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La Chair de Serge Rivron

 

 

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« Ton sang chauffe d’un coup
Tu le sens cavaler
Te porter n’importe où
Te faire faire un peu tout, sans frein;
Là, tu es dans un lit
Où ton sang t’a mené
Et la fille est jolie
Et après, vous parlez
Et tu dis « j’ai quelqu’un »;
Tu dors sous d’autres draps
Depuis longtemps déjà,
C’est pourquoi tu es là
Avec ton sang qui dort
Sous tes mains, sous ta peau;
Ton sang paisible enfin
Paisible, lui au moins. »

Dominique A, « Pour la peau »

 

 

Il n’est pas sûr qu’invoquer en préface et en quatrième de couverture les noms de Bloy, de Céline, de Bernanos et même de Pascal et de Calaferte, soit le meilleur service à rendre au dernier roman de Serge Rivron, La Chair (Jean-Pierre Huguet Éditeur). L’ombre de ses figures tutélaires plane doucement, sereine, sur le verbe de Rivron, moins sans doute pour se rendre visible que par nécessité. Rivron n’est pas un poseur. Il porte en lui une certaine littérature, celle du Voyage au bout de la nuit, celle du Désespéré, celle des Pensées ou celle de Sous le soleil de Satan en effet, dont son roman renvoie d’inévitables échos, mais cette chair est totalement sienne, humble et singulière.

« C’est la chair qui commande » (p. 58). Du moins est-ce ce qu’affirme Michel, mauvais père, ivre de sexe et d’argent, héros du livre. Ce titre aux allures présomptueuses, pourtant, n’est qu’un trompe-l’œil (en vérité, nulle prétention chez Rivron). Si le sexe, ici vécu comme un combat, comme un corps à corps entre deux êtres qui se pénétrant ne réussissent jamais à s’unir vraiment, les anime de spasmes et de soubresauts comme des pantins, c’est surtout celle de Dieu qui est en jeu, car Michel, l’homme au nom d’archange, est né du ventre immaculé de Marie Montalte, jeune femme portée par une foi authentique, celle qui permet aux hommes de déplacer des montagnes.

Dans l’excellent Habitus, excellemment traduit par Claro (dont bizarrement le Stalker ne pense pas que du bien), James Flint mettait déjà en scène une grossesse prolongée, au terme de laquelle apparaissait une enfant mutante qui commençait à s’étendre sur le monde. Enceinte pendant deux longues années, Marie Montalte n’accouche que d’un homme qui est comme Dieu, mais qui n’est pas lui. Michel refuse de croire au miracle de sa naissance – comme à celui de la résurrection de sa fille après son suicide –, sans comprendre que c’est Dieu qu’il assassine en lui, Dieu dont il trahit l’incarnation, Dieu dont il refuse de voir les signes dont son parcours est pavé. Emblématique de notre époque cynique, désenchantée (le concept de jeu télévisé proposé par Michel – qui travaille dans la publicité – rappelle les sketches du Daniel de La Possibilité d’une île) dont l’esprit « a rayé le mystère de son vocabulaire » (p. 137), Michel n’est pas à la hauteur de son patron céleste. Or, « qui n’est pas un Saint est un tricheur. Jusqu’à l’abaissement. Jusqu’à la vomissure » (p. 23). Les « pages arrachées » à son livre, humaines trop humaines, nous renseignent sur sa nature démoniaque, et dessinent peu à peu les contours du violent meurtre à venir.

Écrit dans une langue habitée, nourrie de la chair – autant dire du verbe – de ses brillants prédécesseurs, La Chair distille son message sans coup férir mais n’est cependant pas exempt de défauts qui, s’ils n’enlèvent rien à l’intelligence et à la beauté du récit, l’empêchent cependant de toucher l’âme en profondeur. Certes, les nombreuses coïncidences du récit ne sont pas l’œuvre du hasard mais des signes envoyés à Michel – non par Dieu ou le diable, mais par l’auteur lui-même, dès lors incapable de nous faire oublier leur artificialité. Par ailleurs, cette insistance à nous décrire les péripéties sexuelles de son personnage – crûment mais avec grand talent et avec une impudique sincérité à mille lieues des illusions malhonnêtes que Régis Jauffret dénonce dans Lacrimosa –, n’est jamais vraiment justifiée, comme si se jouait avant tout, dans ces pages arrachées, l’expérience même de l’écriture pour Serge Rivron, éminemment conflictuelle, comme si, à l’instar de celui en qui je vois son Doppelgänger, son double fictif et démoniaque, comme si, donc, son verbe n’était qu’une récompense à la chair, cadeau de l’esprit pour le prix accordé aux corps à corps sensuels, et non ce double lien (« La chair a deux raisons d’aimer dont les forces sont si violemment contraires que la plupart des amants sans arrêt s’épuisent à vouloir les dompter l’une par l’autre, la force du corps par la force de l’âme et la force de l’âme par la force du corps », p. 298) auquel il aspire. La Chair, ou le roman d’un homme aux prises avec son propre corps, avec ses fantasmes, avec ses pulsions, avec ses étreintes – avec son sang dont son verbe s’abreuve, faisant à chaque goulée vaciller un peu plus son univers de fiction. Périlleuse entreprise, dont Serge Rivron se sort plutôt bien, mais dont La Chair, à mon sens, porte les stigmates.



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Commentaires

  • Tiens, Olivier, je te surprends en flagrant délit d'amélioration de ta critique de La Chair ?
    Passons, tu as bien raison d'amender et de préciser.
    Je ne vois vraiment pas par quel saint commandement transhumain je devrais penser du bien de Claro dont presque chacune de ses traductions m'est tombée des mains (que j'ai pourtant basques, donc larges) et dont le texte de défense et d'illustration de Zone de son copain Énard est à pleurer.
    Aimant naturellement les gens, j'en venais même à accuser les auteurs, Vollmann et Gass et quelques autres jusqu'à ce que, décidé à en avoir le coeur net, je me procure la version original des Fusils et que j'entreprenne d'en lire les 50 premières pages : fais donc l'essai et, plutôt que de répéter comme un mouton qui bêle que Claro est génial dans ses traductions, lis ou tente de lire les textes dans leur langue originale.
    Bien évidemment, je ne veux jeter aucun discrédit sur l'ensemble de son travail : disons probablement que je suis tombé sur deux-trois (tout de même) mauvaises pioches.
    Maintenant, puisque tu me parlais d'action, entrons-y : ton texte critique (non : compte rendu, une fois de plus) sur La Chair passe à peu près aussi loin de l'intérêt réel de ce roman que ton compte rendu n'avait pas compris grand-chose à mon propre livre.
    Querelle ancienne mais que tu illustres de nouveau.
    Dis-moi, le Transhumain est-il vraiment, encore, le Transhumain ? Etant donné que je passe mon temps à te faire de la pub (l'un des meilleurs blogs de critique littéraire), faudrait pas qu'on finisse par m'accuser de tromperie sur la marchandise mon ami.
    Alors, moi, j'attends quinze pages argumentées du Transhu sur ce livre et d'autres que tu as passés par-dessus ta jambe : en fait, que tu nous prennes au sérieux comme tu prends au sérieux un Houellebcq et, naguère (jadis ?) un Dantec.

  • Mais enfin,combien de fois faudra-t-il te répéter que ce sont les livres eux-mêmes (et pas Stalker !) qui me dictent ma conduite ? C'est pourtant simple. Ton livre, ou celui de Serge, sont suffisamment intéressants pour que j'en parle ici, mais pas assez convaincants, ou décisifs, ou essentiels à mes yeux, pour que je leur consacre quinze pages, c'est-à-dire des nuits de travail. J'attends pour ma part le moment, pas encore venu, où tu auras l'humilité d'accepter ça. Désolé cher ami : le prochain livre qui aura droit à un traitement de faveur, dans quelques jours, c'est Clémence Picot de Jauffret. Parce qu'il m'obsède, parce qu'il s'impose à moi, comme ont pu le faire avant lui un Houellebecq, un McCarthy ou, en effet, un Dantec. Et c'est grâce à des articles qui te feront hurler, que tu diras encore de Fin de partie que c'est l'un des meilleurs blogs littéraires (ce qui est sans doute très exagéré, mais pas de fausse modestie : ça fait plaisir).

    Quant à Claro, j'ignore s'il est "génial", il est sans doute critiquable, mais il me semble que la qualité et la quantité du boulot abattu mérite le respect. C'est un peu pareil pour toi d'ailleurs. Tu es définitivement insupportable, mais quand on voit ta zone, on fait : "Ah, ouais, quand même, ce type est malade, okay, mais ce qu'il fait est monstrueux".

  • Au fond, Olivier, pourquoi avez-vous finalement décidé de parler de "La Chair" ?

    Je vous pose cette question simple après nos échanges d'il y a quelques jours, parce que je viens grâce à vous de relire vraiment ce roman - chose que je n'avais pas faite depuis plus de deux ans, mise à part la relecture "traque aux fautes" obligatoire de cet hiver, où il fallait corriger pour l'édition (mais vous devez vous en douter, ce genre de relecture n'est pas propice à l'empathie avec un texte, fût-ce le sien).

    Pourquoi, donc, avoir décidé de parler de "La Chair", qu'un de vos billets précédant ce "compte-rendu" (Asensio a raison, et j'y reviendrai) qualifiait de "beau roman paru à l'ombre de la rentrée littéraire", si c'est au fond pour l'assassiner in abstentia, avec des jugements sommaires du genre de celui-ci (qui m'avait échappé lors de notre dialogue internet sur d'autres points-limite :
    "La Chair distille son message sans coup férir mais n’est cependant pas exempt de défauts qui, s’ils n’enlèvent rien à l’intelligence et à la beauté du récit, l’empêchent cependant de toucher l’âme en profondeur. Certes, les nombreuses coïncidences du récit ne sont pas l’œuvre du hasard mais des signes envoyés à Michel – non par Dieu ou le diable, mais par l’auteur lui-même, dès lors incapable de nous faire oublier leur artificialité."

    Oui, Asensio a raison de vous demander de nous traiter, nous les "à l'ombre de la rentrée littéraire", avec le même sérieux que vous avez su mettre à défendre, à analyser, à décrypter certains textes plus attendus.

    Mon site personnel, "humble" ou "modeste" comme il me sied, renvoie depuis que je l'ai découverte à votre notule sur mon bouquin, parce qu'il m'est nécessaire et malgré tout agréable que le grand Transhumain se soit penché sur ce roman. Mais vraiment, n'éprouvez-vous pas quelque malaise à mégoter votre intelligence (même si c'est pour détruire) au prétexte respectable mais complètement idiot des nuits que vous préférez consacrer à alimenter des machines à sous que de faire découvrir (je le redis : même en les descendant) quelques grimoires d'avance recalés des routes de l'information ?

    Oui, j'ai relu "La Chair", non seulement à l'aune de vos pressentiments assassins, mais aussi à celle de la cent-cinquantaine de témoignages (pas tous laudatifs, rassurez-vous) qui m'ont été envoyés depuis trois mois. Il est certain, comme vous le dites (à peu près) en introduction à votre billet, que les grands noms convoqués à référencer mon roman dans l'histoire de la littérature ne le servent peut-être pas toujours. Bloy, Céline, Calaferte, Bernanos, Lars von Trier, Almodovar (je n'ai pas trouvé Blaise Pascal, mais si vous le dites, c'est qu'il y est)... : quel héritage ! Je vous l'ai dit, et vous le dites vous-même : on ne peut reprocher à ceux qui s'enthousiasment de quelque auteur que ce soit, s'il est misérable, de lui trouver des influences. Qu'elles pèsent ensuite, inévitablement, sur la lecture qu'elles induisent, et qu'elles puissent la décevoir, c'est dans l'ordre de ce genre de choses. Si j'ai bonne mémoire, il y a une toute petite dizaine d'années, juste avant que Houellebecq ne devienne Houellebecq, il a eu droit lui aussi (et n'en déduisez surtout pas que je me sente Rivron avant de devenir Rivron, j'ai plus que son âge et tout fait à ce jour pour rester qui je suis) à ce genre de référencement par lignée d'illustres.

    Ce qui me navre, c'est qu'il vous ait apparemment suffi pour parler de "la Chair". Ce qui me navre, c'est que vous ayez cru pertinent, parce qu'ayant lu notre entretien avec Juan Asensio où je revendiquais ma distance avec la véracité psychologique de mes personnages, d'en inférer que ça se voyait (pour faire court) et que j'étais incapable de faire oublier l'artificialité des concours de circonstances qui les mouvaient. Cela me navre, parce que malgré l'impossibilité radicale des circonstances de cette histoire - impossibilité voulue et soulignée à dessein, précisément parce qu'elle est à la racine de mon questionnement d'auteur dans ce roman - d'une part 99,9% des lecteurs qui se sont à ce jour exprimés à moi ont totalement "marché" (mais vous avez parfaitement le droit de faire partie des zéro-virgule-un autres %, vous êtes un lecteur averti). Cela me navre d'autre part parce que, qu'un lecteur aussi averti que vous s'appuie sans le dire sur une partie explicite des explications d'un auteur aussi ridicule que moi pour résumer son livre à une ou deux phrases sur son intention en ajoutant qu'elle ne parvient pas à toucher l'âme, tout en disant le livre intelligent et beau mais quand même, je trouve ça, comme Asensio, un peu léger.

    Mais je n'ose, pour moi, attendre plus rien d'autre de vous.

    Sincèrement : merci quand même.

  • Oh, Serge... D'abord, j'aurais assassiné votre livre ? Bizarre. je n'ai pas cette impression. Vous me demandez pourquoi j'en ai parlé... Mais cher Serge, pour quelle obscure raison devrais-je me justifier ? Je pourrais vous répondre qu'en effet votre roman supporte parfaitement la comparaison avec d'autres plus en vue. Je pourrais aussi vous répondre qu'évoquer La Chair sur Fin de partie, même brièvement, était la moindre des courtoisies après avoir reçu un exemplaire signé de votre main. Et ensuite ? C'est le livre, pas le montant des droits d'auteurs qu'il génère, qui m'inspire, ou pas, analyses, billets ou divagations (quant à mes nuits blanches, je vous prie de bien vouloir en respecter la valeur, merci).
    Ensuite... Eh bien ensuite, au risque de m'attirer à nouveau vos foudres, sachez que je n'ai pas encore lu votre entretien avec Juan... J'ignore donc de quoi vous parlez. Ce que j'ai écrit ici n'est "inféré" que de ma lecture, point. Votre accusation est d'autant moins légitime que si je m'intéresse parfois aux propos des auteurs, c'est toujours a posteriori, par curiosité : je répète régulièrement, ici ou ailleurs, que la vérité du texte ne sort pas de leur bouche. Les intentions ? Mais, je me contrefiche, des intentions. Vous n'y êtes pas du tout, c'est effrayant.
    Mon Dieu, j'aurais résumé un peu hâtivement votre livre ?... Je prétendrais même - quel cuistre - n'avoir pas été touché alors que le public, lui, le vrai, du moins celui qui communique avec vous, vous dit avoir été ébranlé, à 99,9% ? Je connais ces arguments, ils font partie de ceux que Luc Besson et consort avançaient il y a quelques années pour justifier le refus d'inviter certains critiques à la projection de leurs films. N'inversez pas les rôles. C'est VOTRE livre qui, en dépit de grandes qualités, ne m'a pas bouleversé, c'est VOTRE livre qui n'a provoqué, en moi, aucun vertige logique ou métaphysique.
    Je vous sens amer, mais en vérité, que puis-je faire sinon hausser les épaules.

  • Rien d'autre, donc. C'est ce que je vous invitais à faire. (excellent, cependant, la comparaison avec Luc Besson)

  • Mais qu'est-ce que c'est que ces auteurs qui viennent nous dire comment lire leur livre, comment le critiquer, qui regrette qu'on ait pas assez souligné tel point essentiel, assez reconnu telle partie fabuleuse, qui regrettent de ne pas avoir des critiques mieux achalandées !
    Rien que ces réactions, décidément habituel sur ce blog (c'est la rançon du succès), me dissuadent d'aller à la découverte de leurs auteurs !

    Merde à la fin !

  • Moi, Ludovic, ce sont plutôt vos trois phrases truffées de fautes qui me dissuadent d'aller à votre découverte.

  • Ludovic, à quoi servent les commentaires? Devraient-ils être fermés à un auteur, lecteur , lui aussi, d'une critique de son livre?
    Transhumain n'assassine pas le livre, pire, il passe à côté sans véritable argumentation, et Serge Rivron ne dicte pas à Transhumain ce qu'il doit dire et faire mais pointe, avec la phrase citée, un jugement effectivement sommaire car non justifié. J'aurais souhaité l'analyse d'exemples de ces signes "envoyés par l'auteur" "incapable de nous faire oublier leur artificialité". Sans trop dévoiler l'intrigue aux yeux de futurs lecteurs, s'agit-il de l'accouchement de Sarah par Michel, scène onirique, semble-t-il, du trajet mystérieux de la valise, des "coïncidences" entre les rencontres de Michel avec Claire puis avec Carole, fausses jumelles, ses demi-sœurs? L'invraisemblable ou le peu vraisemblable ne sont pas artificiels quand ils ont une portée symbolique comme le savent tous les grands romanciers, Faulkner, par exemple, dans "Lumière d'août", où il est question aussi de mystères de filiation tout aussi "artificiels" que dans "La Chair".

    Pourtant, Transhumain a eu une intuition juste avec son épigraphe. J'ai lu ce roman comme celui du sang, autant que de la chair. Comme les personnages de Houellebecq, comme la majorité de nos contemporains qui, raisonnables,cédant au positivisme, renoncent au grand désir, il ne croit qu'en une filiation biologique, donc ne peut se croire du sang de son père. Le chapitre XXI, "Dans quel sang marcher?", titre repris de "Mauvais sang" de Rimbaud ( "Vite! est-il d'autres vies?" écrit Rimbaud plus loin), à travers la pensée flottante de Marie, en hôpital psychiatrique, indique une autre voie, une autre foi. Je n'ai pas une seconde pensé que Marie soit folle, ni même dérangée, comme l'écrit Juan. C'est une sainte, c'est sur elle que repose la question de la sainteté. Pour elle, la filiation biologique n'est rien. Peu importe qu'elle ait été fécondée par un autre homme que son mari défunt, pendant son sommeil, comme la marquise d'O de Kleist ou la Lasthénie de Barbey, peu importe qu'elle ait fait l'amour avec un autre, pendant ces deux ans d'attente d'un enfant, peu importe que Joseph ait fécondé la vierge Marie. Pour elle, Michel est le père parce qu'elle a donné à l'enfant le nom du père, celui de l'Archange dont la sainteté s'oppose à l'orgueil de Lucifer dans les stances claudéliennes, " Il y a tout ce sang entre nous qui fait une espèce de sacrement." [p. 213], l'Archange qui "voit ce qu'il croit", quand les positivistes ne peuvent croire que ce qu'ils voient. Lien symbolique du sang, de la filiation spirituelle par la parole, c'est là tout le mystère de l'Annonciation et de l'incarnation, et ce n'est pas pour rien que l'excipit formule les derniers mots de Marie: " Faites attention, s'il vous plaît, à ne pas marcher dans le sang", qui n'est pas le sang d'une boucherie,celle-ci n'est qu'un "décor" [p. 298] puique "étaient indemnes les visages, que leur pâleur de cire faisait paraître lumineux" . Michel est bien "un saint renversé", selon la belle expression de l'auteur, non un saint raté, comme le pense Juan, en ce que la parole poétique ( sans poésie, pas de spiritualité, et pas de spiritualité sans poésie, voir Jean de la Croix) qu'a voulu lui transmettre sa mère a été renversée au souffle du grand vent nihiliste, là dessus, je m'arrête parce que les trolls de service vont venir essuyer leurs baskets sales sur ce que je dis.
    Ce livre est scandaleux au sens paulinien du terme parce qu'il pose à chaque lecteur la question de SA sainteté, poser cette question, c'est être fou, aujourd'hui, alors que pour Marie qui n'est pas folle, les fous sont ceux qui "espèrent à rebours" (où l'on pourrait inclure les barbus fous de Dieu). C'est d'une autre folie qu'il s'agit ici, et Transhumain et trop raisonnable pour... Nous sommes tous trop raisonnables...

  • Trop raisonnable ? Je ne crois pas. Mécréant, peut-être.

  • Oh non, Elisabeth Bart, ne vous inquiétez pas, tout doit être ouvert à tous, chacun doit venir défendre son pré carré, en tous lieux et à tout moment, se vanter avec persévération, s'auto-féliciter sur tous les modes, crier pour que se fasse enfin entendre cette exceptionnelle singularité que des trop pressés et des trop légers n'ont même pas perçue, jusqu'à oublier ce que désignaient autrefois les notions d'honneur ou de honte.

    Je sais aujourd'hui que je ne lirai jamais un auteur qui vient à la retape comme un vendeur d'aspirateur s'incruste sur mon paillasson. Et c'est mon droit. Et tiens je vais ouvrir un blog pour le clamer et il y a intérêt à ce que j'ai des émules, sinon, je sais où me plaindre !

  • Ludovic, vous êtes marrant: "Moi, je ne lirai pas "La Chair", na!"
    C'est curieux, votre ton et votre mauvaise foi me rappellent un certain donneur anonyme qui chantait la même antienne, sur ce même blog, à propos de "Maudit soit Andréas Werckmeister" de Juan Asensio.
    Il y a tant de manières de faire taire un auteur, bien plus sournoises que l'antique censure: lui reprocher de parler de son livre ou de n'en point parler, le calomnier, le tourner en dérision facile et j'en passe.
    Pourtant il n'est pas rare que face à un journaliste, dans la presse ou autres medias, un auteur désavoue une critique de son livre. Un auteur qui ne saurait défendre son livre est un imposteur, c'est celui qui le défend avec conviction qui a le sens de l'honneur. Et vous, vous n'avez pas lu ou mal lu le commentaire de Serge Rivron: l'assimiler à un discours mercantile, c'est d'un ridicule dont vous devriez avoir honte.
    Olivier, mécréant? A part les saints, qui ne l'est pas?
    Je maintiens: raisonnable, ou très sage, un peu schizo, dont la folie se contente des univers parallèles de la science-fiction... Pardon si je me trompe!

  • Comment vous dire, Ludovic ? C'est vachement bien d'être puriste, et révolté, et vindicatif, quand on ne signe pas de son nom et qu'on remâche en douce. Moi, j'écris (c'est-à-dire que je déchire, surtout) depuis ... longtemps. Et je désire - quelque chose en moi désire - oui, m'incruster sur votre paillasson - pas le vôtre, précisément, dont je me fous comme d'une carpette - pas pour y exister, en tant que NOM et PRÉNOM : parce que j'espère vous transmettre un virus bizarre, le goût des mots, des phrases, du Verbe. Et donc j'écris (et je déchire des pages et des pages ; et depuis l'informatique, je les efface).

    C'est très compliqué, ce goût d'écrire, de faire connaître, de ré-énumérer ce qu'est, ou ce que pourrait, ou ce que devrait, être le monde. Si je ne l'écris que pour moi, ça ressemblera un jour à une branlette qui n'en finit pas, qui n'en a pas fini. Pour mes enfants, pour tout ceux que j'aurais essayé d'aimer, mais pas eu le courage d'affronter. Alors de temps en temps, pas souvent (je me suis fait une règle de ne surtout pas soumissionner à cette hystérie du temps qui exige qu'un supposé auteur rende son vomi une fois par an), il faut s'avilir à trouver un éditeur aux pages qu'on n'a pas déchirées ou effacées. "S'avilir" ? - je vous entends d'ici, Ludovic Sans-Nom : "Mais décidément il se prend pour qui ce mec ? Il va nous la jouer combien de temps encore Génie crotté, juste pour vendre ses aspirateurs ?"

    Attendez ! il ne suffit pas de trouver l'éditeur (fatigue et humiliation, dévoiement total à ce pour quoi on se sent obligé - écrire, déchirer, effacer, garder). Heureusement - pour combien de temps ? - quelques éditeurs encore méritent l'argent qu'ils se font ou se feront sur le dos des outrecuidants qui s'y risquent. Quelques éditeurs encore aiment et croient en ce qu'ils éditent. Mais il faut encore, après édition, être lu. Pas en forçant la main - mais il faut hélas la forcer, en ces heures où le plus débile des critiques autorisés (je ne vise absolument pas les quelques magnifiques qui, à l'exemple de celui qui nous héberge et qui m'a toutefois déçu, ont reconnu et assument, grâce à internet, leur vocation de lire et de commenter ce qu'ils ont lu) reçoit 70 livres au moins par mois, et ne sait lire à peine que les trois ou quatre qu'il pourra louer en étant certain de l'avancement de sa "carrière". Aucun auteur digne de ce nom - c'est-à-dire qui espère en ce qu'il écrit - ne voudrait avoir à forcer la main à quiconque. Juste être lu, rencontrer un autre Verbe, qui fasse fleurir sa vocation, qui l'augmente. Toucher l'âme de quelques lecteurs, cent, dix-sept, neuf, au moins un. Écrire, c'est espérer que celui-ci existe, cet UN, ce lecteur pour lequel on ne sera pas un ridicule nom au hit-parade vomitif des valeurs marchandes du siècle, mais un émoi, une aventure, un petit morceau irréférencé de l'être, une anamnèse, une œuvre.

    Vous aurez (peut-être) compris, Ludovic, que je me branle à deux mains et sans jouir de vous vendre ma "Chair". Et que ce que j'ai eu l'audace de regretter dans la critique du Transhumain, ce n'est pas qu'il n'ait pas "marché", c'est qu'il n'ait pas cherché à expliquer ce qui lui avait manqué, ou échappé. Ce dont j'ai eu l'outrecuidance d'être navré, ce n'est pas de sa déception, c'est que des 300 pages qui composent ce roman qu'il a dit "intelligent" et "beau", il n'en ait commenté aucune ; refusé d'accorder à l'auteur inconnu que je suis (tout en ayant la "courtoisie" d'en traiter) plus d'une heure de ses nuits blanches - dont j'ai souligné le caractère respectable avant qu'il ne me croit irrespectueux à cet égard (relisez ma première intervention), et l'insuffisance de l'excuse, compte-tenu de ce dont il s'est montré capable pour d'autres livres "plus attendus".

    Tout ceci posé, je vous dis merci, Ludovic. Vous ne lirez probablement jamais "La Chair", mais vos protestations ont amené sur ce blog de salut public (aucune ironie ici) et sous cet article décevant (même si appréciable à sa "victime") un échange qui peut en amener d'autres. Je vous remercie aussi, car grâce à vous j'ai pu lire en ce qu'a dit Elisabeth Bart de ce roman une des plus belles explications de texte dont j'aurais pu rêver. Et du même coup, je remercie à nouveau (je l'ai déjà fait, mais il a eu l'air de ne pas y croire) Olivier d'avoir suscité et toléré "chez lui" ces propos.
    Quant à votre paillasson, n'hésitez pas à le brosser de temps en temps !
    Amicalement.

  • Mme ou Mlle Bart, vous me trouvez "marrant", ça tombe bien, étant donné que les dernières lignes de mon commentaire étaient en effet de l'ironie, car je n'ai nulle intention de clamer ailleurs qu'ici, l'agacement que me procurent les regrets des Auteurs face aux faiblesses de la Critique. Et je vois nulle mauvaise foi ici, d'autant que je ne suis ni auteur ni critique.

    Mr Rivron, l'exemple du vendeur d'aspirateurs est peut-être mal choisi puisqu'il sous-entend que votre insistance est mercantile. Ce n'est bien entendu pas ce que je voulais dire, car je doute que l'on puisse vivre aujourd'hui de sa plume. Je crois juste qu'il faut avoir l'humilité d'être incompris, mal compris, compris sur des malentendus, expédié, apprécié dans les grandes largeurs par les lecteurs. Je suppose à vous lire ci-dessus que vous n'écrivez pas que pour le plaisir de recevoir en échange une exquise explication de texte ? Maintenant qu'est-ce que mon nom, son absence en fait, vient faire là ??? Dans un café, une soirée, une assemblée, un forum, vous ne discutez qu'avec celui qui vous a décliné son patronyme ? Mon nom vous donnerait quoi ? Une rapide vérification Google pour voir comment me répondre selon mon pedigree ? Je le répète, je ne suis ni auteur ni critique, et que je m'appelle Dupont, Bensallem ou Myoshi ne change rien à mes propos.

  • Cher Ludovic, mon petit canard amer, quelle belle leçon d'humilité! Serge Rivron ( que je ne connais qu'à travers son livre) en pensera ce qu'il voudra, moi, je m'incline! C'est vous le saint, si humble, si modeste! Ah!

  • Ludovic n'a pas prétendu être un exemple de modestie, il a simplement fustigé - et franchement, on ne saurait lui donner tort - le manque d'humilité de certains. Si mon manuscrit, actuellement entre les mains de quelques éditeurs, est publié un jour - je ne vois pas en quoi confier un manuscrit à un éditeur dans le but d'être lu - serait avilissant, mais passons -, et je le désire ardemment, je puis vous assurer qu'on ne me verra pas exiger une exégèse ! Je crois à mon texte, pour tout dire je suis convaincu qu'il est bon, et pourtant non seulement je n'ai cessé d'écouter, et souvent de tenir compte, des remarques de mes bêta-lecteurs, mais encore, j'accepte sereinement les refus des éditeurs, et vraiment, sincèrement, mes éventuels lecteurs - et critiques - décideront de son sort, à ce cher manuscrit.

  • Ah!Mais vous êtes donc un saint, vous aussi, Olivier, mécréant mais parfait!
    Puissent tous les auteurs tenir compte de ces admirables leçons de morale illustrées par vos exemples respectifs!

  • Allez en paix, néanmoins.

  • J'ai bien peur, chère amie, que vous ne voyiez des saints partout.

  • Et oui! C'est mon côté angélique: en toute modestie, comme vous.

  • Ce n'est pas parce que vous vous appelez Bart que vous devez vous sentir obligée de parler comme le petit Simpson, hein...

  • Je n'ai pas de Simpson dans mes relations... C'est un Ange? Dans un livre de Dantec que je n'aurais pas lu?

  • Non, en tout cas, ce n'est pas une grenouille de bénitier.

  • ...je trouve effectivement la petite phrase inaltérable, plutôt bien fagotée : "C'est une ville, à bien y regarder, dont ta bite fera jamais le tour, Paris". (p.25) Indéfinissable sans aucun doute, ressortie d'un contexte... et j'en suis là, mais, là - c'est être déjà là. Alors assez peu qualifiée, je reconnais de bon matin me trouver totalement sidérée - arrêtée - même, dans ma lecture... qui serait encore également menée - suivie...

    Vous avez de belles approches, qui soulèvent je crois le filet du mystère, notamment par le biais des images susceptibles de pointer une appellation poétique du mot "renversé".

    Délivrer la question de la sainteté ? par un gravillon dans la mare en ce qui me concerne, puisqu'il conviendra de changer mon approche, c'est-à-dire de cesser de jauger le saint dans son rapport (même figuré par la simple feuille du papier à cigarettes...) au pécheur... et, partant d'une définition proprement pragmatique de ce qu'est déjà la folie pour chacun(e) (d'après moi : "ce qu'elle n'est pas" - procédant alors d'un choix directionnel pour l'existence), de "dé-placer" (?) toujours le débat au bénéfice du Verbe, en attachant d'avantage le saint au guerrier, au-delà de ces barbus et des itinérants qui leur font face... mais pardonnez que je me trouve - ici, un peu et toujours - forcément à décrypter...

  • Je crains qu'il nous faille d'abord décrypter votre commentaire, Marie-Gabrielle...

  • C'est ce que j'indiquais, Olivier, mais je vous remercie bien sincèrement de me tirer de ma rêverie... Oui, car je n'ai pas précisé, s'en rapportant à l'épaisseur du papier à cigarette, qu'il s'agit là d'une expression (dont j'ignore la source) disant la distance qui séparerait le saint, du pécheur... Concernant une redéfinition de la folie ? elle serait de nier la vision intuitive, et donc son action. Enfin, je crois que le langage est une arme dont il vaudrait mieux se servir tant qu'il est encore temps - pour le meilleur. La translation ? De l'instinct au sixième sens à l'inspiration à la foi - par l'expérience.

    Voilà, ce petit arrêt m'aura donné le goût de lire La Chair...

  • P.S. : la folie est un DOUBLE tranchant...


    Olivier, please... à quoi s'en réfère le "Elle" (celle) inspiré du début ? :

    "Si le sexe, ici vécu comme un combat, comme un corps à corps entre deux êtres qui se pénétrant ne réussissent jamais à s’unir vraiment, les anime de spasmes et de soubresauts comme des pantins, c’est surtout celle de Dieu qui est en jeu,(...)".

    Amicalement,

  • Olivier, j'ai réfléchi un peu, alors disons que j'ai beaucoup de mal avec ce qui m'apparaît comme un douloureux raccourci - à savoir, le fait d'oser dire "La chair de Dieu". Oui, cela se fait pourtant (bien, par exemple sur http://www.academie-des-beaux-arts.fr/membres/actuel/libres/Michel/fiche.htm)... Veuillez donc annuler ma question, sauf si vous pensez à me donner votre sentiment sur ce "génitif existant" dans la formule : de quoi s'agirait-il ? et comment se distingue la chair de Dieu, alors - de celle de l'Homme !
    Bien à vous,

  • Vous me rassurez, Olivier. Je n'aime les grenouilles ( surtout celles de la Dombes, un régal!) que dans les étangs ou dans mon assiette. A+.

  • Tous ces commentaires... on se croirait dans les Précieuses Ridicules...

  • En effet.

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