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la chair

  • La Chair de Serge Rivron

     

     

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    « Ton sang chauffe d’un coup
    Tu le sens cavaler
    Te porter n’importe où
    Te faire faire un peu tout, sans frein;
    Là, tu es dans un lit
    Où ton sang t’a mené
    Et la fille est jolie
    Et après, vous parlez
    Et tu dis « j’ai quelqu’un »;
    Tu dors sous d’autres draps
    Depuis longtemps déjà,
    C’est pourquoi tu es là
    Avec ton sang qui dort
    Sous tes mains, sous ta peau;
    Ton sang paisible enfin
    Paisible, lui au moins. »

    Dominique A, « Pour la peau »

     

     

    Il n’est pas sûr qu’invoquer en préface et en quatrième de couverture les noms de Bloy, de Céline, de Bernanos et même de Pascal et de Calaferte, soit le meilleur service à rendre au dernier roman de Serge Rivron, La Chair (Jean-Pierre Huguet Éditeur). L’ombre de ses figures tutélaires plane doucement, sereine, sur le verbe de Rivron, moins sans doute pour se rendre visible que par nécessité. Rivron n’est pas un poseur. Il porte en lui une certaine littérature, celle du Voyage au bout de la nuit, celle du Désespéré, celle des Pensées ou celle de Sous le soleil de Satan en effet, dont son roman renvoie d’inévitables échos, mais cette chair est totalement sienne, humble et singulière.

    « C’est la chair qui commande » (p. 58). Du moins est-ce ce qu’affirme Michel, mauvais père, ivre de sexe et d’argent, héros du livre. Ce titre aux allures présomptueuses, pourtant, n’est qu’un trompe-l’œil (en vérité, nulle prétention chez Rivron). Si le sexe, ici vécu comme un combat, comme un corps à corps entre deux êtres qui se pénétrant ne réussissent jamais à s’unir vraiment, les anime de spasmes et de soubresauts comme des pantins, c’est surtout celle de Dieu qui est en jeu, car Michel, l’homme au nom d’archange, est né du ventre immaculé de Marie Montalte, jeune femme portée par une foi authentique, celle qui permet aux hommes de déplacer des montagnes.

    Dans l’excellent Habitus, excellemment traduit par Claro (dont bizarrement le Stalker ne pense pas que du bien), James Flint mettait déjà en scène une grossesse prolongée, au terme de laquelle apparaissait une enfant mutante qui commençait à s’étendre sur le monde. Enceinte pendant deux longues années, Marie Montalte n’accouche que d’un homme qui est comme Dieu, mais qui n’est pas lui. Michel refuse de croire au miracle de sa naissance – comme à celui de la résurrection de sa fille après son suicide –, sans comprendre que c’est Dieu qu’il assassine en lui, Dieu dont il trahit l’incarnation, Dieu dont il refuse de voir les signes dont son parcours est pavé. Emblématique de notre époque cynique, désenchantée (le concept de jeu télévisé proposé par Michel – qui travaille dans la publicité – rappelle les sketches du Daniel de La Possibilité d’une île) dont l’esprit « a rayé le mystère de son vocabulaire » (p. 137), Michel n’est pas à la hauteur de son patron céleste. Or, « qui n’est pas un Saint est un tricheur. Jusqu’à l’abaissement. Jusqu’à la vomissure » (p. 23). Les « pages arrachées » à son livre, humaines trop humaines, nous renseignent sur sa nature démoniaque, et dessinent peu à peu les contours du violent meurtre à venir.

    Écrit dans une langue habitée, nourrie de la chair – autant dire du verbe – de ses brillants prédécesseurs, La Chair distille son message sans coup férir mais n’est cependant pas exempt de défauts qui, s’ils n’enlèvent rien à l’intelligence et à la beauté du récit, l’empêchent cependant de toucher l’âme en profondeur. Certes, les nombreuses coïncidences du récit ne sont pas l’œuvre du hasard mais des signes envoyés à Michel – non par Dieu ou le diable, mais par l’auteur lui-même, dès lors incapable de nous faire oublier leur artificialité. Par ailleurs, cette insistance à nous décrire les péripéties sexuelles de son personnage – crûment mais avec grand talent et avec une impudique sincérité à mille lieues des illusions malhonnêtes que Régis Jauffret dénonce dans Lacrimosa –, n’est jamais vraiment justifiée, comme si se jouait avant tout, dans ces pages arrachées, l’expérience même de l’écriture pour Serge Rivron, éminemment conflictuelle, comme si, à l’instar de celui en qui je vois son Doppelgänger, son double fictif et démoniaque, comme si, donc, son verbe n’était qu’une récompense à la chair, cadeau de l’esprit pour le prix accordé aux corps à corps sensuels, et non ce double lien (« La chair a deux raisons d’aimer dont les forces sont si violemment contraires que la plupart des amants sans arrêt s’épuisent à vouloir les dompter l’une par l’autre, la force du corps par la force de l’âme et la force de l’âme par la force du corps », p. 298) auquel il aspire. La Chair, ou le roman d’un homme aux prises avec son propre corps, avec ses fantasmes, avec ses pulsions, avec ses étreintes – avec son sang dont son verbe s’abreuve, faisant à chaque goulée vaciller un peu plus son univers de fiction. Périlleuse entreprise, dont Serge Rivron se sort plutôt bien, mais dont La Chair, à mon sens, porte les stigmates.



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