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fragments - Page 2

  • Fragments. Solaris

    sébastien coulombel, lac, brume, solaris

    © Sébastien Coulombel, 2010

     

    Un lourd silence pesait sur le Blockhaus, seulement rompu de loin en loin par la soufflerie du terminal – ou par le claquement des talons de Lady Czartoryska qui, en ce jour de Saint Armand, éclipsait par son éclat les muettes vociférations des éradicateurs. De ma console, j'observais le visage impassible de Frère César, ses doigts glissant sans bruit sur le clavier virtuel, et le mouvement de ses yeux de cobalt qui jamais ne cillent. L'armée des solitudes minérales étendait déjà son empire juqu'au cœur de la Zone. La tâche des Onze s'annonçait désormais des plus délicates...

     

    Le Logos, comme le vivant, est dionysiaque. Il n'y a pas, à proprement parler, de « patrimoine » littéraire ou génétique, seulement des sèmes et des lettres ou des gènes et leurs orgiaques et infinis réagencements. L'être vivant est une métaphore vive, et les chemins qui mènent au sentiment océanique sont innombrables : lire Faulkner ou rêver ou faire l'amour avec Ana ou consulter le Livre des Transformations ou prendre le Singe blond dans mes bras ou compiler les synchronicités ou écouter l'Oratorio de Noël ou danser sur un fil tendu entre les rives jumelles de la psychose et de la mystique ou pratiquer l'autohypnose ou l'écriture automatique ou quitter un immense bâtiment vide et ses logos-cristal ou rêver encore de K. ou

     

    La vérité c’est le tout, c’est l’ensemble des possibles, l’infinité des hypothèses et des combinaisons. La vérité c’est le Yi King, c’est le Plérôme, c’est le Bardo et l’Arbre de Vie.



  • Fragments. Alliance.

    sébastien coulombel, haut-relief, new york

    © Sébastien Coulombel, 2008

     

    Pour Frère César, la mort du livre sous sa forme physique est inéluctable. Morte, également l'idée même de possession des biens culturels. César n'y voit qu'une évolution naturelle. J'y vois, moi, une dépossession, ou, pour parler plus distinctement, une tragique désincarnation. Prends garde, Frère, à ne pas trahir l'alliance.

     

    « Autant vous prévenir, Baleineau. Extraire, arracher, c'est mon truc. J'adore ça. La suture, en revanche, ce n'est pas vraiment ma tasse de thé. » C'était au soir de la première tempête.

    Sa blouse mouchetée ses gants maculés mon tablier jacksonpollockisé l'odeur du sang la couleur du sang partout du sang jusque dans les yeux fous du docteur C. Du Lys jusque sur sa face grimaçante de haut-relief new-yorkais sur l'écran surimpressionniste où Dexter Morgan s'apprêtait à me donner le coup de grâce sur fond de Gwagwa O De de Bahia Black sur fond de Kill All Hippies de Primal Scream sur fond de The Black Block de Modeselektor [et al.].

    « Vous verrez, un peu de morphine, et vous oublierez jusqu'à la notion même de douleur. »

     

    Je ne veux plus devenir cosmonaute, Papa.

    Pourquoi ?

    Je n'ai pas envie de vieillir dans une fusée.

     

     

    On pense à la Transfiguration dans Matthieu (le visage de Jésus « resplendit comme le soleil », Mt, 17:2), à la Claire lumière primordiale du Bardo Thodol – celle qui fait voir au mourant la vraie Réalité, si sa vision n'est pas obscurcie par des tendances karmiques, s'il « ne cède pas à son penchant de suivre des lumières douteuses » (Jung), et lui permet de passer dans le Nirvana –, ou aux lumières de Sagesse des éléments, en particulier la lumière du cinquième jour, celle du cinquième élément, l'éther, cette voie de lumière verte de la Sagesse des actions parfaites (qui n'est autre, dans le langage occidental, que l'inconscient).


  • Fragments. Logos

     

    sébastien coulombel, sécheresse, logos, kepler 22

    © Sébastien Coulombel, 2011

     

    Les augures mineurs ont été chassés par l'esprit corrupteur qui souffle depuis hier sur la Zone. Seuls croâssent encore, tournoyant en cercles concentriques au-dessus des arbres épileptiques et nus, les trois anges de la putréfaction. Ici-même, au Blockhaus, j'entrevois l'esquisse d'une invisible métamorphose. Chez les Logs, pourtant, règne un calme absolu. Il est vrai que Lady Czartoryska navigue avec aisance d'une cellule à l'autre, impose les réaffectations idoines et maintient l'ordre sans jamais user de la moindre violence. Rien à craindre de ce côté, donc. C'est sur notre confrérie, hélas, que plane la menace. L'arche n'a pas encore été élevée que, déjà, s'exale dans nos rangs, à peine perceptible encore, mais j'en jurerais, un vent de dissidence qui, bien évidemment, porte sur le Nom. Restons prudents.

     

    Dans l'Antichambre, tout est chaleur, même l'air que nous respirons, enchanté par les sketches of Spain – et, parfois, amoureusement déchiré par les distorsions vintage des Châteaux de cristal. Ana prépare son voyage en Orient et je sirote mon Bubbahotep single malt devant les images d'une dépression filmée comme la fin du monde. Petit Tom s'inquiète : Kepler 22, l'exoplanète semblable à la Terre détectée par la NASA, peut-elle nous percuter comme Melancholia ?

     

    Non. Bien sûr que non. Elle est beaucoup trop loin.

    Y a-t-il des gens comme nous, sur Kepler ?

    Je ne sais pas. Peut-être.

    Il faut y envoyer des cosmonautes, alors.

    Oui, mais le voyage sera très, très long.

    Plusieurs jours ?

    Beaucoup plus.

    Des mois ?

    Beaucoup plus.

    Mais alors, combien d'années ?

    Six-cents ans, s'ils voyagent à la vitesse de la lumière. Sinon, des milliers d'années.

     

    Son regard s'est perdu à l'horizon.

     

     

    RADIO LIBRE. Joey a trouvé un nouveau titre et remonte la filmographie du grand Hitch, Simon-Pierre a réduit l'immonde Alsacien au silence, Rick M. Ricky sort du bois, le Messianien rêve de Saint-Pétersbourg et je porte les dernières touches à mes fragiles feuillets...

     

     

    Les livres tombés sur la bonne chair s'insinuent en nous, germent et finissent par éclore en lumineuses transformations.

     

  • Fragments. In-folio

    sébastien coulombel

    © Sébastien Coulombel, 2008


    Il ne pleuvait pas. Au grand dam de l'Opératrice, le concile s'est achevé sur un non lieu et les Cinq Cents se sont sagement dispersés dans leurs cellules de confinement. Mais, insensibles aux signes qui, comme toujours, s'amoncellent au-dehors – comme ces deux molosses tournant autour du Bloc en stop-motion à plusieurs reprises –, nous accomplissons notre tâche, inlassablement. C'est là-bas, aux Trois Pylônes, que nous maintenons les Logs en vie artificielle.

     

    « Bon sang ! s'écria le docteur C. Du Lys, tandis qu'il manipulait ses instruments entre mes mâchoires. Comment peut-on saliver autant ? »

     Enfant, on m'appelait le Baleineau. »

    Il brandissait une sorte de fusil à pompe relié à la station par un câble.

    « Ouvrez grands vos fanons. »

    Des éclairs m'ont traversé le crâne, et mes yeux étaient des cendres de cendres.

     

    C'est ici, dans le coin le plus chaud de l'Antichambre, qu'Ana tisse sa toile. Quel fil tirer, au juste ?... 

     

    SYNCHRONICITE. La douleur s'était mise à irradier à la minute précise où, conformément à l'enseignement des tiges d'achillée que K. avait ramenées de l'Autre Rive – vingt-et-unième hexagramme, Mordre au travers, en haut le feu, en bas le tonnerre –, j'écrivais...

     

    Marquée à vie par le dernier chant du Paradis, qu’elle lut cette nuit-là comme si ç'avait été la dernière, elle associe l’épisode – douze heures passées à boire du bourbon, à pleurer sa douleur et à lire Dante, et deux heures sur le fauteuil du dentiste – à sa compréhension intime de ce qu’elle appelle « la réalité spirituelle ».

     

  • Fragments. Idios kosmos.

    silo, blockhaus, zone, trois pylônes

    ©Sébastien Coulombel, 2011

     

    Sur les coups de midi, un mâtin noir sans maître, peut-être malade, apparut comme un fantôme sur l’un des carrés herbus qui jouxtent le parking du Blockhaus des Trois Pylônes. Jusqu’alors, n’avaient osé s’aventurer dans la Zone, entre le Silo, les entrepôts désaffectés et le Bloc, qu’une poignée d’écureuils diablotins, un hérisson solaire aux piquants ignés, trois corbeaux alchimiques et, au printemps, des démons processionnaires. Le psychopompe paraissait toujours immobile, tantôt allongé, semblant attendre son heure, tantôt sur ses pattes, le port et le regard d’une fixité oniriques. Les signes s’agençaient. Le bleu du ciel. L’or – ou le soufre –, sans l’antimoine. Puis il s'effaça. Le grand œuvre m’était encore interdit.

    Le Bloc encaissait le froid de l’hiver et les stridulations d’Interstellar Spaces. Je préparais le concile des Cinq Cents, l'oeil dorsal de K. me dardait sans ciller et Benjy ne cessait dans ma mémoire vive de tomber du haut de la colline parmi les formes lumineuses et tourbillonnantes, et je repensais à la marque du mille-pattes imprimée dans le fenestron sans jalousies qui reliait ma chambre quasi souterraine à la végétation. À Coltrane les augures et la désolation. Aux suites pour violoncelle le Jardin d’Éden.

    Mais ici et maintenant, dans l’Antichambre, où Jeanne brûle pour l’éternité sur mes écrans de contrôle, c’est le dronegazing de Nadja qui bourdonne le long de mes synapses. Les enfants sont couchés dans les coursives. Ana me surveille du coin de l’œil. Sur mon carnet, Angel et Philip K. se branchent au cosmos avec les Vieillards d’Argos et je gratte les derniers mots de ce jour...

     

    [...] quitter l’état d’idiot, de solitude singulière, pour se fondre dans l’infini.


    stalker