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It Follows de David Robert Mitchell

Plébiscité par la presse, It Follows souffre de trop de faiblesses pour être un grand film mais n'en reste pas moins assez passionnant, par sa forme élégante mais aussi et surtout par sa représentation métaphorique de la perte de l'innocence, du Ça freudien - et sa critique en creux du puritanisme moderne.

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Ses faiblesses ? Invraisemblances scénaristiques d'abord : par exemple, comment le jeune homme, Hugh/Jeff, qui contamine Jay, sait-il tout du mode opératoire des fantômes ?... Clichés en chaîne ensuite : quand une young adult de la suburb américaine a un démon à ses trousses, que fait-elle ? Elle se réfugie dans les maisons isolées et, les nuits d'orage, elle pénètre par effraction dans d'inquiétantes piscines (nous verrons plus loin en quoi ce choix n'est, toutefois, pas totalement dénué de sens sur le plan symbolique). Epuisement, aussi, d'un dispositif déjà vu ailleurs, en particulier chez les Japonais (Ring, Dark Water) : la succession des apparitions marchant inexorablement, avec la détermination d'un terminator zombie vers leur victime, non seulement n'effraie pas beaucoup (dommage pour un film d'horreur), mais en plus finit rapidement par lasser - sauf ici ou là, quand elles sont authentiquement terrifiantes (le géant tout droit sorti de Twin Peaks et de La Chose venue d'un autre monde qui surgit d'une porte chez Jay) ou d'une grande poésie - éminemment symbolique -, comme cet homme, debout, nu, sur un toit. Et quand le réalisateur les matérialise, par l'entremise d'objets saisis ou d'un drap jeté sur sa silhouette invisible, c'est tout l'édifice métaphorique, pourtant splendide, qui vacille sur ses fondations : It Follows menace alors de sombrer dans le banal et le ridicule de l'horror teen movie moyen, et n'est sauvé qu'in extremis, lorsque l'eau de la piscine s'emplit du sang de l'innocence...

Heureusement, ces défauts ne font pas disparaître le contenu latent, si l'on peut dire, d'It Follows, dont la grande idée est de donner corps, littéralement, à la perte de l'innocence et au sentiment de culpabilité, sujets évidents du film, comme en attestent les insistants dialogues du début (Jay et Paul se remémorent un épisode de leur adolescence, la découverte, hilare et fascinée, mais pleine de légèreté, d'une pile de magazine pornos ; Jay ajoute qu'ils ignoraient alors combien ce qu'ils avaient fait était grave...). Les héros du film ne sont pas encore vraiment sortis de l'adolescence, ils s'accrochent même à leur état d'enfance (soirées pyjama, émois délicats, smartphones-coquillages, aspirations romantiques...). Quand Hugh/Jeff, au cours d'un jeu au cinéma, doit désigner quelqu'un dans l'assemblée dont il aurait aimé prendre la place, c'est un enfant qu'il choisit. Et quand Jay s'enfuit de chez elle, elle trouve d'abord refuge au terrain de jeu, sur une balançoire. L'absence totale de personnages adultes (souvent mentionnés, jamais montrés, sinon sous forme de démons) renforce ce sentiment d'un univers qui se voudrait enfantin, mais qui est envahi par le Mal (qui, lui, a bien figure adulte). De la petite piscine tubulaire de jardin, au grand bassin souillé par les menstrues démoniaques, c'est en réalité au passage douloureux à l'âge adulte que nous assistons. On quitte, certes précipitamment, la maison familiale et l'école, on perd des proches, on découvre le monde. On se confronte à la peur, à la douleur, à la vieillesse, à la mort...

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...Et au Ça (pour les anglo-saxons : id ou... it), l'instance pulsionnelle par excellence, cette chose sans visage, sans foi ni loi qui ne peut être combattue que par un Surmoi faussement absent, ou par le pauvre Moi presque sans défense, trop tendre encore, trop fragile...

Le rapport du film au sexe est en vérité beaucoup plus ambigu que ne l'ont dit les critiques, qui ont jugé le film tantôt atrocement puritain, tantôt libéral. A première vue, il est vrai que, comme dans nombre de slashers et autres films d'horreur pour ados, c'est bien le péché de chair qui déclenche le cauchemar. La malédiction est sexuellement transmissible... Pourtant, les héros ne "baisent" pas pour le fun, ils ne sont pas les jeunes débauchés de La Baie sanglante ou de Vendredi 13, ni même les insouciants de Nightmare on Elm Street : Jay, Paul, Greg, ne sont pas animés par leurs seules hormones, mais aussi et surtout par leurs sentiments : ils s'aiment, ils font l'amour, et pourtant, eux aussi sont contaminés par le Mal. Métaphore du Sida ? Peut-être. D'autant que, si l'on peut un temps éloigner le fantôme en contaminant d'autres victimes, dans l'espoir qu'elles forniquent ensuite à tout crin et occupent le démon à les pourchasser, nos héros comprennent vite que cette voie est sans issue. Pire : elle contribue à propager le Mal. Ce n'est pas tant l'acte sexuel qui est visé ici, mais d'une part sa consommation frénétique et animale (le film est clairement réactionnaire), et d'autre part sa qualité de symbole cristallisant toutes les angoisses de l'âge adulte.

Il s'agit aussi, en termes freudiens primaires, de montrer la personnalité d'une certaine jeunesse occidentale en formation : c'est à la fois en apprenant à ruser avec le Ça-croquemitaine (et son double surmoïque ; parfois même leur union monstrueuse), en se forgeant leurs propres valeurs, aussi romantiques soient-elles, et en sacrifiant leurs dernières illusions d'enfance, que Jay et Paul réussissent, contre toute attente, à survivre à ce mauvais rêve (même si, évidemment, les dernières images jettent un doute convenu dans nos esprits). Littéralement, il s'agit pour Jay de tuer le père : la dernière apparition, dans la piscine, celle qui se désagrège en nuage de sang kubrickien après qu'on lui a tiré une balle dans la tête, n'est autre en effet que l'incarnation de la figure paternelle (que nous reconnaissons sans peine, pour l'avoir vue à plusieurs reprises sur des photographies familiales). Alors seulement, peut commencer une autre vie, jamais plus innocente, jamais à l'abri de ses démons pulsionnels ou de son écrasant Surmoi, mais pleinement consciente.

David Robert Mitchell ne possède ni la maîtrise formelle, ni la puissance conceptuelle, d'un David Cronenberg, l'un des grands cinéastes de l'inconscient (revoir Spider, A Dangerous Method ou le mésestimé Maps to the Stars), mais on peut se réjouir de trouver une telle richesse symbolique et métaphorique dans un petit film d'horreur du samedi soir.

 

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