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schizophrénie - Page 2

  • Exhibit Mirrors (tribute to J.G. Ballard)

     

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    Photographie : Olivier Noël

     

    Atrocity Exhibition. Bourdonnement électrique du drone postindustriel. Cette exposition unique - à laquelle les officiels eux-mêmes n'étaient pas conviés - offrait une caractéristique assez inquiétante : l'omniprésence, dans les œuvres présentées, des thèmes apocalyptiques. Les installations, entre lesquelles évoluait Thomas Becker, lui évoquaient les jardins de Locus Solus aussi bien que son propre réel, comme s'il avait d'ores et déjà, depuis toujours semblait-il, parfaitement assimilé leur potentiel psychopathologique - comme s'il en avait perçu le singulier pouvoir d'enchâssement. Les nappes hypnotiques du drone, soufflées par les nombreuses enceintes du Centre, se synchronisaient à ses influx nerveux. À l'approche de la quatrième salle, elles s'estompaient progressivement pour laisser place à un tintement édénique, aux limites de la perception.

    Crystal World. Soleil prismatique traversant le visiteur. Thomas Becker pénétra dans une grotte hérissée de cristaux efflorescents, au milieu desquels l'attendait une alvéole, et dans cette alvéole, un siège vitrifié aux mille reflets, sur lequel, second, il se lova. Oubliée, sa berline ; effacés de sa mémoire, les grandes surfaces ; remisée dans la banlieue de son esprit, l'exposition - ces zones grises de la pénombre. Bien qu'intégralement vêtu de noir dans sa matrice de cristal, pantalon tee-shirt chaussures imperméable, Thomas irradiait de l'intérieur, transparent soudain, minéralisé dans ses rêves de paix éternelle ; frappé par l'immortalité du temps asymptotique qui pétrifiait la forêt de cristal, il se remémorait ses amours passées, dont l'image se diffractait à l'infini. Se figer dans un tableau de Max Ernst.

    Crash test. Des bruits distordus de combustion, de chocs brutaux et de tôles froissées arrachèrent Thomas à son immortalisation. À contrecœur, mais irrésistiblement attiré par cette symphonie d'Armageddon routier, Thomas Becker abandonna sa niche d'éternité. Guidé par la bande-son d'auto-désastres, il s'engagea d'un pas mesuré dans une longue galerie tubulaire sur la surface numérique de laquelle était projeté le film, fragmentaire et répétitif, d'accidents automobiles au ralenti. Fracas fantomatiques. À l'entrée, un sobre panneau, blanc sur noir : « AUTOMOBILE - Les millions de voitures de cette planète sont stationnaires, et leur mouvement apparent constitue le plus grandiose rêve collectif de l'humanité ». Projet de Glossaire du XXe siècle. Les déformations du corps de Thomas, percuté par les pare-chocs des coupés qui le traversaient en rafales de part en part, ressortaient-elles du rêve, elles aussi ? Immobile à contre-monde, il pensait à un autre texte de Ballard : « ce que nos enfants doivent craindre, ce ne sont pas les voitures lancées sur les autoroutes de demain mais le plaisir que nous trouvons nous-mêmes à calculer les plus élégants paramètres de leur mort ». Dans son bas-ventre, les trémulations annonciatrices de nouvelles salves.

    Corpses. Troublé par sa réaction aux stimuli visuels et sonores, Thomas Becker quitta précipitamment l'exposition, sans égard pour les autres visiteurs, ni pour le gardien qu'il bouscula au passage. Les portes automatiques s'ouvrirent enfin sur la nuit précoce d'une soirée d'hiver. Il fit quelques pas dans l'air glacé, alluma une cigarette et se mit à observer son environnement. L'architecture déjà démodée du Centre s'insérait sans heurt dans le morne paysage de la zone industrielle et de ses enseignes aux lueurs criardes. En face, au-dessus des portes coulissantes d'un motel, de l'autre côté de la voie rapide où filaient la faune suburbaine et les représentants de commerce changés en traînées lumineuses, blanches à l'arrivée, rouges au départ : un large écran LCD. Thomas profita d'une pause inexplicable dans le trafic pour traverser en courant les voies et le remblai. Ses pas crissaient sur le gravier, et tandis que fluaient à nouveau les mouvantes constellations des phares, Thomas s'approcha de l'écran plat. D'abord, il n'y vit que la retransmission du trafic, sans doute filmé par une caméra dissimulée dans quelque élément de signalisation, en direct aurait-on dit, ou en léger différé, comme le suggérait le décalage étrange des vrombissements derrière son dos. Mais bientôt, les voitures à l'écran se mirent à se comporter bizarrement, à zigzaguer, à accélérer ou à piler sans raison apparente, Jusqu'au crash silencieux des collisions en chaîne. À l'écran : pare-brise étoilés ou explosés ; habitacles écrasés ; roues orphelines. Le sang, les os, les corps, restaient encore invisibles. Hébété, Thomas Becker se retourna vers la voie express : rien d'anormal. Retour à l'écran : une silhouette sur le bord de la route. Vêtement sombres, imperméable noir,  cigarette à la main. L'homme vidéo regarda à sa gauche, puis à sa droite, et s'engagea sans hésiter.

    Dans un spasme, alors que l'enfer se déchaînait soudain dans ses tympans, Thomas Becker assista à sa propre dislocation.


    (Texte rédigé à l'occasion de l'Evento 2009)

  • Big Fan de Fabrice Colin

     

     

    Big Fan.pngÀ certains égards, Big Fan et La Mémoire du Vautour forment un évident diptyque. Big Fan, Pale Fire pop de l'ère 2.0, fausse plaisanterie postmoderne déjantée attrape-gogos, mais vrai roman, tisse comme son prédécesseur une toile de références textuelles et intertextuelles, une chambre d'échos suffisamment dense pour exciter les neurones des grands malades de mon espèce. Sentiment familier depuis quelques années : narcissique impression que ce livre a été écrit à ma seule intention, branché directement sur mon cerveau.

    Big Fan déroule trois strates narratives (les lettres de Bill Madlock à sa mère, écrites dans une maison d'arrêt psychiatrique, à la première personne et en italiques ; sa biographie, rédigée à la troisième personne avec moult gimmicks postmodernes - listes, abréviations, symboles informatiques, etc. - par un énonciateur jamais vraiment identifié, d'après une cinquantaine de feuillets écrits par le gros Bill lui-même ; un biopic du groupe Radiohead, écrit par ce même énonciateur-fantôme dans un style atrocement journalistique, belle enfilade de clichés « conventionnellement médiocres », impitoyablement commentée par une autre voix attribuée in extremis, bien qu'on s'en fût douté, à Bill) auxquelles il nous faut ajouter la vraie-fausse postface de notre énonciateur kinbotesque, pathétique imposteur qui, heureusement, ne parvient pas à occulter le génie pathologique de Madlock.

    Gros, maussade, asocial, solitaire, Bill voue un culte exclusif à Radiohead. S'il tolère tout juste qu'on puisse écouter Ride ou les Stone Roses, gare à qui avouerait posséder le moindre single d'Erasure, de Duran Duran ou de Depeche Mode. Banale chronique du fanatisme adolescent ? Pas tant que ça : nous comprenons vite que Bill Madlock n'est pas un simple fan. Son obsession pour Radiohead est telle qu'elle finit par contaminer, puis par asservir totalement sa perception du monde, jusqu'au délire psychotique.

     

    Description sommaire du délire : Le 26 avril 1986 (date officieuse de formation de Radiohead, sous le nom On a Friday, et veille de mes dix ans), la catastrophe de Tchernobyl n'était qu'une conséquence d'un cataclysme d'envergure cosmique : l'émergence d'un univers N+1, provoquée par l'apparition d'un « clone quantique », le Kid A, sur lequel la Police du Karma, l'ennemi irréductible, un consortium dont le but est de modifier notre réalité et d'asservir la population humaine, cherche par tous les moyens à mettre la main. En 2012, le Kid A entrera en dissolution : ce sera la fin du monde, l'enfermement définitif dans notre fausse réalité. Pour preuves : les innombrables correspondances kabbalistiques et numérologiques dans la vie et l'œuvre de Thom Yorke et de son groupe (comme, par exemple, l'image prophétique des Twin Towers infernales, dans le livret d'Amnesiac, paru en juin 2001, où figurait cette mention terrifiante : The Decline and Fall of the Roman Empire Volume II. Pour preuve encore, cette béance esthétique qui sépare OK Computer (1997) et Kid A (2000), marque irréfutable de la révélation quantique...

     

    S'il nous faut, bien entendu, considérer le complot cosmique de la Police du Karma contre le Kid A comme les absurdes élucubrations d'un esprit dérangé, nous ne devons pas négliger pour autant l'insistance de Bill sur le mystérieux événement survenu entre ces deux albums. Cet événement, qui en vérité constitue la clé de lecture de Big Fan, nous est raconté par la biographie du malheureux. Oubliez la révélation quantique... En décembre 1999 a lieu un miracle dans la vie de Bill : il rencontre l'âme sœur, Karen, une grosse fan de Radiohead, elle aussi. Avec elle, en ce début 2000, Bill rêve au prochain album du groupe. « C'est le bonheur d'être en elle. C'est le bonheur d'attendre ce disque avec elle, peut-être le dernier, celui qui a failli avoir raison du groupe et qui approche maintenant précédé d'un grondement inédit. C'est la joie de nous savoir unis, enfin, inatteignables, nimbés d'une joie sans égale. Le point d'équilibre est atteint. » (171-172) Et c'est précisément cet équilibre qui va se rompre brutalement : « "Karen est morte", dit-il. Et le monde s'écroule, et "je" ayant déjà cessé d'exister : la grâce fragile du présent s'évapore - s'est évaporée - en moins de temps qu'il n'en a fallu à William pour écrire cette phrase » (176). Comme dans Kathleen, comme dans La Mémoire du Vautour surtout, la mort joue encore son rôle de processeur d'histoires. Brisé, sans dieu, Bill s'enfonce définitivement dans le repli autistique et le délire paranoïaque. Sa seule échappatoire : tordre le réel, trouver une transcendance, à travers sa seule passion, son dernier lien avec Karen : Radiohead.

     

     

     

  • W.O.M.B. / ZORNproject

     

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    W.O.M.B. a été lu, et apprécié (voici le sympathique teaser), par l'animatrice du site ZORNproject, Virginie Bouilhac, titulaire d'un DEA de littérature comparée. ZORNproject réunit des textes littéraires censés relever d'une certaine esthétique schizophrénique (je retiendrai pour ma part, « Another one bites the dust » de Nathalie Dufayet, et « Une question de perfection » de Thierry Jandrock, trop complaisamment morbides mais franchement impressionnants). Le projet Zorn, qui doit vraisemblablement son nom à la schizo mutante de Babylon Babies, propose un extrait de la nouvelle de Sébastien Wojewodka, « Untitled ou l'Intercession », sous le titre « L'Antichambre : une admonestation ». Et nous apprenons, dans cette recension d'un article de Science et Vie, que la rongeasse, élément essentiel de Glissement de temps sur Mars et de « Channel Chain Schizoid », serait effectivement à l'oeuvre, à l'échelle chromosomique...

  • À propos de W.O.M.B. (courrier express méta-utérin)

     

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    « Je suis l'alpha et l'oméga. Et j'arracherai vos têtes de mes propres mains, comme j'ai arraché la mienne. »

    (« Channel Chain Schizoid »)

     

     

    « Je suis observé. Je n'ose sortir : mes déplacements sont pistés via monitoring, mes mouvements contrôlés par des galvanomètres. »

    (« Untitled ou l'Intercession »)

     

     

    Voici une lettre adressée à nos bien-aimés lecteurs par Sébastien Wojewodka, co-auteur de W.O.M.B., (éditions ActuSF, juin 2009), recueil de textes dont nous vous proposerons prochainement un extrait. Certes, le présent courrier (annoté par mes soins) ne manquera pas de nous attirer quelques ennuis avec les autorités médicales (la littérature considérée comme Père-version, l'appert-version, la paire-version, peut-être même l'amère-version...). Mais, bien qu'en pareille situation la méfiance soit toujours de rigueur (on n'est jamais assez trop prudent), la petite voix de ma conscience (bizarrement crachotante ces temps-ci, à la manière d'un vieux transistor) me commande dans son si singulier langage de vous adresser quelques paroles bienveillantes et rassurantes (je ne puis hélas vous retranscrire ses propos exacts sans leur désobéir). Pour ce faire, qu'il me soit donc permis, s'il vous plaît, de paraphraser le temps d'une demi-phrase notre sémillant préfacier Kalaazar pour vous délivrer notre message, qui vaut aussi profession de foi : nul n'est besoin de se poser en plantureux formaliste pour jouir des plis et replis secrets de nos facétieux récits. À l'instar du héros décapité du script dont les lignes inquiétantes hantent « Channel Chain Schizoid », notre désir le plus ardent, apprenez-le dès à présent, est de faire de vous des Bienheureux.

     

    Laissons maintenant la parole à mon frère d'encre qui, je me dois de le souligner, parle ici en nos deux noms (voire trois) avec mon entière bénédiction.

     

    T. Becker

     

     

     

    « Chers amis,

     

    Quelques considérations relatives à l'ouvrage W.O.M.B., apéritifs qui, nous l'espérons, susciteront votre intérêt en vue d'une hypothétique lecture. Womb signifie en anglais « utérus », ou « matrice », mais c'est aussi un acronyme, un sigle, une enseigne (projetant une assez spectrale lumière) : Wilderness Of Mirrors Broken, que l'on pourrait d'élégante manière traduire par Désert (au sens biblique) de miroirs ébréchés. Notons que le terme Wilderness of mirrors apparaît dans un poème de T. S. Eliot, Gerontion ["I have lost my passion : why should I need to keep it / Since what is kept must be adulterated ? / I have lost my sight, smell, hearing, taste and touch : How should I use them for your closer contact ? / These with a thousand small deliberations / Protract the profit of their chilled delirium, / Excite the membrane, when the sense has cooled, / With pungent sauces, multiply variety / In a wilderness of mirrors."], et qu'il recouvre également la problématique de l'agent double, dans l'idiome ou jargon relatif à l'espionnage. Votre serviteur pour un court moment unifié (Sébastien Wojewodka), sous le patronyme de Joseph Kalaazar, ouvre les hostilités - le terme est humoristique, le lecteur tant désiré répondant à l'aimable invite de nos songes - ouverture, murmurais-je, sous la forme d'une intrigante préface, visant à présenter quelques traits saillants de la personnalité de mon cher ami Thomas Becker, qui sollicitera une attention particulière dans une fugitive minute. [À l'instant même, en fait. L'on ne saurait faire plus prompt. Note de Thomas Becker]. Cette préface se trouve placée sous les auspices d'une théologie spéculative, telle qu'on la trouve dans l'illustre exemple de Dostoïevski ; elle n'est pas sans faire l'emprunt des curieuses manies et tourments mystiques du Président Schreber - mais n'en disons pas davantage. Thomas Becker, étrange personnage l'on en conviendra, est donc l'auteur de « Channel Chain Schizoid » : homophonie translinguistique charmante entre Channel et Chain : double chaîne schizoïde, anneaux infernaux d'un elliptique complexe métamérisé. [Mais ta mère disait ?... Si je puis m'immiscer un instant dans la polyphrénique missive de Sébastien, j'ajouterai à propos de ma novelette : « excitable (mais increvable) membrane wombilicale qui n'incube jamais qu'une conscience sans image flottant dans les eaux transparentes d'un temps plat et immobile. » À rapprocher en particulier des impressionnantes nouvelles « Le Testament d'un enfant mort » et « Journal contaminé » qui figurent au sommaire de L'Homme qui s'arrêta, recueil de Philippe Curval aux éditions la Volte (2009). Note de Thomas Becker]. Dans une tentative de conciliation - ou peut-être de coalescence du binaire et du ternaire, votre locuteur dévoué réapparaît (cette fois sans l'usage commode d'un sobriquet, repentance on le verra mille fois déniée par la suite), pour le texte « Untitled ou l'Intercession » : sans titre, parce que l'aliénation et le trépas n'en portent pas ; Intercession d'un labyrinthique jeu de miroirs (nabokovien totalement assumé), sans apparente finalité, sinon celle de s'auto-consumer (aux deux sens du terme : se nourrir de sa propre substance - et détruire son propre être - ou sa création). [Dès lors mes amis, notre titre acronymique prend tout son sens : promesse indéfiniment ajournée de l'accouchement dans « Channel Chain Schizoid », enfantements gigognes dans « Untitled ou l'Intercession ». Note de Thomas Becker]. Dans l'expectative d'une entrée prochaine en notre souterrain royaume, n'abandonnez pas pour autant tout espoir, et sachez, une fois encore, que nous sommes

     

    Vos humbles et dévoués serviteurs,

     

    Thomas Becker et Sébastien Wojewodka. »

     

    Se procurer W.O.M.B.

  • La Déchronique du Déchronologue. Fragment XXIII

     

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    Naufrage

     

    Quand Villon sombre avec le vaisseau, quand le Déchronologue fusionne avec le George Washington et leurs états successifs dans le temps, quand le capitaine se dédouble, se démultiplie et réalise enfin son désir d'anéantissement dans le Corps sans Organes schizophrénique, quand le poids immense de sa culpabilité se disperse en myriades infinies, alors disparaissent comme par enchantement tempêtes temporelles, fusions, apocalypses terrestres, Targui et « ceux de Florès ». La mort, dans cet espace du moins, l'a délivré du mal.