En février 2006, Éric Bénier-Bürckel avait accordé à la revue en ligne Ring un dense entretien – disparu depuis dans les limbes de la Toile … –, mené par Juan Asensio et moi, au cours duquel l’auteur de Pogrom, peu avare de ses mots, jetait un nouvel éclairage sur une œuvre secrètement hantée, depuis son premier roman Un prof bien sous tout rapport, par l’absence de Dieu. Si nous doutâmes parfois de sa sincérité, son dernier livre, Un peu d’abîme sur vos lèvres, le montre (lui ou son narrateur, mais ici la frontière est instable) hargneux, amer, puis comme brisé, totalement nu, pathétique et, in extremis, apaisé. Force nous est de reconnaître, aujourd’hui, certaine cohérence dans les chemins empruntés par sa littérature. Sans doute, comme il me l’a confié plus tard, était-il, à l’époque, sous le choc d’une véritable révolution intérieure. Relisons ses réponses d’alors, où nous trouverons tour à tour la roublardise de l’opportuniste, la fièvre d’une pensée en mouvement, et la promesse, sous-jacente mais toujours brûlante, d’une œuvre à venir d’où surgira, j’en suis sûr, un rayon de lumière pure. Qu’il soit ici remercié de nous avoir permis de reproduire nos échanges.
La deuxième partie de cet entretien sera publiée dans la foulée sur Stalker.
La troisième et dernière partie sera mise en ligne ici-même.
Ensuite, je vous réserve une petite surprise, avec une longue interview d’un auteur un peu libertaire sur les bords, déjà largement commenté en ces pages…
Juan Asensio : Éric Bénier-Bürckel, je dois vous dire que vous m’avez surpris en m’ayant déclaré que votre troisième roman, Pogrom, était un incalculable ratage, vous m’écriviez même : « un désastre ». Dans le texte que je lui ai consacré, tout en pointant les défauts de ce roman, je parvenais tout de même à une conclusion beaucoup plus nuancée que la vôtre : m’y attirait sa rage d’expression si je puis dire, cette volonté d’acculer le réel par la seule force des mots. Si désastre il y a donc, ce ne peut être qu’au sens où Blanchot emploie ce mot dans l’expression, bien connue, d’« écriture du désastre ». Dès lors, j’ai du mal à expliquer votre sévérité à l’égard de votre propre livre : serait-ce une forme de modestie déplacée ou bien, effectivement, ce qui est tout de même assez rare de nos jours de la part d’un écrivain, la réelle conscience d’un fourvoiement ? Si échec de ce roman il y a, voulez-vous nous dire en quel sens ? Si échec encore il y a, pourquoi, alors, avoir accepté de le publier tel quel ?
Éric Bénier-Bürckel : Pogrom est le mot essentiel, le titre par lequel l’auteur indique au lecteur dans quel univers il s’introduit, à quel type d’épreuve il doit s’attendre, à quelle violence catastrophique il va être confronté, il est par lui-même un signe de chaos, de désastre, celui qui a eu lieu, celui dans lequel on vit, celui qui vient. On respire dans un désastre, un écart terrible, une brèche incolmatable, un glossaire de calamités : la séparation de l’homme avec son origine, la séparation des hommes entre eux, la séparation du profane et du sacré, de l’immanence et de la transcendance, la séparation des juifs et de leur terre, les chrétiens qui voulaient séparer les juifs du Texte vivant pour les soumettre au Christ vivant, les musulmans qui voudraient séparer juifs et chrétiens du Livre pour les soumettre à Mohamad, la technique qui sépare l’homme de son mystère, la lutte à mort pour l’Origine. Le monde et la parole en portent la cicatrice. Désastre, je le rappelle, signifie étymologiquement être privé de l’astre, source de lumière, de chaleur, de plénitude. Il est à l’origine du mot désir. Et le désir est le lieu d’une déchirure en même temps que la tension qui veut réunir les bords décousus. Une disjonction, et la recherche d’une conjonction, c’est le plan du roman, mais dans la réalité c’est la nature de cette conjonction qui fait problème. Avec quel fil allons-nous recoudre les hommes ensemble ? Plus crucial encore : avec quel fil allons-nous nous recoudre à l’origine ? La technique s’y emploie, rejetant le fil du sacré dans les limbes de l’inutilisable. Entrer dans Pogrom, c’est pénétrer dans l’entre-deux de la déchirure qui sépare la créature de ce qui l’a engendré, qui ampute le monde de la lumière, l’homme de Dieu, la parole humaine du Verbe, l’étant de l’être, l’homme de sa Question.. Depuis la chute, si je puis dire, la réconciliation avec l’astre dont on est privé est vouée à l’échec. Le désastre commence avec la chute d’Adam, se poursuit avec la mort du Christ, se transmet comme une maladie jusqu’à Auschwitz, se montre à nouveau le 11 septembre. Il y a du péché originel dans ce désastre, et la première faute, aux yeux d’une laïcité honteuse de ses origines, consiste à rappeler ce défaut d’origine, la distance infinie qu’il y a entre l’homme et son origine, le fait qu’elle lui échappe ou qu’elle lui résiste, qu’elle se retire précisément là où il veut l’obliger à se dire, dans le texte, puisque c’est là qu’elle doit avoir lieu, le livre ne s’ouvre t-il pas pour permettre à l’origine de s’ouvrir à lui ? Mais l’origine se refuse à se trahir dans le texte où, cela dit, elle brille par son absence ; et à trop la forcer à se dire on la dit de travers, on la dit mal, on la maudit ! Nous vivons sous le signe des pogroms, c’est en cela que nous sommes peu ou prou désastrés. Pogrom signifie : destruction totale, charnier, engloutissement de l’homme et de la bête ensemble, confusion des genres, l’indifférenciation comme résultat final, la médiocrité, le relativisme, l’égalité formelle parfaitement creuse. Désastre, lieu d’un constat, c’est déchiré là où nous sommes, nous habitons cette déchirure, nous sommes désastrés, et lieu d’un appel, d’un cri de détresse : il faut crier vers l’Étoile qui manque, crier vers l’extrême bord de soi, crier vers le vide qui le cerne, vers le lieu où ça s’est retiré, vers Dieu, et par conséquent, c’est inéluctable, vers les juifs, le peuple du Nom de Dieu ! Le désastre, c’est le monde plongé dans la nuit, l’immonde si l’on veut, et la parole dans Pogrom est une plaie creusée dans l’immonde qui attend la grâce, la grâce qui ne vient pas, qui la laisse grandir, pourrir dans sa disgrâce, terreau du ressentiment qui massacre les juifs pour s’en débarrasser et enterrer la question, pour biffer le problème de l’origine et à travers lui celui de toute identité. J’ai le regret d’affirmer que Pogrom n’est pas un livre antisémite. Et si j’ai raté Pogrom, c’est sur ce point, puisqu’on y a vu, au pire : un appel à un nouveau génocide ; au meilleur : de la propagande pro-arabe. Comme en écho à l’antisémitisme occidental, c’est l’antisémitisme musulman qui est pointé, brossé, rossé même par la façon dont j’en dresse la caricature. Je rappelle que le Coran revendique pour lui le Livre des Hébreux : les juifs ont falsifié le message divin, les chrétiens se sont fourvoyés avec cette nouvelle idole qu’est le Christ (quelle stupidité de croire que Dieu peut engendrer un fils), seul l’Islam, qui réussit quand même ce tour de force extraordinaire de désavouer celui qu’il pille et de fonder sa « légitimité » sur ce désaveu, accomplit le Texte et détient la vérité de l’origine à laquelle les infidèles et vilains pervers juifs et chrétiens n’ont plus qu’à se soumettre (muslim). C’est au nom de cette vérité confisquée de l’origine que le monde musulman, pour réparer sa blessure identitaire, non seulement veut séparer le peuple juif de son Texte fondateur, mais veut aussi l’écarter de sa patrie d’origine, comme si accepter Israël c’était reconnaître la légitimité de la Torah considérée par les musulmans comme un Faux. Si l’inqualifiable ne s’élève pas contre les propos de Mourad dans le fameux passage incriminé, c’est parce qu’il représente un système de pensée en faillite, le nôtre, qui a attendu la Shoah pour s’effondrer complètement et remettre en question son rapport avec le Livre et ses dépositaires, Moïse et les siens. Le christianisme a longtemps été jaloux de ceux qui avaient élu Dieu et lui seul parmi les dieux, un Dieu énothéiste au tout début, puis définitivement monothéiste ; aujourd’hui, il reconnaît l’énorme dette qu’il a envers lui, bien après Léon Bloy et son Salut par les juifs. Le montage antisémite actuel est moins chrétien que musulman, même s’il reste quelques crétins en voie d’extinction pour prendre au sérieux les délirants Protocoles des sages de Sion. Ce que l’Islam ne pardonne pas à la Bible et à son peuple, c’est d’être l’original de ce qu’il répète, c’est de ne pas être lui-même l’original. Et c’est de ce complexe qu’a souffert aussi pendant longtemps l’Occident chrétien : il l’a assez fait payer aux juifs. Ce n’est pas l’idée de Dieu qui pousse au crime, c’est l’obsession de le posséder, l’impuissance à le partager, l’envie de devenir Dieu soi-même ou d’être avec ses lieutenants les plus proches. Je crois que les hommes s’affrontent au nom de Dieu pour donner un nom à leur propre narcissisme. Mon roman voulait dire l’entre-deux de la grâce et de la disgrâce, l’appel et le rejet désappointé du Lointain, du coup la tentation de se laisser aller à faire le malin, à faire ami-ami avec le Mal, à jouer son jeu, celui de la discorde, du divorce, de l’oblique, du dia-bolon, laissant rôder autour de lui quelques voix dissonantes, stylistiquement inégales, du fascisme à la française (Rebatet, Brasillach, Céline) semant le trouble dans l’esprit de celui qui me lirait : mais de quel bord est-il ? C’était maladroit, je le reconnais. Mon roman raconte la genèse du roman, et le roman comme tel ne vient jamais, la parole ne trouve pas son souffle, son inspiration, elle erre, elle s’enterre dans son enfer viscéral, tel un fauve en cage dans sa propre chair, en quête de sa voix, le livre reste à l’état de projet et le narrateur, l’inqualifiable, raconte la faillite de ce livre impossible à écrire, comme il narre la faillite de sa propre vie, son impossible conciliation avec l’autre, sa clôture narcissique, son naufrage, figure de l’interminable errance de l’exilé qu’est l’homme depuis que lui et sa parole sont tombés de l’infini, figure déjà à l’œuvre dans mes précédents romans, Un Prof bien sous tout rapport (dont le titre originel est L’air de Rien) et Maniac. L’hôtesse, c’est le monde déchu sûr de ses valeurs, envasé dans son narcissisme, c’est l’empire du Bien nihiliste, c’est la tentation démoniaque d’une vie facile dont l’horrible mot d’ordre est : sors de ta béance, oublie-là, coupe toute liaison avec Ceux d’en haut et profite de la vie ! L’hôtesse, c’est l’oubli de l’être, si je puis dire, l’oubli de l’oubli, l’énorme trou de mémoire, le profit parasitaire, la bêtise uniformisée. Le problème vient de ce que je couds mal les bords ensemble, j’ai voulu dire trop de choses, laisser hurler trop de mauvais instincts, j’ai corrompu le Mystère, c’est pour cela que c’est raté !
JA : Vous n’avez pas répondu à ma toute dernière question, que je vous rappelle : « Si échec encore il y a, pourquoi, alors, avoir accepté de le publier tel quel ? ». Vos réponses appellent bien des commentaires, soulèvent, comme toute bonne réponse, une foule de nouvelles questions. D’abord, vous nous dites que Pogrom a été incapable, dans son écriture, de tenter une anamnèse qui aurait consisté à retrouver l’origine ; comme vous le dites bellement : « l’origine se refuse à se trahir dans le texte ». En êtes-vous bien certain ? Je choisis deux exemples, parmi bien d’autres. Vous devez probablement connaître Absalon, Absalon ! de William Faulkner ou La Mort de Virgile d’Hermann Broch, deux romans que l’on peut lire comme des tentatives, désespérées et géniales dans leur inflexible volonté de dire, de forer, pour retrouver une origine mythique que nous content, avec une constance qui devrait tout de même nous troubler, les vieilles sagas légendaires de bien des peuples anciens. Virgile, étrangement, paraît retrouver mais une fois mort, cette Parole première, que du reste il avait compris devoir annoncer par son œuvre, qu’il désira brûler. Sutpen et ses héritiers maudits sombrent dans la violence et la folie mais c’est le lent œuvre commun des différents narrateurs du roman qui nous indique je crois, dans une polyphonie admirable, quelque peu des échos d’une écriture première, chargé de mystère, de fureur et d’étonnement devant la beauté fulgurante.
Nous reviendrons sur l’accusation d’antisémitisme qui accable Pogrom à la lumière de cette dénonciation à laquelle vous procédez d’un nouvel antisémitisme, qui ne vient pas mais qui, au contraire, est déjà là, est toujours-déjà-là selon l’expression de Paul Ricœur, que votre roman aurait voulu stigmatiser, celui de plus en plus de musulmans. M’intéresse avant tout la dernière partie de votre longue réponse : Léon Bloy justement. Estimez-vous que manquent, actuellement, de grands esprits capables de faire réfléchir les chrétiens au mystère juif qui serait encore, en somme, celui de l’Origine du monothéisme ? Et, pour le romancier que vous êtes, trouver, retrouver, revenir, choisissez l’expression qui vous conviendra, revenir au Christ donc, peut-être par le truchement d’un Bloy, d’un Bernanos ou d’un Claudel, n’est-ce pas, en revenant à la Parole , en La retrouvant, sortir ipso facto de la littérature ? Trouver l’Origine serait, aussi… se taire.
ÉBB : Pour répondre d’abord à votre première question, je crois qu’on ne possède pas toute l’intelligence de son texte au moment de sa publication. On a une idée fixe, un climat, une atmosphère obsédante en tête, celle qu’on veut clouer dans les mots, on est attentif à certaines choses, inattentif au reste, on réfléchit toujours à l’unité de ce qu’on écrit par fragments, et le livre, aussi chancelant soit-il, finit par nous congédier, il se poursuit sans nous, dans le silence de sa propre intelligence, de plus en plus inintelligible pour celui qui l’a arraché à la nuit. Alors on regarde le labeur accompli et on se dit, même si c’est toujours insuffisant, qu’on s’est dépassé soi-même, et qu’on s’est fait doubler en même temps. C’est un équilibre vacillant ou un déséquilibre stabilisé qu’on rend à l’éditeur, un ballon rapiécé, déglingué, pourri, un bastringue, un branle-bas, le fameux Zélé de Mort à crédit, ça menace de s’écraser, tant pis, il faut en sortir avant que ça ne se referme sur vous et que vous vous abîmiez avec. Pogrom correspond à un état d’esprit, il fallait que j’aille au bout d’une certaine horreur, en glissant et en sautant sur des mots minés, entreprise orphique à tout point de vue, descendre au plus bas, avec la surprise de découvrir qu’à l’intérieur même de la nuit se tient un jour sidérant qui en fait trembler la noirceur. On contemple cette chose avec effroi. Elle peut nous détruire, comme dans Absalon, Absalon ! ou dans les Élégies de Duino. J’écris en transe, et dans cette transe du premier jet, sur laquelle on revient tant de fois après, on sent qu’on n’est plus seul à écrire, que quelque chose nous secoue la plume par en dessous, veut écrire à notre place, cherche à se matérialiser, un mystère qu’on ne contrôle pas et dont on devient à nos dépends le sismographe, un sourd grondement tapi au cœur de l’obscurité, ce noyau de lumière, de « beauté fulgurante » comme vous dites, c’est cette chose terrible qui nous congédie, qui nous dépossède en même temps qu’elle nous possède si on se laisse atteindre par elle. Est-ce cela, la grâce ? L’échec laisse entendre qu’on a échoué, qu’on s’est engravé la langue dans quelque lourdeur de sa propre corruption mentale, qu’on a touché le fond, et non le sans-fond, qu’on a été interrompu dans sa descente, qu’on s’est pétrifié dans un manque, qu’on n’a pas atteint le but qu’on s’était fixé ou tout simplement que le but en question n’a pas voulu de nous. Mais je ne vois pas l’écriture autrement que comme une errance, une déshérence, un effondrement consenti, il n’y a pas de but pas plus que de début, il y a un appel, on ne sait trop d’où ça vient, sans doute pas uniquement de la littérature, même si on écrit parce que c’est là qu’on s’est senti interpellé, on se précipite là où l’on croit que cet appel nous convoque, le livre, la musique, la peinture, mais aussi la politique, pour finir par se rendre compte que ça nous convie ailleurs, comme vous le dites, au cœur du silence, dans sa plénitude secrète, son amertume. A l’appel on a répondu à côté : on a répondu là où on l’attendait sans tenir compte de là où ça nous attendait. On a manqué à l’appel, c’est sans doute le cas de Pogrom, et c’est cela échouer. Mais l’échec est important pour l’écrivain, quelque chose doit venir et quand cela vient on se rend compte qu’un seul fragment est venu et qu’on n’a pas épuisé l’à venir. Le livre, morceau d’infini, se referme sur une ouverture : le prochain livre. L’échec dit la clôture et l’ouverture en même temps. Voilà pourquoi l’échec peut être souriant et pas seulement cuisant. Dans mon roman, l’inqualifiable, mon double, mon envers, lui-même échoue, il s’enfonce, il tombe, le livre se dérobe, la parole se blâme, c’est la catastrophe, et je voulais que Pogrom soit la caisse de résonance de cette catastrophe, l’impossibilité d’écrire, d’apposer sa signature sur la parole silencieuse, une catastrophe pas trop médiocre, si possible, un bouleversement des sens et du sens qui exhale, comme l’exige Artaud, une haleine de « vertige comprimé. » C’en fut une sur le plan de l’incompréhension : on a dit que c’était mal écrit, qu’il n’y avait pas de style, que c’était du sous-Céline, etc. Il y a des redites, certes, mais elles devaient figurer pour moi la chute en forme de spirale dans laquelle le narrateur du roman s’embourbe. On tourne en rond, comme dans mes deux autres romans, on tourne en rond autour de l’origine qui nous refoule durement, on échoue à l’accueillir, mais l’écueil brille lui-même de ce qu’il a manqué, il en révèle à chaque fois l’empreinte, dans son nerf. On a dit de Pogrom que c’était de la provocation. Mais provoquer, c’est chahuter dans l’indifférence, c’est appeler dehors, non pas inciter à la bestialité, surtout pas, mais pousser hors de soi, inviter à être hors de soi, à se dépasser vers son dehors, inciter à l’extase, à être en infraction, non pas avec la loi, mais avec ses propres bornes, avec sa bêtise, l’insignifiance de l’époque, avec ce faux repos qu’aucun combat n’a précédé, qu’aucun effort de conquête n’a entériné, il s’agit de réveiller, d’exciter en soi tout ce qui gît dans l’accablement, tout ce qui veut mourir, se taire, quitte à se donner des coups dans les parties basses, tout ce qui veut renoncer à grandir, à sortir du parc d’attraction – je n’ose dire du Camp – dans lequel nous autres judéo-chrétiens nous sommes séquestrés et dont le brouhaha nous bouche les oreilles et nous coupe la langue. C’est bien pour cette raison qu’on entre en littérature pour en sortir, mais après avoir fraternisé avec la chair du silence que la littérature, et avec elle la musique, nous apprend à goûter. Or, comme nous n’avons jamais fini d’en sonder la saveur, nous n’en sortons jamais, c’est le suprême paradoxe. Au terme du voyage, il y a le Texte, dont il est la source et l’horizon. Le Livre des Livres, c’est bien la Bible. C ’est de là qu’on part et c’est là qu’on finit toujours par revenir. Se tourner vers le Christ, c’est se tourner vers la Parole , et l’horizon de la Parole , c’est la Torah. Il me semble que Maurice Dantec, après Léon Bloy, nous montre bien que le Salut vient par les juifs.
La deuxième partie de cet entretien est en ligne sur le blog de Juan Asensio, ici : http://stalker.hautetfort.com/archive/2007/03/27/entretien-avec-eric-benier-burckel-2.html.