetics' une étude sur les gènes de prédisposition à l'homosexualité masculine. Les génotypes de 456 individus appartenant à 146 familles comptant au moins deux frères homosexuels ont été intégralement scannés. Des marqueurs ont été identifiés dans trois régions d'intérêt des chromosomes 7, 8 et 10. […] Malgré la fréquente répression des morales et religions dominantes, il semble que toutes les sociétés connaissent ou ont connu l'existence d'une minorité homosexuelle, le phénomène étant même documenté dans le règne animal. L'homosexualité des mâles est généralement corrélée à des traits neuro-anatomiques et hormonaux s'écartant de la moyenne de leur sexe. La question est nettement moins étudiée chez les femelles. Une prédisposition à l'homosexualité semble poser problème du point de vue de la théorie de l'évolution, puisqu'un homosexuel a par définition peu de chance de répandre ses gènes dans la génération suivante (donc, les gènes de prédisposition devraient disparaître peu à peu du pool génique). Mais le problème n'est qu'apparent. On sait en effet depuis longtemps que certains gènes ont un effet pléiotropique, c'est-à-dire qu'ils interviennent simultanément dans la genèse de plusieurs traits. Il suffit qu'un de ces traits soit adaptatif pour que le gène se transmette malgré le caractère non adaptatif des autres traits qu'il code. Par exemple, le gène récessif qui provoque l'anémie falciforme (maladie grave du sang) protège par ailleurs de la malaria, raison pour laquelle un Africain sur dix en est porteur. L'identification future des gènes de l'homosexualité permettra certainement d'identifier leur pléiotropie et sa fonction adaptative. » Il se pourrait donc – ce n’est qu’une hypothèse, mais ne la négligeons pas – que l’homosexualité s’avère parfaitement justifiée, d’un strict point de vue évolutif, donc génétique et même mémétique, le phénotype étant sans doute déterminant dans l’orientation sexuelle de l’individu. Voici ce qu’on peut lire dans le second article de la Mutaliste (la liste de diffusion des Mutants), consacré aux divergences intellectuelles entre les deux sexes : « On sait que les hommes et les femmes obtiennent sensiblement les mêmes scores aux tests de QI, qui mesure l’intelligence ou capacité cognitive générale. Il existe toutefois des différences entre les deux sexes. Ainsi, l’écart-type des femmes est plus resserré que celui des hommes : cela signifie que l’on trouve moins de femmes aux deux extrémités de la courbe statistique de distribution de l’intelligence (moins de femmes en moyenne chez les très faibles et très hauts QI). Au sein des tests de QI, les deux sexes n’ont pas non plus les mêmes performances. Ainsi, les femmes dépassent les hommes dans les tests de capacité verbale, alors que l’inverse est vrai pour les tests faisant appel aux capacités visuospatiales (rotation de figure dans l’espace). Le Dr Richard Haier (Université du Nouveau Mexique) a voulu vérifier si le cerveau des hommes et des femmes procède de la même façon face à un test d’intelligence. Pour cela, ils ont cartographié le cerveau à l’aide de deux techniques de pointe, l’imagerie par résonance magnétique et la morphométrie à base voxel. Les résultats sont très intéressants. Les hommes utilisent leur matière grise 6,5 fois plus que les femmes, les femmes leur matière blanche 10 fois plus que les hommes. La matière grise désigne les centres de traitement de l’information, la matière blanche les connexions entre ces centres. En d’autres termes, l’intelligence féminine est mieux distribuée que l’intelligence masculine : plutôt que faire travailler “à fond” un module cognitif, les femmes en font travailler plusieurs qui traitent simultanément les informations. Selon les chercheurs, cela pourrait expliquer pourquoi les hommes sont meilleurs en tâches analytiques appelant un traitement local (mathématiques par exemple), les femmes en tâches synthétiques requérant un traitement global (langue par exemple). Matière blanche et matière grise ne sont pas les seules différences entre les sexes. La localisation du traitement de l’information n’est pas non plus la même. Chez les femmes, 84 % de la matière grise et 86 % de la matière blanche utilisés sont situés dans les lobes frontaux, alors que ces taux chutent à 45 % et 0 % respectivement chez les hommes. Cette découverte intéresse les médecines, et pas seulement les psychométriciens. On sait en effet que les troubles liés aux lobes frontaux (comme certaines démences séniles) ont des effets cognitifs plus prononcés chez les femmes que chez les hommes. A l’avenir, des tests de détection plus ciblés pourront être mis en place, ainsi que des protocoles thérapeutiques mieux adaptés aux pratiques cognitives de chaque sexe. » Stupéfiant, n’est-ce pas ? Ainsi, la dialectique complexe, parfois jugée réactionnaire, voire franchement sexiste, que Raymond Abellio avait tissée entre sexualité et intelligence masculines et féminines pourrait bien être légitimée par la science ! Il nous faut cependant considérer l'hypothèse avec prudence, ces observations pouvant n’être en réalité que les conséquences biologiques de facteurs environnementaux – culturels ou autres – et non leurs causes. Abellio aurait même été le premier à le concéder. Je ne résiste pas, pour conclure et pour appuyer ce que je viens d’écrire, au plaisir de citer l’écrivain lui-même, dialoguant avec Marie-Thérèse de Brosses dans un passionnant livre d’entretiens (éditions Belfond, 1966, p. 141) : « M.-T. B. – […] Mais alors, la femme et la médecine ne sont pas tout à fait d’accord, parce que les facultés du cerveau vont se ralentissant. R. A. – Qui dit cela ? Non, les facultés du cerveau ne vont pas se ralentissant, en tout cas pas chez l’homme ! Pas chez l’homme de connaissance ! M.-T. B. – Voyez simplement le problème de la mémoire ! R. A. – Attention, la mémoire de quoi ? Justement c’est un problème que la médecine ne comprend pas, parce qu’elle ne le dialectise pas ! La médecine traite ce genre de problèmes de façon mécanique, pas dialectique. Elle parle de rendement de la mémoire, mais à quoi mesure-t-elle ce rendement ? Au souvenir d’un tas de petits faits sans importance, à l’érudition « pure » ? Mais l’érudition pure, du point de vue de la connaissance, n’a aucun intérêt. La vraie mémoire n’est pas du tout celle des mots, ou des incidents sans importance, mais la capacité de mettre en structure, de réduire et d’intégrer les mots et les anciens incidents… »