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littérature - Page 6

  • La Déchronique du Déchronologue. Fragment XII

     

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    Robert Bresson, L’Argent.

     

     

    Bien sûr, les maravillas ne sont pas que désirs purs, et peuvent être considérées sous d'autres angles. Elles sont aussi, par exemple, métaphore de l'argent et de la société de consommation. Le dénuement des Itzas, d'où affluent les maravillas, contraste avec la frénésie consumériste dont elles font l'objet dans les Caraïbes. Le commerce des Clampins : maravillas sans magie. Plus les merveilles pullulent, plus s'estompe leur pouvoir. Elles deviennent monnaie, produits, outils de contrôle, et perdent totalement leur qualité de machines désirantes.

    Elles participent alors au désenchantement  Villon devra trouver autre chose...

     

     

  • La Déchronique du Déchronologue. Fragment VIII

     

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    Le Rhum Marin, 92 rue Saint Maur, Paris 11ème

     

    Au sympathique et droit Brieuc, engagé comme lui dans la prise de Tortuga, Villon confie les raisons de sa méfiance : « Capitaine Brieuc, à l'exception, peut-être, du malheureux qui a faim et de la bête qui a peur, aucune action d'aucun être en ce monde ne naît jamais d'une seule et unique cause, bien fondée ou non. » (29) Chez Villon ce « sentiment océanique » se double d'un sentiment de culpabilité universelle : tous, nous contribuons à l'imperfection du monde, à notre malheur. Tous, nous méritons l'effacement.

    Honte. Culpabilité. Oubli. Villon veut « gagner un peu de temps » : de notre point de vue, telle est la véritable origine, la cause première  il ne saurait y avoir de coïncidence –, des désordres temporels qui frappent d'ores et déjà les Caraïbes et l'ensemble du monde connu...

    Villon noie cette honte, cette culpabilité dostoïevskienne  « Car sachez, mes Pères, que chacun de nous est assurément coupable ici-bas de tout envers tous, non seulement par la faute collective de l'humanité, mais chacun individuellement, pour tous les autres sur la terre entière. » enseignait le Starets Zosime (d'après les souvenirs d'Aliocha) au Livre IV des Frères Karamazov, avant que nous soient révélées les visions démoniaques du Père Théraponte  , dans le tafia, le vin et, en dernière extrémité, le porto, l'alcool étant seul capable, selon lui, de lui faire supporter et comprendre ce qu'il a vu et vécu à La Rochelle.

     

  • La Déchronique du Déchronologue. Fragment IV

     

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    Solidement ancré dans l'histoire des Caraïbes au XVIe siècle, aux environs de l'île de la Tortue – port de ravitaillement des boucaniers et flibustiers de la région – et du Nouveau Monde des Indes occidentales, Le Déchronologue en restitue les enjeux politiques, sans excès didactiques mais non sans subtilement s'approprier certaines figures locales (sans parler du fameux Rat-qui-pette). François Le Vasseur (ici très shakespearien, voire conradien), ancien corsaire et compagnon du pirate Belain d'Esnambuc, fut vraiment gouverneur de l'île de la Tortue au nom du chevalier de Poincy – avant de revendiquer la pleine possession des lieux. Certains prétendent même que le tyran, qui maintenait les lieux sous sa coupe, avait fait installer à son fort de la Roche une machine de fer baptisée « L'Enfer » (la prison prit quant à elle le nom de « Purgatoire »)... Comment s'étonner, dès lors, que le François Le Vasseur de Stéphane Beauverger s'entoure de maravillas d'un genre particulier (celles qui servent sa paranoïa, les machines-espionnes, les appareils de surveillance) ?...

  • La Déchronique du Déchronologue. Fragment X

     

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    Nicolas Poussin, Le printemps ou le paradis terrestre (Musée du Louvre)

     

     

    Ainsi que l'ont souligné certains commentateurs, bien des points du Déchronologue restent sans réponse, comme l'origine réelle des Targui (singulier de Touareg - les Nomades du temps ?), le fonctionnement des tempêtes temporelles ou l'apparition des nexus. Mais en vérité, le seul nexus authentique, c'est Villon lui-même. Les explications - à supposer qu'il y en ait - seraient forcément décevantes, parce qu'elles ne rendraient pas compte des lois essentielles qui gouvernent le roman. Il n'y a que Villon ! Notre capitaine ne cherche pas tant à racheter ses fautes (il sait qu'elles sont irréparables) qu'à aller de l'avant, « toujours debout » en effet - pas seulement par bravade, mais pour ne jamais demeurer immobile, à la poursuite d'un impossible futur édénique, pur et immaculé (car sa fuite est sans espoir, bien sûr, comme l'est la révolution des Itzas. Parce que le passé est le passé. Les Itzas seront toujours détruits. La mort seule sauvera Villon de ses démons). Il n'y a que Villon. Les Maravillas sont une extension de son être.

     

  • La Déchronique du Déchronologue. Fragment III

     

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    Pantagruel par Gustave Doré

     

    La richesse du vocabulaire maritime, les personnages hauts en couleurs (au premier rang desquels le grand Fèfè de Dieppe) et la truculence des dialogues restituent admirablement l'atmosphère des Caraïbes, telle, du moins, qu'on se l'imagine au regard déformé des œuvres qui, de L'île au trésor de Stevenson aux films du genre (Les contrebandiers de Moonfleet de Fritz Lang, L'aigle des mers et Captain Blood de Michael Curtiz...), ont alimenté l'imaginaire populaire. À bord du Chronos, du Toujours-Debout ou du Déchronologue, les navires du capitaine Villon, coule le tafia et pleuvent les jurons, plus fleuris les uns que les autres (« Mort de moi ! », « Pute vierge ! », « Christ mort ! », « Peste blanche ! », « Pute morte ! », « Sang du Christ », et les beaux « Cornecul ! », « Ventrepute ! », « Couilles du pape ! » ou « Mes bourses au cul du pape ! »). Ça doit « sentir la mer », comme le dit François sur son blog. Et cependant, ça sent moins le sel et les embruns que l'alcool de canne à sucre et la poudre : la structure du récit, ses nombreux épisodes terrestres et ses parenthèses carcérales empêchent l'immersion maritime progressive que nous fait vivre Melville avec Moby Dick, restitution inouïe de la temporalité si particulière du voyage en mer. Et pour cause : c'est le Temps lui-même qui, dans Le Déchronologue, est mis à mal.

    Ingénieusement déconstruit – l'auteur a mis tout son savoir-faire de scénariste au service de son récit –, et plus complexe qu'il n'y paraît, Le Déchronologue est effectivement un grand récit d'aventures, de bruit et de fureur, de douceur aussi (avec le personnage de Sévère), écrit dans un style efficace, imagé, qui depuis La Cité nymphale s'est encore affiné. Dès les premières pages, les comparaisons et métaphores, d'une rare pertinence, frappent à la fois par leur évidence esthétique et par leur portée politique, parfois rabelaisiennes et souvent anarchisantes : « À la manière dont les autres colonies mal établies sur ce rivage hostile, les autochtones n'ignoraient point qu'ils ne tenaient ainsi, accrochés aux bourses trop pleines de l'empire espagnol, qu'à la faveur de cette indolence propre aux géants jamais trop prompts à se gratter le cul », 17 ; « Les trônes ont ceci de commun avec les baquets d'aisance que leurs usagers les souillent dès qu'ils s'y posent », 27 ; « Il abritait plusieurs poignées de ruffians, trafiquants et négociants de mauvaise mine, cherche-fortune et traîne-misère, tous entassés à l'écart des regards catholiques, sous les toits glaiseux d'une vingtaine de masures jetées là à la manière de dés pipés », 18 ; « La nuit était longue et bleue comme une lame de Tolède » (17). Cette intelligence rabelaisienne, qui sait habilement mêler les grossièretés les plus inconvenantes et l'intelligence la plus acérée, est l'une des caractéristiques du personnage de Villon, fin lettré, à l'image d'authentiques flibustiers de l'époque.