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Malcolm Lowry, Sous le Volcan, chapitre 11

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XI

 

« Soleil couchant » : en français comme en anglais (« Sunrise »), les premiers mots du onzième chapitre sont aussi le titre du chapitre XXXVII de Moby Dick, une rêverie d'Achab – le Consul du Pequod – qui trouve un écho inattendu en pleine tragédie, dans la vallée du Popo...

À la poursuite de Geoffrey, sans doute réfugié dans une cantina sur la route de Parián, peut-être même au Farolito, Hugh et Yvonne – dont ce chapitre adopte le point de vue – s'enfoncent comme Dante et Virgil en Enfer dans une jungle obscure qui les soustrait au feu du ciel – nature luxuriante et menaçante où s'accumulent les signes symboliques d'une mort imminente. Il ne s'agit pas que de discrets présages, comme ces chrysanthèmes ou ces buissons aux clochettes blanches « langue pendue vers le bas » ; la plume de Malcolm Lowry se fait en effet volontiers prophétique : « Car c'étaient des vautours, lesquels se querelleront à terre jalousement l'un l'autre et se souilleront de sang et d'ordures » (le sang du Consul, pour sûr… à moins qu'il ne s'agisse du leur)… Et si l'on doutait encore du caractère infernal de cette selva oscura sous le volcan, où sinuent des sentiers dessinant la croix du supplicié, l'auteur insiste sur le dernier voyage de ces âmes perdues : « On eût dit d'ailleurs voir son propre esprit irrésistiblement entraîné par le rapide au milieu d'une débâcle d'arbres déracinés et de buissons massacrés jusqu'à la chute finale » – chute aussi bien métaphorique. Menacée par la masse du Popocatepetl et par l'ébranlement d'avalanches titanesques, Yvonne cherche du réconfort dans l'observation des nuées nocturnes mais n'y voit qu'astres éteints, « catastrophiques explosions de planètes » (comme la Justine de Melancholia, Yvonne pense par métaphores : ce qui brûle ici, c'est la demeure de son esprit), la constellation du Scorpion (symbole de Geoffrey) et la grande roue de Ferris de notre galaxie hautaine – et la soudaine disparition de la Lune, prélude à un nouveau déluge symbolique : foudre, tonnerre, cactus effrayants, « oiseaux noirs désincarnés pareils à des espèces d'oiseaux-squelettes », ou encore ce « linceul de cumulus » qui enveloppe les cimes d'Ixtaccihuatl. Au El Popo, avant de se consumer au mescal, Yvonne croit apercevoir le Consul assis avec son double – encore un évident signe de mort et de désincarnation alors même que celui-ci est probablement déjà en train de précipiter sa chute au Farolito… Du moins peut-elle y lire, au dos d'un menu, l'étrange poème de Firmin, illustré par quelques croquis (un trèfle, une roue, « voire même une boîte noire allongée, en forme de cercueil » – et qui s'achève sur ces mots : « Certains racontent / D'étranges histoires d'enfer sur cette âme égarée / Qui rallia le Nord » (« Who once fled north »)… Le Nord, c'est-à-dire, pour le Dictionnaire des Symboles, le pays des neuf plaines infernales… Dès lors, passés les cactus-candélabres, frappée au cœur de l'orage par un cheval démoniaque en fuite (marqué d'un « 7 » au fer sur la croupe) tandis qu'Hugh se perd en forêt en jouant des chants révolutionnaires, Yvonne n'a plus d'autre choix que de rejoindre le Nord elle aussi, et de s'élever vertigineusement, jusqu'aux étoiles, en direction d'Orion et des Pléiades – poétique ascension tirée de Faust, nous révèle Lowry dans sa lettre à Jonathan Cape, quand « Marguerite est hissée au ciel sur un pavois tandis que le diable descend mécaniquement Faust en enfer ».

« Le vent traversa la forêt à la vitesse d'un train express », écrit Lowry deux ou trois pages avant la mort accidentelle d'Yvonne, « la foudre s'abattit juste devant eux dans les arbres, avec un fracas de tonnerre cruellement déchirant qui ébranlé le sol... » Et l'on repense alors aux pensées d'Achab à la fin du chapitre XXXVII de Moby Dick (ici dans la belle traduction d'Armel Guerne) : « Le chemin de ma volonté est tracé par des rails de fer sur lesquels est lancée mon âme. Par-dessus les ravins sans fond, par le travers du cœur transpercé des montagnes, par-dessous le lit des torrents, je me rue et ne peux dérailler. Pas un obstacle, pas un coude sur ma voie rectiligne, ma voie d'acier ! ». Ce vent qui se met soudain à souffler sur Hugh et Yvonne, n'est-ce pas l'âme du Consul en chute libre, balancée avec son corps dans la barranca ?...

 

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