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cinema - Page 5

  • Revue aléatoire, 2 : Le Fleuve de la mort de Luis Bunuel

     

    le fleuve de la mort, el rio y la muerte, luis bunuel

     

     

    De cette œuvre mineure, parodie de western vue en 2000 pendant l'intégrale ¡Todo Buñuel! du Centre Pompidou, et considérée par Luis Buñuel lui-même comme « une chose médiocre » [1], je n'ai que des souvenirs épars. Film de commande tourné après Les Hauts de Hurlevent et On a volé un tram, et présenté au festival de Venise, Le Fleuve de la mort (El Río y la Muerte, Mexique, 1954) est construit autour des règlements de compte, à Santa Viviana, de deux familles ennemies, les Anguiano et les Menchaca. Gerardo, des Anguiano, médecin à Mexico, refuse de se plier aux règles absurdes de cette guerre locale, où la vengeance constitue l'acte de bravoure par excellence.

    Du Fleuve de la mort, je me rappelle l'omniprésence des armes à feu – même le prêtre ne s'en sépare jamais ! –, un noir et blanc et un sens du cadre tout buñueliens, des acteurs convaincants, mais aussi des scènes trop bavardes destinées à nous transmettre un message un peu naïf (l'instruction, la culture, les études comme antidote à la violence – thèse à laquelle Buñuel ne croit pas [2]) et un happy end aussi incongru qu'abracadabrant.

    Dans Mon dernier soupir, sa géniale autobiographie (le livre le plus drôle que j'aie lu), Buñuel rappelle qu'en Amérique latine, « on peut tuer pour un oui ou pour un non, pour un regard de travers, ou même simplement "parce que j'en ai envie" » [3]. C'est d'ailleurs avec un plaisir non dissimulé que le réalisateur confesse son propre amour pour les armes à feu, avant de nous mettre en garde contre le machismo du mâle au Mexique :

    « Il est extrêmement chatouilleux, susceptible, et rien n'est plus dangereux qu'un Mexicain qui vous regarde calmement et qui vous dit d'une voix douce, parce que par exemple vous avez refusé de boire avec lui une dixième tequila, cette phrase toujours redoutable :

    – Me esta usted ofendiendo ("Vous êtes en train de m'offenser").

     

    Dans ce cas-là il vaut mieux boire le dixième verre. » [4]

     

     

    le fleuve de la mort, el rio y la muerte,

      

    [1] Interview de 1965 dans la revue espagnole Griffith, citée dans M. Drouzy, Luis Buñuel, architecte du rêve, Lherminier, « Cinéma permanent », Paris, 1978.

    [2] L. Buñuel, Mon dernier soupir, R. Laffont, Paris, 1982, p. 256 (réédité chez Ramsay en 2006).

    [3] Op. cit., p. 254.

    [4] Op. cit., p. 256.

     

     

  • Revue aléatoire, 1 : Une anglaise romantique de Joseph Losey

     

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    Une, deux ou trois fois par semaine, afin de relancer pour de bon ce maudit blog, qui s'est peu à peu éteint et transformé en lamentable espace d'auto-promotion, j'évoquerai un film tiré au sort, plus ou moins longuement, plus ou moins à côté de la plaque – il est fort possible que certains de ces films soient totalement sortis de ma pauvre mémoire –, parfois simples prétextes à quelque rêverie ou divagation. Point, ou peu, d'analyses textuelles, et place à l'inactuel. N'en déplaise aux potâcherons des Razzies et aux fâcheux erions, je réserve désormais mon énergie hermétique à d'autres pages.

     

    Par chance, nous commençons notre revue aléatoire avec Une anglaise romantique (The Romantic Englishwoman, 1975, GB/Fra) de Joseph Losey. Son visionnage remonte, je m'en souviens parfaitement, à mes études de filmologie à Nancy (entre 1997 et 1999, donc), probablement dans le cadre d'un cours sur l'histoire du cinéma anglais. Certes, Une anglaise romantique n'est pas aussi décisif que The Servant, Le Messager ou Monsieur Klein. Mais il en va de certaines œuvres mineures comme de la cuisine familiale : il arrive qu'on s'y sente parfaitement à son aise.

     

    Glenda Jackson – l'actrice du grand Women in love de Ken Russell – était parfaite dans ce rôle volcanique de bourgeoise dont l'horizon étriqué, sous l'emprise de son mari, semblait soudain s'élargir lors de sa rencontre avec le jeune Thomas, faux poète, petit trafiquant et vrai gigolo. Éternel jeu de dupes. Lewis, le mari (Michael Caine), est un écrivain en mal d'inspiration – c'est-à-dire en mal de désir. Et fatalement, à trop imaginer les tromperies de sa femme, c'est la flamme d'Elizabeth qu'il ranime à ses dépens. Et si Thomas, l'amant trouble, manque autant de relief, ce n'est pas tant parce que l'acteur qui l'incarne, Helmut Berger (le Ludwig de Visconti), est mauvais, que parce qu'il n'est ici que la projection des fantasmes et de l'imaginaire pathétiques de Lewis. L'escapade d'Elizabeth est vouée à l'échec, bien sûr. Adultère, désirs brûlants, jalousie : ces clichés font partie du décor du pauvre drame de Lewis, dont Elizabeth est prisonnière. La seule fin possible, évidemment, est un retour à l'ordre bourgeois. 

     

    J'ignore d'où me vient ce goût immodéré pour les chroniques conjugales sur grand écran,  des premiers élans amoureux aux séparations douloureuses – voire criminelles, comme dans Parfait amour ! de Catherine Breillat – qui jalonnent ma filmographie secrète. Peut-être parce qu'ils nous renvoient implacablement aux errements de nos vies minuscules, et que l'amour, la jalousie et la relation à l'autre – des transports de la passion au lent voyage quotidien –, relèvent au fond de la quête spirituelle (le film mystique, autre constante dans mes amours cinéphiliques...).


  • Les Regrets de Cédric Kahn (le sourire de Valéria)

     

     

    De Cédric Kahn, je me souvenais de Roberto Succo, et surtout de L'Ennui, d'après Moravia, dont le parti pris – concentrer son attention sur la présence physique (et nue) des acteurs, Charles Berling et Sophie Guillemin – restituaient une certaine vérité de la passion amoureuse (ou sensuelle) comme pathologie mentale, qui fait sens – fuite du réel, réinterprétation quasi psychotique du monde – autant qu'elle brise. Cette passion à double tranchant, qui selon qu'on la vit où qu'on l'observe, de l'extérieur ou de l'après, s’apparente à une élévation de l'âme ou, au contraire, à une affreuse déchéance, Cédric Kahn essaie d’en restituer quelque chose dans Les Regrets (2009).

     

     

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    À l'occasion de l'agonie puis du décès de sa mère, dans la petite ville de son enfance, un architecte parisien, Mathieu (Yvan Attal), marié à Lisa (Arly Jover), qui travaille dans le même cabinet, rencontre inopinément son amour d'antan, Maya (Valéria Bruni-Tedeschi). Saisi d'une attirance irrépressible et obsessionnelle, le couple illégitime ne cessera de rejouer retrouvailles et séparation, allers et retours (soulignés par quelques pièces de Philip Glass, et par des lieux de passage, gares, halls, trains, routes, hôtels) entre une vie sociale pesante – avec ses contraintes, ses engagements, ses responsabilités, ses compromis – et une liberté amoureuse dévorante (Lisa, la femme de Mathieu, peu à peu reléguée en hors champ, puis hors de sa vie), et sans égard pour les contingences ; allers et retours, aussi, entre la mort (celle de la mère, qui renvoie Mathieu à sa finitude), et l'amour (celui qui l'unit à Maya). Mais jamais hors du temps. Leur histoire passée, et celle du départ subit de Mathieu, quinze ans auparavant – parce qu'elle le rendait dingue –, cette chape de regrets, pèsent de tout leur poids sur leur nouvelle relation. En renouant avec leurs amours passées, Maya et Mathieu cherchent surtout, à l'évidence, à retrouver la flamme d'une vie qui s'éteint peu à peu, à force de compromis et de rêves contrariés.

    Malheureusement, une mise en scène assez plate, une image terne, des décors tristounets – symboles du champ de ruines de leur aventure entre parenthèses –, et un Yvan Attal sans relief, enferment le film – y compris ses scènes d'amour – dans une grisaille émotionnelle irrémédiable, où seule brille Valéria Bruni-Tedeschi. Sa présence physique – son visage marqué par l'empreinte du temps et des événements d'une vie –, d'une justesse exceptionnelle, comme dans 5×2 de François Ozon et dans Un couple parfait de Nobuhiro Suwa, sa voix douce et cassée, écho d'un feu qui ne saurait renaître sans tache, son regard triste, et pourtant encore vif, son sourire secrètement mélancolique, cette manière d'être absente, de n'être déjà plus là, tout en s'imposant à son amant – et au spectateur –, illuminent le film à eux seuls, flamme ténue mais invincible au cœur de l'insignifiance générale. Vertige du premier regard échangé, d'un trottoir à l'autre, quand nous voyons littéralement, sur les traits de Valéria, passer toute une vie enfouie, et basculer, tragique. En dehors de ces rares moments de grâce, malheureusement – le pas pressé de Mathieu, puis de Maya, sur le splendide Sinnerman de Nina Simone –, Les Regrets patine, s'enlise dans ses mauvais choix (Philippe Katerine est parfait dans le rôle du mari de Maya, mais celui-ci aurait dû être relégué à l'arrière-plan) échoue là, précisément, où réussissait son sublime modèle évident, La Femme d'à côté de François Truffaut. Si, dans son registre fort différent, plus nuancé, plus discret – plus résigné –, Valéria Bruni-Tedeschi n'a pas à rougir d'une (vaine) comparaison avec Fanny Ardant (ou avec Meryl Streep dans Sur la route de Madison de Clint Eastwood, grand film construit sur l'opposition entre l'amour conjugal et, non la passion, mais l'amour romantique), ce n'est certes pas le cas d'Yvan Attal, minuscule, sans charisme, sans relief, quand Gérard Depardieu crevait l'écran, monstre d'intensité.

     

     

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  • THX 1138 de George Lucas (9)

     

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    Maître Yoda. Rien à voir avec notre article.

     

     

    On l’a dit, THX et la trilogie sont très différents, presque antithétiques. Seuls quelques détails préfiguraient ce qu’allait être Star Wars. Tout d’abord les agents-robots, qui rappellent beaucoup, rétrospectivement, les soldats de l’empereur (masques, uniformes) sans personnalité propre mais entièrement dévoués à l’autorité (l’Empereur dans Star Wars, la collectivité dans THX). Ensuite la dernière partie du film (la poursuite de THX par les agents-robots vers la sortie), plus spectaculaire et linéaire, annonce les combats spatiaux et autres poursuites interstellaires de la trilogie. Enfin, symboliquement, George Lucas oppose dans ses deux oeuvres le bien et le mal – basculer du côté lumineux ou obscur de la Force, s'émanciper d'une organisation sociale autoritaire. Dans Star Wars, bien et mal sont absolus, incarnés (Darth Vader, Luke Skywalker). Dans THX, bien et mal sont diffus, abstraits (l'amour, la coercition...). Deux excès : aventure binaire d'un côté, message trop appuyé de l'autre. Dans THX personne n'est bon ou mauvais, il n'y a qu'agents de l'autorité, et cheptel humain – l'individu, y est écrasé, et ne peut rien changer. Le coup d'éclat de THX lui fait quitter son monde concentrationnaire, mais rien n'indique qu'il puisse y retourner le subvertir – et encore, est-il permis d'envisager une mort rapide dans une atmosphère contaminée. Nulle autre Étoile Noire, ici, que l'organisation sociale. Le mal n'a pas de visage.

     

  • THX 1138 de George Lucas (8)

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    THX 1138 est un film très chrétien, au fond. Opposition entre l’âme humaine, capable d’amour (le Divin), et le monde-robot, le monde-écran luciférien, déshumanisé. Ville souterraine : Enfer (la Technique). L'amour physique entre THX et LUH ? Acte de procréation. Provoqué par défaut des drogues inhibitrices. Magnifique séquence, d'ailleurs. S'enlacent, se touchent, s’embrassent – seules manifestations d’humanité véritable dans un monde mort. Pour la société fasciste : dangereux dérèglement chimique. Rappelle encore Alphaville, dans lequel le système dirigé par l’ordinateur Alpha 60 est déréglé par ces quelques mots prononcés par Natacha (Anna Karénine) à Lemmy Caution (Eddie Constantine) : « Je vous aime. ». Le dysfonctionnement est souvent à l'origine d'une libération : machinique dans Brazil (Gilliam, 1985) ; informatique dans 2001 : A Space Odyssey. Le monde futur comme programme informatique où serait inoculé un virus capable d'enrayer un système immuable... Matrix, où le virus a pour noms Néo ou Morpheus, n'en est que la plus récente démonstration.