Le pouvoir des maravillas évaporé, il s'agit pour Villon de faire permuter les possibles, les époques, les matières, de faire du monde, littéralement, un « Corps sans Organes », sphère glissante à la surface opaque, tendue et indéterminée, sans image précise, production fluctuante du désir, sur laquelle circuleraient des intensités, où sans cesse se remodèleraient les territoires – ainsi le Nouveau Monde balayé par l'apocalypse des temps incertains en tableaux de cauchemar –, comme autant de possibles jamais appelés à véritablement advenir. Le Déchronologue, son navire modifié, ne lui est livré que pour servir ses desseins.
Mais cette folie annihilatrice peut prendre de nombreuses formes, moins spectaculaires. Par exemple, les membres des équipages sont relativement interchangeables : ils n'ont bien souvent, nous le savons, que des noms d'emprunt généralement associés à leur fonction. Comment s'émouvoir de la disparition du Bosco, ou d'un malheureux prisonnier de Carthagène, quand un autre le remplace aussitôt, quand il s'agit toujours d'effacement et d'oubli ? « Regardez-le, soufflai-je en caressant le visage du défunt. Ce pourrait être moi, mort entre ses bras. Ou vous. Ou le contraire. Vous décédé, et lui vivant. Quelle différence, au fond. » (76). Et à Dernier-Espoir, le port de résistance des survivants, « les drapeaux et les nations n'avaient plus de sens, les langues des adversaires de naguère se mêlaient et fusionnaient autour des bassins d'eau douce en un galimatias qui n'aurait pas déplu au grand Fèfè de Dieppe » (115). Se mêler, soumettre l'ordre au chaos, perdre toute spécificité, s'anéantir dans la fusion démentielle des noms, des mots, des blasons et des chairs. Ceci, vous le savez à présent, est l'œuvre du capitaine Villon.