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thomas pynchon

  • Thomas Pynchon, L'Arc-en-ciel de la gravité

     

    thomas pynchon, l'arc-en-ciel de la gravité, gravity's rainbow

     

    Contrairement à la croyance populaire, L'Arc-en-ciel de la gravité (Gravity's Rainbow, 1973) de Thomas Pynchon n'est pas un imbittable collage postmoderne, mais la quête effrénée par ses personnages errants des signes d'on ne sait trop quoi, probablement de la structure absolue, de l'unité de la Création, d'un enchantement définitivement perdus semble-t-il dans le chaos de la deuxième guerre mondiale et de la Zone. Comme Enzian du Schwarzkommando apprend à lire le Vrai Texte des ruines industrielles pour y chercher la Fusée-Torah (qu'il finira d'ailleurs par assembler), Slothrop bande aux futurs points d'impact des V2 : c'est l'Arbre de Vie qu'il désire... Et qu'il finit peut-être par trouver, en se dispersant, immortel (comme Byron l'ampoule révolutionnaire increvable), aux quatre coins de la Zone. La paix de Dieu, incarnée en martyr masochiste de L'Homme Blanc (aka Blicero), termine pulvérisée dans la Fusée 00000, sans que nous sachions si c'est pour disparaître définitivement, ou pour se diffuser sous forme de lumière dans le monde en cercles concentriques à partir de la salle de cinéma finale – à l'image de Tyrone 'Rocketman' Slothrop...

     

  • Saeglópur

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    Hier, aux alentours de dix-huit heures, aux Jardins atlantiques de Montparnasse, j’ai vu deux objets volants non identifiés traverser le ciel parisien – deux formes blanches sphériques, ou ovoïdes, aux trajectoires étranges. Des ballons-sondes, sans doute, lâchés au-dessus de nos caboches pour mesurer l’étendue de notre inexorable grouillement…

     

    *

     

    Dans les librairies aussi, songeai-je, submergées par les romans de la trop fameuse « rentrée littéraire », ça grouille. Beaucoup de bons livres, sans doute, mais pas grand-chose qui fasse vraiment envie. Lacrimosa de Régis Jauffret, Zone de Mathias Énard et Le Messager d’Éric Bénier-Bürckel, sont les seuls romans français que je me suis promis de lire dans des délais acceptables (avec Bastard Battle de Céline Minard, qui a l’air amusant). Chez les étrangers, Vélum de Hal Duncan – le pavé SF du moment – et Bêtes sans patrie de Uzodinma Iweala. S’il ne fallait en lire qu’un seul, j’opterais sans hésiter pour Contre-Jour de Thomas Pynchon. Mais méfions-nous des unanimités et, à l’inverse des dindons postmodernes, ne nous prosternons pas avant d’avoir effectivement lu le monstre.

     

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    Ils étaient beaux, ces ballons, ou quoi qu’ils fussent. Leur aérienne et virginale insouciance rendait plus pâles encore nos atermoiements incessants. Quelque part dans les jardins, un estomac gargouilla.

     

    *

     

    Non. Je ne lirai pas Le Marché des amants de Christine Angot, répondis-je à l’estomac inconvenant. Mais tout de même, si certains ont su, exemples à l’appui, ridiculiser sa prose étique et, disons-le, franchement nulle, d’autres n’ont pour seul arme que leur évidente mauvaise foi. Ainsi Ludovic Barbiéri qui dans un Chronic’art #48 aussi décevant qu’alléchant, égratigne le verbe angotique, qualifié pour l’occasion – et non sans raison – d’« autofiction intestinale », avant d’être accusé de manquer de tenue. Triviale, la littérature de Christine Angot l’est, assurément. Mais la trivialité n’a jamais été un obstacle à la beauté. Combat d’arrière-garde. La litanie des conquêtes sexuelles de Marc-Édouard Nabe n’a pas empêché Alain Zannini d’atteindre des sommets tragi-comiques – et métaphysiques. Rien de commun, certes, entre le génie de Nabe et le petit talent d’Angot, mais je m’amuse de voir tous ces apôtres de la subversion plisser du nez devant l’égotisme d’une romancière qui leur livre en pâture le vide absolu de son existence. Ludovic Barbiéri, donc – à ne pas confondre avec Jacques Barbéri, également au sommaire –, non seulement ne pardonne pas au Marché des amants son insignifiance – rien, pourtant, que de très prévisible –, mais encore, et c’est là que le bât blesse, l’accuse d’informité stylistique. C’est tout à fait possible, notez bien. Mais l’honnêteté m’oblige à dire le peu de valeur de ses arguments. Voici, donc, ce qu’écrit notre chroniqueur :

     

    « Quant au style, on s’en doute, il ne sauve pas le roman du naufrage. Angot a choisi de tout écrire à l’imparfait, même quand le passé simple s’imposait (« Le lendemain matin je me réveillais tôt ») ou le passé antérieur (« C’était dans une fête rue de Rivoli un an plus tôt, je le prenais de haut, je partais, il me suivait dans l’escalier »). C’est original, à défaut d’être conforme à la syntaxe. On a hâte d’entendre les subtiles raisons qui ont poussé la romancière à ce parti-pris. A moins qu’il faille y voir un indice d’analphabétisme, qui s’ajouterait aux nombreux autres qu’on a relevés en cours de lecture : incohérences (« Il la trompait de temps en temps, régulièrement »), répétitions en pagaille (« Il aimait la nuit, pas la nuit la fête, mais la nuit quand il fait noir, quand il fait nuit »), constructions de phrases aberrantes (« C’est ce que dans la boîte tout le monde se dit »), et innombrables séquences de charabia qui, dans la littérature contemporaine, sont ce qui s’approche le mieux d’une reconstitution du petit-nègre. »

     

    Autrement dit, Barbiéri reproche au fond à Christine Angot d’avoir sciemment transgressé des règles plutôt que de s’y être conformée… Accusations navrantes. Ces répétitions, ce phrasé incantatoire, caractérisent la voix d’Angot, ils constituent la chair, aussi fade soit-elle, de sa « petite musique », bref, de son style, reconnaissable entre tous, que recherchent visiblement ses lecteurs, somme toute assez nombreux. On peut trouver ça fatiguant. On peut considérer que ça n’a d’autre but que de masquer le néant (de boucher des trous, se gausseraient ses contempteurs). On peut même n’en avoir rien à battre. Mais qu’on le veuille ou non ça reste un style. Mon Dieu, pensais-je, les yeux rivés aux ballons-sondes. Pour la première et, j’espère, dernière fois, je venais de défendre Christine Angot contre sa meute d’abhorrateurs.

     

    *

     

    Les ballons-sondes – que Christine aurait rêvés gastriques – flottaient entre deux courants, hilares. Qu’ils aillent se perdre en mer, souriais-je, et y noyer ce qui grouille ici-bas ! Aveuglé par un rayon de soleil, je m’arrachai à la contemplation de leur imprévisible ballet et, guidé par des voix d’enfants, je me remis en marche, Saeglópur résonnant dans mes tympans, la tête encore dans les nuages.