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  • Revue aléatoire, 5 : Grande Dame d'un jour de Frank Capra

     

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    Probablement vu sur petit écran, au Cinéma de minuit de France 3 présenté par le légendaire Patrick Brion, Grande Dame d'un Jour (Lady for a day, USA, 1933), matrice des programmes de téléréalité contemporains, où la mascarade et les apparences font loi, m'a plutôt laissé un bon souvenir. S'il n'est pas encore aussi maîtrisé que les chefs d'oeuvre du réalisateur (Vous ne l'emporterez pas avec vous, La Vie est belle...), Grande dame d'un jour possède en effet tout le charme de la comédie à la Capra – sens du rythme (en dépit de quelques lourdeurs), questions sociales traitées avec humour et souci permanent de l'entertainment –, sans l'insistance moralisatrice de certains de ses grands films, comme le néanmoins excellent Mr Smith au Sénat.

     

     

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    L'argument est des plus simples : Apple Annie, une clocharde, qui vend des pommes à Time Square et vit dans un taudis, s'apprête à recevoir sa fille de retour d'Espagne, fiancée à un aristocrate. Problème : Apple Annie a toujours fait croire à sa fille, dans ses lettres, qu'elle appartenait à la haute société new-yorkaise... Un de ses clients, le caïd Dave the Dude, pour qui ses pommes portent chance, va lui permettre, juste le temps d'une soirée, de passer pour une grande dame – entraînant même in extremis, après d'abracadabrantes péripéties, l'authentique bourgeoisie dans la supercherie. Loin de tirer sur la corde misérabiliste – hormis dans une ou deux scènes trop larmoyantes –, Frank Capra joue du contraste entre les intérieurs bourgeois, luxueux mais toujours sombres, et les rues des moins nantis, indigentes mais lumineuses. Ariane Beauvillard note très justement, sur Critikat, que « [dès] qu’Annie apparaît dans le cadre, la lumière se fait plus visible, plus éclatante, contrastant avec la situation sociale de la bonne "Apple Annie". »

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    Capra réalisera en 1961 un remake plus glamour (et plus drôle) de son propre film, sous le titre Pocketful of miracle (Milliardaire pour un jour), avec Glenn Ford et une Bette Davis dont la métamorphose, de pauvresse à belle lady, n'est pas la moindre réussite.

  • Revue aléatoire, 4 : Le Fils de Jean-Pierre et Luc Dardenne

     

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    C’est à Lille – au Métropole, me semble-t-il –, que Sébastien, Niramith et moi avons vu Le Fils (Fra/Bel, 2002) – bienheureux hasard qui a désigné cette œuvre exceptionnelle , notre troisième long-métrage des frères Dardenne (en réalité leur cinquième, après Falsch, Je pense à vous, La Promesse et Rosetta). Admirateur du duo de réalisateurs depuis la sortie de La Promesse, je craignais que leur cinéma-vérité ne débouchât déjà sur une manière qu’ils déclineraient alors de film en film, forts du succès critique et de la Palme d’Or (mérités) de l’intense Rosetta (la Mouchette des Dardenne). J'étais loin du compte.

     

     

    Pôle bressonien – absence de bande originale – découpage précis des gestes professionnels – du pickpocket au menuisier – Olivier Gourmet et Morgan Marinne – deux modèles dont Luc et Jean-Pierre captent une vérité des corps et des gestes – donc des âmes.

     

    D’abord, nous ne comprenons pas la situation. Olivier (Olivier Gourmet), maître d’apprentissage de menuiserie dans un centre pour jeunes délinquants en réinsertion, refuse  d’accueillir dans son atelier un nouvel élève, Francis (Morgan Marinne) – dont  l’arrivée le plonge dans la plus grande confusion. Obsédé par la présence du jeune homme – réorienté en soudure –, il décide finalement de le prendre dans son équipe. Un peu plus tard, nous finissons par apprendre – par la bouche de son ex-femme – qu’Olivier a perdu un fils. Et que Francis, alors âgé de onze ans, en est l’assassin.

     

     

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    Que faire du meurtrier de son enfant ? Le tuer ? L'adopter, tel un substitut ? Olivier n’en sait rien. Nos cinéastes non plus, du reste. Avec les Dardenne, il s’agit moins de savoir ou de comprendre – et encore moins de prendre valeur d’exemple ou de provoquer l’empathie –, que de partager une expérience, en accompagnant Olivier dans tous ses mouvements, la caméra – ultralégère, tenue à bout de bras comme une DV – collant à sa nuque. Et il bouge, Olivier. Sans arrêt. Ne fixant son regard que dans le vide, quand nous le voyons pensif, ou sur les travaux des apprentis, auxquels il donne des ordres brefs. Le Fils n’est pas un film sur le pardon. Comme La Promesse, comme Rosetta et Le Silence de Lorna, c’est un film sur la rencontre entre deux visages, celui du père humilié et celui de l’orphelin tragique – aussi bien, ceux d'Olivier Gourmet et de Morgan Marinne.

     

     

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    Pôle cassavetesien – Olivier Gourmet, bien au-delà de l'interprétation (récompensée par une Palme d'Or) et de la performance – quelque part dans la pure corporéité, dans la réelle présence – Morgan Marinne, qui traverse l'écran et l'existence comme un somnambule.

     

    Le Fils repose tout entier sur cette relation symbolique père/fils (sujet qui semble obséder les Dardenne : Igor  contraint de « tuer » le père dans La Promesse, et bien sûr Bruno fuyant ses responsabilités dans L’Enfant) extrêmement singulière. S’il continue à enseigner la menuiserie, c’est, dit-il à son ex-femme, parce qu’il se sent utile. Parce que la répétition, jour après jour, des mêmes gestes minutieux, est le seul moyen qu'il ait trouvé pour ne plus penser à l'impensable. Mais en vérité, ce n'est pas seulement pour étouffer sa solitude et sa douleur qu’Olivier s’investit dans son travail – son appartement est vide, comme sa vie, de l’absence de son fils –, c'est aussi et surtout  pour transmettre son savoir ouvrier à ces jeunes, à défaut de pouvoir le transmettre à son propre enfant.

     

     

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    Mais soyons encore plus précis. Ce qu’Olivier apprend à Francis, en plus du métier de menuisier – le bois, symbole de la matière par excellence, comme celui de la sagesse –, c’est porter sa propre croix, ici représentée par des planches et des madriers. Et cet apprentissage s’effectue en deux temps. Dans une première séquence, à l’atelier, les apprentis sont chargés de monter une échelle chargés de leur madrier. Olivier leur montre comment porter leur charge. D’abord, mettre un genou à terre. Puis soulever le fardeau et répartir son poids sur l’épaule. Se relever. Grimper. « C’est trop lourd ! » s’exclame Francis, qui, déséquilibré, agrippe ses jambes autour cou d’Olivier – parodie d’un père portant son fils sur les épaules, et parodie du fatal étranglement qui l’envoya en prison à l’âge de onze ans – et finit prostré. Ces gestes – soulever, porter son simulacre de croix –, Francis les reproduira lors de la longue séquence finale, à la scierie.

     

     

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    Là-bas, ils rejouent le chemin de Croix, chacun souffrant sa Passion. Au terme du calvaire, après la dernière épreuve dans les sous-bois matriciels, le fils finit enfin par gagner un père – l’apprenti, un maître – et vice versa – simulacre du meurtre originel, naissance d’un nouveau fils. Il est là, l’enjeu du Fils, comme son titre l’indique. Ce n’est d’ailleurs qu’après que son ex-femme lui a annoncé sa nouvelle grossesse – elle refait sa vie avec un nouveau compagnon – qu’Olivier accepte finalement l’apprenti dans son atelier. Selon la belle formule de Françoise Collin, « si l’enfant de la mère est un enfant du corps, l’enfant du père sera, lui, enfant de la parole. Et donc du geste en ce monde simple où la parole est geste. » (in Jean-Luc & Pierre Dardenne, ouvrage collectif dirigé par Florence Aubenas, La Renaissance du Livre, Bruxelles, 2008, p. 211). Comme ces exercices abdominaux qu’Olivier effectue chez lui – récurrent simulacre d’accouchement.

     

     

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    Fin lumineuse que celle du Fils. Pas de vengeance, pas de pardon, seulement deux êtres qui se dévisagent.

     

     

  • Revue aléatoire, 3 : Temps sans pitié de Joseph Losey

     

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    Pour ce troisième numéro de notre revue aléatoire, le hasard facétieux choisit un autre film de Joseph Losey, le réalisateur d’Une anglaise romantique. Où et quand ai-je vu ce film (très) noir, dont le regard implacable sur la peine capitale annonçait Pour l’exemple ? Aucune idée.

     

    Adaptation d’une pièce d’Emlyn Williams. Temps sans pitié (Time without pity, GB, 1957) est le quatrième film de l’exil anglais de Joseph Losey, qui fuyait McCarthy et la commission des activités anti-américaines. Après trois films tournés sous le pseudonyme de Victor Hanbury, Losey signe celui-ci de son nom. David Graham (très bon Michael Redgrave) rentre en urgence de sa cure de désintoxication pour tenter de sauver son fils, accusé du meurtre de sa petite amie et condamné à la pendaison 24h plus tard. Sans perdre un instant, Graham enquête dans l’entourage de son fils à la recherche d’une preuve, et se remet à boire.

     

    Temps sans pitié est un film assez curieux, parfois impressionnant – grâce à des acteurs compétents (à l’exception d’Alec McCowen, qui en fait trop dans le rôle de David) et à la photographie expressionniste de Freddie Francis –, mais souvent pénible à force de musique lourde, de noirceur sans fond, de désespoir, de déchéance généralisée. Tous les personnages paraissent brisés, perturbés, victimes du temps qui détruit tout – partout des pendules, des horloges, des cadrans. Graham, plus que tout autre, semble d’avance condamné par sa pulsion d’avilissement, par cette violence qui l’habite, celle-là même, rappelait Deleuze dans L’Image-mouvement, qui conduisait M. Klein à sa destruction.

     

     

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  • Revue aléatoire, 2 : Le Fleuve de la mort de Luis Bunuel

     

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    De cette œuvre mineure, parodie de western vue en 2000 pendant l'intégrale ¡Todo Buñuel! du Centre Pompidou, et considérée par Luis Buñuel lui-même comme « une chose médiocre » [1], je n'ai que des souvenirs épars. Film de commande tourné après Les Hauts de Hurlevent et On a volé un tram, et présenté au festival de Venise, Le Fleuve de la mort (El Río y la Muerte, Mexique, 1954) est construit autour des règlements de compte, à Santa Viviana, de deux familles ennemies, les Anguiano et les Menchaca. Gerardo, des Anguiano, médecin à Mexico, refuse de se plier aux règles absurdes de cette guerre locale, où la vengeance constitue l'acte de bravoure par excellence.

    Du Fleuve de la mort, je me rappelle l'omniprésence des armes à feu – même le prêtre ne s'en sépare jamais ! –, un noir et blanc et un sens du cadre tout buñueliens, des acteurs convaincants, mais aussi des scènes trop bavardes destinées à nous transmettre un message un peu naïf (l'instruction, la culture, les études comme antidote à la violence – thèse à laquelle Buñuel ne croit pas [2]) et un happy end aussi incongru qu'abracadabrant.

    Dans Mon dernier soupir, sa géniale autobiographie (le livre le plus drôle que j'aie lu), Buñuel rappelle qu'en Amérique latine, « on peut tuer pour un oui ou pour un non, pour un regard de travers, ou même simplement "parce que j'en ai envie" » [3]. C'est d'ailleurs avec un plaisir non dissimulé que le réalisateur confesse son propre amour pour les armes à feu, avant de nous mettre en garde contre le machismo du mâle au Mexique :

    « Il est extrêmement chatouilleux, susceptible, et rien n'est plus dangereux qu'un Mexicain qui vous regarde calmement et qui vous dit d'une voix douce, parce que par exemple vous avez refusé de boire avec lui une dixième tequila, cette phrase toujours redoutable :

    – Me esta usted ofendiendo ("Vous êtes en train de m'offenser").

     

    Dans ce cas-là il vaut mieux boire le dixième verre. » [4]

     

     

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    [1] Interview de 1965 dans la revue espagnole Griffith, citée dans M. Drouzy, Luis Buñuel, architecte du rêve, Lherminier, « Cinéma permanent », Paris, 1978.

    [2] L. Buñuel, Mon dernier soupir, R. Laffont, Paris, 1982, p. 256 (réédité chez Ramsay en 2006).

    [3] Op. cit., p. 254.

    [4] Op. cit., p. 256.

     

     

  • Revue aléatoire, 1 : Une anglaise romantique de Joseph Losey

     

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    Une, deux ou trois fois par semaine, afin de relancer pour de bon ce maudit blog, qui s'est peu à peu éteint et transformé en lamentable espace d'auto-promotion, j'évoquerai un film tiré au sort, plus ou moins longuement, plus ou moins à côté de la plaque – il est fort possible que certains de ces films soient totalement sortis de ma pauvre mémoire –, parfois simples prétextes à quelque rêverie ou divagation. Point, ou peu, d'analyses textuelles, et place à l'inactuel. N'en déplaise aux potâcherons des Razzies et aux fâcheux erions, je réserve désormais mon énergie hermétique à d'autres pages.

     

    Par chance, nous commençons notre revue aléatoire avec Une anglaise romantique (The Romantic Englishwoman, 1975, GB/Fra) de Joseph Losey. Son visionnage remonte, je m'en souviens parfaitement, à mes études de filmologie à Nancy (entre 1997 et 1999, donc), probablement dans le cadre d'un cours sur l'histoire du cinéma anglais. Certes, Une anglaise romantique n'est pas aussi décisif que The Servant, Le Messager ou Monsieur Klein. Mais il en va de certaines œuvres mineures comme de la cuisine familiale : il arrive qu'on s'y sente parfaitement à son aise.

     

    Glenda Jackson – l'actrice du grand Women in love de Ken Russell – était parfaite dans ce rôle volcanique de bourgeoise dont l'horizon étriqué, sous l'emprise de son mari, semblait soudain s'élargir lors de sa rencontre avec le jeune Thomas, faux poète, petit trafiquant et vrai gigolo. Éternel jeu de dupes. Lewis, le mari (Michael Caine), est un écrivain en mal d'inspiration – c'est-à-dire en mal de désir. Et fatalement, à trop imaginer les tromperies de sa femme, c'est la flamme d'Elizabeth qu'il ranime à ses dépens. Et si Thomas, l'amant trouble, manque autant de relief, ce n'est pas tant parce que l'acteur qui l'incarne, Helmut Berger (le Ludwig de Visconti), est mauvais, que parce qu'il n'est ici que la projection des fantasmes et de l'imaginaire pathétiques de Lewis. L'escapade d'Elizabeth est vouée à l'échec, bien sûr. Adultère, désirs brûlants, jalousie : ces clichés font partie du décor du pauvre drame de Lewis, dont Elizabeth est prisonnière. La seule fin possible, évidemment, est un retour à l'ordre bourgeois. 

     

    J'ignore d'où me vient ce goût immodéré pour les chroniques conjugales sur grand écran,  des premiers élans amoureux aux séparations douloureuses – voire criminelles, comme dans Parfait amour ! de Catherine Breillat – qui jalonnent ma filmographie secrète. Peut-être parce qu'ils nous renvoient implacablement aux errements de nos vies minuscules, et que l'amour, la jalousie et la relation à l'autre – des transports de la passion au lent voyage quotidien –, relèvent au fond de la quête spirituelle (le film mystique, autre constante dans mes amours cinéphiliques...).