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Les Regrets de Cédric Kahn (le sourire de Valéria)

 

 

De Cédric Kahn, je me souvenais de Roberto Succo, et surtout de L'Ennui, d'après Moravia, dont le parti pris – concentrer son attention sur la présence physique (et nue) des acteurs, Charles Berling et Sophie Guillemin – restituaient une certaine vérité de la passion amoureuse (ou sensuelle) comme pathologie mentale, qui fait sens – fuite du réel, réinterprétation quasi psychotique du monde – autant qu'elle brise. Cette passion à double tranchant, qui selon qu'on la vit où qu'on l'observe, de l'extérieur ou de l'après, s’apparente à une élévation de l'âme ou, au contraire, à une affreuse déchéance, Cédric Kahn essaie d’en restituer quelque chose dans Les Regrets (2009).

 

 

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À l'occasion de l'agonie puis du décès de sa mère, dans la petite ville de son enfance, un architecte parisien, Mathieu (Yvan Attal), marié à Lisa (Arly Jover), qui travaille dans le même cabinet, rencontre inopinément son amour d'antan, Maya (Valéria Bruni-Tedeschi). Saisi d'une attirance irrépressible et obsessionnelle, le couple illégitime ne cessera de rejouer retrouvailles et séparation, allers et retours (soulignés par quelques pièces de Philip Glass, et par des lieux de passage, gares, halls, trains, routes, hôtels) entre une vie sociale pesante – avec ses contraintes, ses engagements, ses responsabilités, ses compromis – et une liberté amoureuse dévorante (Lisa, la femme de Mathieu, peu à peu reléguée en hors champ, puis hors de sa vie), et sans égard pour les contingences ; allers et retours, aussi, entre la mort (celle de la mère, qui renvoie Mathieu à sa finitude), et l'amour (celui qui l'unit à Maya). Mais jamais hors du temps. Leur histoire passée, et celle du départ subit de Mathieu, quinze ans auparavant – parce qu'elle le rendait dingue –, cette chape de regrets, pèsent de tout leur poids sur leur nouvelle relation. En renouant avec leurs amours passées, Maya et Mathieu cherchent surtout, à l'évidence, à retrouver la flamme d'une vie qui s'éteint peu à peu, à force de compromis et de rêves contrariés.

Malheureusement, une mise en scène assez plate, une image terne, des décors tristounets – symboles du champ de ruines de leur aventure entre parenthèses –, et un Yvan Attal sans relief, enferment le film – y compris ses scènes d'amour – dans une grisaille émotionnelle irrémédiable, où seule brille Valéria Bruni-Tedeschi. Sa présence physique – son visage marqué par l'empreinte du temps et des événements d'une vie –, d'une justesse exceptionnelle, comme dans 5×2 de François Ozon et dans Un couple parfait de Nobuhiro Suwa, sa voix douce et cassée, écho d'un feu qui ne saurait renaître sans tache, son regard triste, et pourtant encore vif, son sourire secrètement mélancolique, cette manière d'être absente, de n'être déjà plus là, tout en s'imposant à son amant – et au spectateur –, illuminent le film à eux seuls, flamme ténue mais invincible au cœur de l'insignifiance générale. Vertige du premier regard échangé, d'un trottoir à l'autre, quand nous voyons littéralement, sur les traits de Valéria, passer toute une vie enfouie, et basculer, tragique. En dehors de ces rares moments de grâce, malheureusement – le pas pressé de Mathieu, puis de Maya, sur le splendide Sinnerman de Nina Simone –, Les Regrets patine, s'enlise dans ses mauvais choix (Philippe Katerine est parfait dans le rôle du mari de Maya, mais celui-ci aurait dû être relégué à l'arrière-plan) échoue là, précisément, où réussissait son sublime modèle évident, La Femme d'à côté de François Truffaut. Si, dans son registre fort différent, plus nuancé, plus discret – plus résigné –, Valéria Bruni-Tedeschi n'a pas à rougir d'une (vaine) comparaison avec Fanny Ardant (ou avec Meryl Streep dans Sur la route de Madison de Clint Eastwood, grand film construit sur l'opposition entre l'amour conjugal et, non la passion, mais l'amour romantique), ce n'est certes pas le cas d'Yvan Attal, minuscule, sans charisme, sans relief, quand Gérard Depardieu crevait l'écran, monstre d'intensité.

 

 

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