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L’homme de Londres de Béla Tarr et Agnès Hranitzky

 

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« Traduire le vent invisible par l’eau qu’il sculpte en passant. »

Robert Bresson, Notes sur le cinématographe.

 

Il y a de quoi être sidéré par la calamiteuse réception de L’Homme de Londres, le nouveau chef d’œuvre du cinéaste hongrois Béla Tarr (coréalisé par Agnès Hranitzky) conspué après la projection de presse à Cannes en 2007. Plus que Les Harmonies Werckmeister, Damnation ou même Satantango, L’Homme de Londres traîne dans son sillage un impressionnant cortège de malentendus. Chacun souligne, comme il se doit, les difficultés presque insurmontables – décès du producteur Humbert Balsan, longue interruption du tournage, problèmes techniques liés aux exigences du réalisateur (vider le port de Bastia, construire un pont, etc.) – qui ont longtemps hypothéqué sa finalisation, mais certains en font un argument en défaveur d’une œuvre dès lors jugée, à tort, gibbeuse et malfichue !... Un certain nombre de critiques, professionnels et amateurs, ont en effet souligné le caractère définitivement « ennuyeux » du film… Philippe Azoury ouvre le bal dans Libération en 2007, évoquant son « calvaire » et sa « lutte acharnée contre le sommeil »… Pierre Murat, dans Télérama, loue la beauté plastique du film mais préfère nous faire part d’un sentiment d’« indifférence admirable »… Sur le site Yozone, le dénommé Tom Décembre est davantage préoccupé dans son affligeant compte-rendu par sa propre somnolence, que par un film qu’il n’a donc sans doute pas vraiment vu – il compare par exemple la technique du Hongrois à celle de… « Gaspard Noé » (sic), sans autre forme de procès et sans égard pour l’orthographe de Gaspar… Même constat sur le site de France 3 dans le texte de Jacky Bornet, qui évoque une « complaisance égocentrique », confondant manifestement l’égo du réalisateur avec son propre nombril outragé de cinéphile à pop-corn télépathique (selon Jacky, « L’Homme de Londres perd vite le spectateur, alors que le cinéaste pense avoir entretenu un suspense métaphysique »… Ah ? Qu’est-ce, au juste, qu’un « suspense métaphysique » ?... Et comment être sûr, au point de l’affirmer comme une vérité établie, que Béla Tarr pensait ceci ou pensait cela ?)... Même Chronic’art, par la voix de Vincent Malausa, se fourvoie allègrement, voyant en L’Homme de Londres, je cite, une « sorte de Sin City bouseux et sartrien » décevante et pontifiante !... Comment dès lors Malausa ose-il encore proclamer que Béla Tarr reste « l’un des cinéastes importants de ces trente dernières années » ?... Qu’a-t-il pu comprendre à Damnation ou à Satantango s’il s’est bidonné à la vision de L’Homme de Londres ?... Comme l’écrit fort à propos Cyril Neyrat dans les Cahiers du cinéma n° 637 (septembre 2008), il y a dans le rejet des uns, et, ajouterais-je, dans la méprise des autres, « le symptôme d’un blocage esthétique, d’une forme de beauté au cinéma qui heurte ou irrite le jugement de goût dominant ». On ne saurait mieux dire. De toute évidence, L’Homme de Londres est l’un de ces films dont la forme n’est pas conçue comme un piège destiné à plaire au public et à lui soutirer quelques euros, en satisfaisant tous ses goûts sans scrupule, mais comme une authentique expression artistique, comme la représentation plastique d’idées et d’émotions avec un matériau dont aucun langage n’assure la maîtrise, le cinématographe.

 

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Pour Malausa, comme pour d’autres commentateurs, l’intrigue importerait peu à Béla Tarr, qui se serait donc seulement concentré sur le travail formel… C’est mal saisir, je crois, combien chez Béla Tarr la forme est au contraire inextricablement liée aux enjeux fondamentaux de l’intrigue (le scénario est co-signé par l’excellent László Krasznahorkai). Certes, L’Homme de Londres ne se préoccupe guère de maintenir un quelconque suspense, et ne présente pas les attraits d’un thriller bien « ficelé »… Une œuvre de Béla Tarr, répétons-le, n’a rien d’une machine implacable. Mais il ne s’agit pas seulement, comme le laissent entendre plusieurs critiques, que d’errance, de vide et de chaos : l’esthétique de ce film se nourrit aussi et surtout à une autre source : le cas de conscience du personnage principal, Maloin, dont L’Homme de Londres adopte clairement le point de vue (nous « voyons le monde avec ses yeux », selon les mots du réalisateur). Exit, cependant, la voix off de la version d’Henri Decoin réalisée sous l’occupation : Béla Tarr fait partie de ces trop rares cinéastes qui n’ont plus besoin des mots pour traduire une émotion ou même pour raconter une histoire, et qui, pour reprendre une formule de Robert Bresson, aux tactiques de vitesse et de bruit préfèrent des tactiques de lenteur et de silence.

 

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Dans un port, la nuit. Du haut de sa tourelle, Maloin, aiguilleur d’une gare portuaire, surplombe les quais. Observant le ballet des passagers, il voit lutter deux silhouettes, se disputant apparemment une valise. L’un des deux hommes tombe à l’eau avec le bagage et disparaît. Ni vu ni connu, Maloin descend récupérer la valise et reprend sa routine quotidienne – son travail nocturne et solitaire, sa famille sans le sou, la convivialité fruste du bar. C’est alors qu’entrent en scène l’enquêteur anglais Morrison et la femme du meurtrier, Mrs Brown… L’Homme de Londres se déroule sur quelques jours, dans un périmètre très restreint, comprenant la tourelle de Maloin, le port, son appartement, quelques rues, un café… Cette unité de lieu, de temps et d’action – certains éléments dramaturgiques du roman de Simenon ont disparu –, de même qu’un certain respect des « règles de bienséance » rapproche le film du théâtre classique et de la tragédie – ce que la fin confirmera. Mais Béla Tarr n’est pas un cinéaste de la parole. Le cas de conscience de Maloin, au cœur du film, n’est pas exposé comme chez Decoin par la voix off, simple décalque littéraire des tergiversations du héros, mais par l’image, par le son, autrement dit par la seule mise en scène – par des moyens spécifiquement cinématographiques. « Le rythme d’un film, écrivait Andrei Tarkovski dans Le Temps scellé, ne réside […] pas dans la succession métrique de petits morceaux collés bout à bout, mais dans la pression du temps qui s’écoule à l’intérieur même des plans. Ma conviction profonde est que l’élément fondateur du cinéma est le rythme, et non le montage comme on a tendance à la croire ». Et l’individualité du réalisateur s’exprime avant tout au travers de ce « sens du temps », c’est-à-dire, en d’autres termes, de sa vision personnelle du monde. Ainsi la lenteur mortuaire de L’Homme de Londres, que d’aucuns qualifient d’extrême – le film compte une trentaine de plans mais certains journalistes, sans doute trompés par leur somnolence, n’en ont compté que dix ! –, n’est que la nécessaire expression d’une temporalité singulière, celle de l’univers de Maloin – exacerbée par ses déchirements intérieurs. Le plan-séquence qui ouvre le film, où l’on observe avec Maloin les passagers du ferry s’affairer, descendre à terre et se diriger vers le train ou vers l’autre quai, jusqu’au crime qui perce les brumes de la grisaille quotidienne, est caractéristique du rythme élégiaque du cinéma de Béla Tarr. Pour celui-ci en effet, le monde prolétarien de Maloin, dans lequel il nous fait entrer après la longue séquence initiale, n’est qu’un cercle de répétitions monotones – des gestes, des trajets, des situations –, symbolisé dans l’espace par la tourelle mais aussi, comme le remarque Cyril Neyrat dans Les Cahiers du cinéma, par la plateforme du port où est lancée la valise ; cercle routinier que traduit magnifiquement, parfois aux limites de l’excès, la musique lancinante et mélancolique de Mihály Vig. Les sons eux-mêmes, qui résonnent étrangement dans le silence de la nuit, participent pleinement à l’instauration de cette ambiance hypnotique, où le tic-tac d’une horloge coïncide avec la lourde pulsation intérieure de Maloin et de ses démons. Mais son espace-temps subjectif est avant tout caractérisé par son absence d’horizon. La nuit, il travaille – seul – dans sa tourelle. Le reste du temps il dort, partage de tristes repas avec sa femme au bout du rouleau (Tilda Swinton, étonnante) et avec sa fille Henriette au visage inexpressif (Erika Bok), ou à boire et à jouer aux échecs avec d’autres pauvres bougres dans le bar du port. Enfermé dans sa routine, Maloin n’a ni ailleurs, ni lendemain. Même la découverte de la mallette ne lui est d’aucun secours. L’argent qu’elle contient est même maudit, ainsi que le suggèrent ce passage bressionien qui montre Maloin déposer les billets détrempés sur le poêle – donc sur le feu… – pour les faire sécher… Du reste, l’on connaît le rôle décisif joué par l’argent et le matérialisme dans les films du cinéaste, comme Almanach d’automne, Damnation ou Satantango. Mais en vérité la damnation frappe Maloin (dont les trois premières lettres du nom ne sont pas gratuites) dès l’instant où il quitte les hauteurs de sa tourelle panoptique. En effet, après la scène de crime, l’aiguilleur abandonne son poste d’observation et descend sur le quai pour y récupérer la fameuse valise. Béla Tarr insiste sur ce mouvement descendant, nous montrant Maloin lentement dévaler son échelle, puis sonder les eaux du port, plus basses encore, pour y remonter la valise. Comme dans Damnation, comme dans Satantago, L’Homme de Londres multiplie les oppositions entre les hautes sphères et les bas-fonds, en les associant à d’autres, omniprésentes, entre d’une part l’ombre, la ténèbre où le mal et la mort rodent, et d’autre part la lumière céleste. Béla Tarr ne renonce pas complètement à nous montrer la violence, mais celle-ci n’est que la funeste conséquence du travail systématique de corruption qui entraîne l’humanité dans la boue de ses origines. Si l’altercation entre les deux hommes au début du film nous est inévitablement montrée, le vaincu disparaît totalement dans des eaux noires – sa mort nous est dissimulée – avant d’être repêché, sans vie, par la police. Le second meurtre, celui de Brown (désincarné par un Janos Derzsi spectral), se fera dans l’obscurité d’une cabane, hors du champ d’une caméra contrainte à filmer la cloison extérieure d’où rien ne nous parvient. Comme à l’époque du muet, nous comprenons quel acte terrible a été commis lorsque Maloin – l’homme de l’ombre – ressort de la cabane, plus sombre que jamais… Une seule fois, Béla Tarr le montre nimbé de la lumière du jour, alors qu’il s’apprête à se coucher, dans la clarté matinale. Mais quelqu’un prend soin de fermer les volets, le laissant se dans sa pénombre et ses doutes. L’exemple le plus frappant de cette opposition systématique nous est offert dans un plan d’une grande simplicité géométrique qui condense les enjeux du film. Marchant dans les traces de Brown, Maloin s’avance au centre d’une ruelle étroite, au centre de l’écran également, le long d’une rigole sombre. À gauche et à droite s’élèvent les façades d’immeubles crasseux. Soudain, la caméra s’élève par un mouvement panoramique, pour aboutir à l’image symétrique inversée de celle déjà décrite : à droite et à gauche, les immeubles ; au centre, une bande lumineuse formée par le ciel. Par ce contraste entre la ligne sombre du caniveau et celle, blanche, du ciel, Béla Tarr force l’interprétation : c’est dans les immondices que marchent Brown et Maloin – dans des bas-fonds plus sombres encore que ceux de Kurosawa. Le cinéma de Béla Tarr ne laisse, il est vrai, aucune place à l’espoir d’un monde meilleur : on ne sort pas du cercle tracé par la caméra, et au centre duquel règne Morrison (Istvan Lenart, sépulcral), le flic londonien à la voix caverneuse venu récupérer l’argent. Comme Irimias dans Satantango, comme le Prince des Harmonies Werckmeister, Morrison s’impose comme une authentique figure démoniaque et, au propre comme au figuré, corruptrice. Associé au feu – il réchauffe ses mains au-dessus du poêle qui a servi à sécher les billets –, il sillonne les lieux et tisse son œuvre maléfique, ne laissant personne indemne.

 

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Que l’on se rappelle alors les étranges premières images du film, au début du plan-séquence inaugural : sur une bande-son que n’aurait pas reniée le Lynch d’Eraserhead, la caméra remonte très lentement par un travelling ascendant le long de la proue du ferry, dont les deux côtés, l’un sombre, l’autre lumineux, scindent l’écran en deux ; l’image est cependant traversée à intervalles réguliers par des ombres effilées – les barreaux d’une grille ? Les montants de fenêtres ?... (pour Cyril Neyrat, cette grille, ou les vitres du plan suivant, forment comme une membrane qui « divise l’espace dans la profondeur et fait coexister dans le plan intérieur et extérieur »). Verticalité, ombres et lumière : tout était annoncé dans ce premier plan. L’Homme de Londres est ainsi entièrement construit autour du dilemme moral de Maloin – magnifiquement campé par Miroslav Krobot, dont le visage déjà monolithique se durcit de plus en plus –, désireux de garder l’argent, d’offrir de beaux vêtements à sa fille, de l’arracher à sa condition de bonne à tout faire à la boucherie, mais rongé par le doute et la culpabilité, hanté par sa conscience du bien et du mal qui lui fait rendre l’argent in extremis, pour un illusoire salut… Pour Maloin, il n’y a sans doute aucune rédemption. Vivre, pour Béla Tarr, c’est choisir, en toute conscience. Une affaire de morale, en somme. L’une des conséquences esthétiques de la voie sans issue, du voyage au bout de la nuit – la route – où s’engagent les personnages de Béla Tarr, est qu’ils évoluent dans des villes, dans des univers intemporels, détachés du présent. Rien ne distingue vraiment le village des Harmonies, par exemple, du port de L’Homme de Londres, censé être situé à Dieppe mais filmé à Bastia. Partout, les mêmes bougres, les mêmes mines renfrognées, les mêmes danses d’ivrogne (joués par les mêmes acteurs) qui tournoient comme des planètes ou comme des boules de billard. Ce sentiment d’étrangeté, voire d’étrangéité, est renforcé dans L’Homme de Londres par le doublage en français, le plus souvent altéré par des accents slaves (mais pas toujours : ainsi le patron du bar-hôtel est-il doublé par le grand Michael Lonsdale). En France, en Hongrie ou dans un pays imaginaire, nous sommes toujours en terre étrangère, au royaume du mal. En Enfer ! Et si l’ombre est son domaine, la lumière est un privilège réservé aux justes, comme la malheureuse veuve de Brown (Agi Szirtes), dont le visage défait, en gros plan, s’efface dans un fondu au blanc final – tandis que Maloin, tiraillé entre les bas-fonds du crime et les valeurs transcendantes, restera toujours l’homme de l’ombre. Ce fondu au blanc désigne Mrs Brown comme l’innocente, celle qui a tout perdu et qui ne mérite pas l’obscurité, mais ne nous renvoie in fine qu’à la surface vierge de l’écran, comme si après le noir terminal de Satantango – caveau scellé qui nous ferme la vue, selon Guillaume Orignac – Béla Tarr voulait briser la frontière qui sépare en théorie le spectateur de l’univers du film. Comme si, après tout, nous étions tous foutus. 

 

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Commentaires

  • A vous lire, Olivier, je brûle de voir ce film. Aïe! Un éloge d'une Précieuse! Pas bon pour vous, ça!

  • Ah, tant mieux, chère Précieuse ! Mais, vous savez que vous êtes toujours la bienvenue ici. Et en plus, vous avez le sens de l'humour. Si vous voulez voir ce film en salle, allez-y fissa, parce que la semaine dernière, il n'était plus projeté que dans une salle à Paris, au Reflet Médicis...

  • Belle critique Olivier, qui ridiculise comme il se doit la non-critique officielle, Malausa en plus, pour lequel tu sembles encore conserver quelque estime...
    Sur L'Homme de Londres : il m'a moins convaincu que Damnation, peut-être parce que, comme tu le dis, il est beaucoup plus "cinématographique" que le reste de l'oeuvre de Tarr, peut-être parce que, plus qu'un problème d'hermétisme démoniaque, ce dernier film décrit tout simplement l'absurdité d'un éternel recommencement.
    A mon avis, tu cherches à donner au problème de doublage une raison un peu trop noble. Je crois que, sur ce coup, Tarr s'est tout simplement planté (faute de temps, d'argent, je n'en sais rien).

  • Tu as sans doute raison, Juan. Une ou deux scènes, par exemple la dispute conjugale, peuvent même paraître ridicules (un tiers des spectateurs sont sortis de la salle à ce moment là ; il faut dire que nous étions une dizaine à tout casser...). Mais ça ne me dérange pas vraiment, ça contribue malgré tout au caractère étrange, très singulier, du film. On est proche du muet, comme chez Guy Maddin. C'est un peu comme la post-synchronisation des films de la Nouvelle Vague : un artifice imposé par les conditions de tournage (matériel de prise de son direct trop lourd), mais qui crée un décalage très intéressant.

  • Bel article, même si à quelques détails près il est valable pour tous les films de Tarr que j'ai vus (à savoir "Damnation" et "les Harmonies Werckmeister") qui cependant met de belles façons en évidence ce qui fonde l'unité de ces trois films. Concernant la critique de Malausa, certes peu approfondie, je crois qu'elle fait quand même preuve d'une espèce d'humour salvateur vis-à-vis du film qui le sauve des lectures critiques qui le réduisent à une tentative expérimentale du type arts-et-essais infiniment prétentieuse. Pour la post-synchronisation, difficile d'imaginer que Tarr en soit dupe, en dépit des vicissitudes de la production.

  • Béla Tarr dit lui-même qu'il a l'impression de n'avoir réalisé qu'un long film, depuis ses débuts.

  • Je crois le film raté en raison justement de ce problème de doublage et de post-synchronisation. Il y a tout de même dans le cinéma de Tarr un ancrage singulier, terrien, qui fait que ses films se déroulent dans une Hongrie, certes en partie fantasmée, mais qui a son existence, reculée, oubliée, remise quelque part au siècle dernier mais qui perdure. Cette Hongrie était déjà filmée dès son premier film et se maintenait à travers son oeuvre, prise en charge par les mêmes acteurs amateurs qui le suivent depuis ses débuts, et qu'on retrouve ici en simples accessoires, petits bibelots de rappel qui traversent le décor. Dans L'homme de Londres, nous avons affaire à l'indigence d'une coproduction européenne où tous les accents se mêlent et ne semblent jamais s'accorder avec la syntaxe limbiale des acteurs. Ce cinéma ancré fermement sur terre devient paradoxalement totalement vaporeux. Je ne vois pas comment on peut ignorer ou surmonter pareil défaut qui rend la perception du film problématique. Les films, aussi ambitieux soient-ils, et réussis par certains aspects, ont une facture. Si les coutures sont mauvaises, ils se déchirent et laissent passer ces séquences ridicules qu'un admirateur de Tarr ne voudrait pas voir. Mais elles sont là, et je crois que c'est mal le défendre que de les croire insignifiantes. S'il s'en sort plutôt bien avec le décor (avec le bémol que l'on sent bien la Manche venir s'échouer au bord d'une ville méditerranéenne), le son qui reste un des piliers fondamentaux pour assoir son univers cinématographique, est tout simplement catastrophique. Incapable de le post-synchroniser correctement, il utilise son interminable musique à l'accordéon comme cache-misère, un cache-misère qui devient la misère lui-même. Il est d'ailleurs significatif que la seule scène qui tranche avec le reste, je pense à celle avec les deux tailleurs, et qui, très étonnamment (et avec bonheur), tire le cinema de Tarr vers un univers qui lui est étranger mais contiguë, disons, pour faire vite, un univers kafkaïen, il est significatif que cette scène soit la seule tournée en son direct.
    Pour connaître un peu l'affaire, il me semble donc que "L'homme de Londres" manifeste le genre de limite sur laquelle vient buter un auteur, aussi génial soit-il, qui ne veut pas entendre une seule critique. Enfermé seul dans ses propres illusions de toute-puissance, Tarr paraît aujourd'hui dans une impasse créative dont nous sommes quelques-uns à espérer qu'il en sortira. Une remise en cause serait ici salutaire.

  • Merci, Olivier, de l'avertissement, j'espère que le film sera encore là vendredi, j'irai même si je dois être déçue.
    Le son m'a paru essentiel dans la magie des Harmonies W , le son des pas dans le plan de la foule qui va au massacre, puis le silence pendant le massacre, par exemple. Il serait intéressant de savoir comment le montage son a été fait, si un monteur son au doublage a retravaillé un premier montage, dans l'urgence et la précipitation.
    La Manche au bord d'une ville méditerranéenne?! Je suis curieuse de voir ça!

  • Slothorp, d'accord avec cette scène que tu cites, effectivement excellente.
    Certes, j'ai été quelque peu déçu par ce Tarr et son doublage effectivement catastrophique (hormis la voix étrange de Lonsdale), oui mais, ma foi, ai franchement énormément de mal à accepter ta remarque, que je trouve tout simplement incroyablement prétentieuse : le génie, parmi tant d'autres définitions possibles, n'est-ce pas, justement, de suivre sa voie(x), quitte à déplaire à Slothorp et ses copains cinéphiles ?
    "Pour connaître un peu l'affaire, il me semble donc que "L'homme de Londres" manifeste le genre de limite sur laquelle vient buter un auteur, aussi génial soit-il, qui ne veut pas entendre une seule critique. Enfermé seul dans ses propres illusions de toute-puissance, Tarr paraît aujourd'hui dans une impasse créative dont nous sommes quelques-uns à espérer qu'il en sortira. Une remise en cause serait ici salutaire."
    Rassure-moi, lorsque tu nous dis que tu connais quelque peu l'affaire, tu parles de Tarr, des auteurs qui, comme Tarr, te paraissent dans une impasse créative ou bien de... ton propre cas ?
    Ce que tu appelles impasse créative, lorsque Tarr sera mort sera salué comme singularité dans une oeuvre de splendide cohérence, tu veux parier ?
    Que sais-tu, d'ailleurs, du fait que Tarr n'entend aucun critique ? Je doute qu'il n'ait pas été au courant, d'une façon ou d'une autre, de l'accueil imbécile qui a été réservé à L'Homme de Londres.
    On a d'ailleurs fait ce reproche, une bonne centaine de fois, à Bergman et alors, vois, il n'a pas varié d'un iota et c'est tant mieux.

  • J'ignorais que les films avaient une facture. Je les croyais sortis de la cuisse de Jupiter. Merci...
    Slothorp, est-il vraiment utile de vous répondre ?... Votre métaphore de la couture n'est pas très convaincante... J'ai suffisamment développé, je crois, ce qui me semble (très) digne d'intérêt, voire d'admiration, dans L'Homme de Londres - y compris ce que vous considérez comme indigent -, pour pouvoir me contenter, aussi hautain que vous, de vous renvoyer à votre certitude d'avoir affaire à un truc mal foutu. Question de point de vue, bien entendu. Je voudrais tout de même dire à nos lecteurs de ne pas vous prendre très au sérieux : pour connaître un peu l'affaire moi aussi, en vérité je vous le dis : mon goût est bien plus sûr que le vôtre ! Nous sommes du reste quelques uns à espérer que Tarr poursuivra son oeuvre de démiurge...

  • Ah, Juan, tu as été le plus rapide. Je vois que, une fois n'est pas coutume, nous sommes bien d'accord.

  • Juan, je vois que tu sacrifies avec pas mal de "copains" cinéphiles à cette politique des auteurs un brin datée qui voudrait que les défauts d'un film ne soient en fait que le signe de l'inattaquable singularité de son auteur. Mais non, je maintiens : le son est raté, totalement, et entraîne avec lui tout le film qui en souffre terriblement. Quand un écrivain se met à mal écrire, que ses phrases sonnent trop courtes, ou trop longues, que ses personnages ne sont plus incarnés, sans qu'il l'ait jamais conçu ainsi, mais qu'entraîné par la paresse, il ait cru que lâcher son roman d'un jet allait suffire, alors le lecteur peut se sentir en droit de ne pas aimer son livre et de l'expliquer. Qu'en ai-je à foutre qu'il soit le fou isolé sur sa montagne, le génie isolé qui aura mille fois raison contre les philistins, l'inébranlable auteur œuvrant dans l'isolement de son absolu singularité, si son film me semble raté et que je m'en explique ? Je dois m'écraser, taire mon jugement ? A ce compte-là, toute critique devient condamnée à la servilité. Oui, ce film marque une impasse créative, parce qu'il défait une partie de ce qui fait la force de son cinéma, cet ancrage dans le réel (à ne pas confondre avec un naturalisme), mais sans rien trouver à le remplacer. Et, les seules raisons qui l'ont conduit là tiennent à des questions de production et d'autisme un peu vain, parce que arc-bouté sur des enjeux qui n'en étaient pas. Autisme qui n'a bien sûr rien à voir avec le fait de lire ou de ne pas lire les commentaires des critiques professionnels, comme tu auras fait mine de ne pas le comprendre, après avoir lancé ta malicieuse remarque personnalisée comme une bouteille d'acide à la mer.

  • Ah, le susceptible. Et tu as raison, transhumain, mon goût n'est pas si sûr. Il s'inquiète même.

  • Guillaume, oui et non si je puis dire, diluons mon acide jeté dans ton verre de bon vin hongrois.
    Je n'ai jamais prétendu que le dernier Tarr était un chef-d'oeuvre ou qu'il m'avait laissé une grande impression. J'ai également, comme toi, insisté sur le catastrophique doublage et j'ai même, comme à l'accoutumée, pointé un des travers de notre cher Transhu, la surinterprétation.
    C'était le sens de ma remarque à Olivier : je n'ai pas vos compétences cinématographiques (c'est bien pour cela, mon cher, que je t'ai demandé d'écrire pour Stalker sur Tarr...) mais, ma foi, m'ont déçu plusieurs choses, d'un ordre plus scénaristique que purement visuel (même si, en prenant quelques bons repères et avec un peu de pratique, de longs plans-séquence ne sont tout de même pas un défi inconcevable au talent, voire au seul travail). Le démoniaque, dans ce film, l'une des dimensions essentielles à mon sens des précédents films de Tarr, ne joue pas et en effet nous avons l'impression de voir le clip interminable d'un fou qui rejouerait pour le coup un morceau dont il a perdu la clé et le secret
    Cependant, ce n'est pas précisément que je le veuille, note-le mais ma longue fréquentation de la chose littéraire, pour donc quelque peu connaître l'affaire, m'a TOUJOURS montré que s'il y a bien une chose qui jamais ne cessera, c'est le commentaire infini, son perpétuel ressassement blanchotien, commentaire de chef-d'oeuvre, de nanar ou d'oeuvre dont quelque étudiant boutonneux ou génie de la littérature nous affirmera qu'elle est inépuisable.
    J'affine donc et affirme non pas que tu as tort lorsque tu dis que ce Tarr n'est pas le meilleur, mais que tu te trompes sur la prétendue impasse dans laquelle il serait (ou est, pour te faire plaisir) tombé : dans un ou dix ans, ce film sera peut-être salué pour d'autres raisons qui nous le font aimer ou détester, surtout si Tarr, effectivement, retravaille le son pour un futur DVD ou une future copie...

  • He bien, Juan, nous sommes d'accord. Et ce que je voulais dire par "pour connaître un peu l'affaire", c'est que justement, il a refusé de s'attaquer au problème du son du film alors que des proches (de Tarr, pas de moi, s'il fallait le préciser) l'y invitaient. Ce en quoi je reste convaincu qu'il a eu tort. Mais il ne semble pas vouloir bouger d'un iota sur la question.
    Par ailleurs, Transhu, il recherche 300 000 euros pour boucler le budget de son prochain film (après, il se consacrera à la peinture, a-t-il affirmé). Tu sais ce qu'il te reste à faire.

  • Ah, mais je ne surinterprète rien, Juan. Je donne un aperçu de ce qui fait le film, et je n'ai pas passé sous silence de problème de post-synchro bizarre, simplement, je ne l'interprète pas comme un raté ignoble. Slothorp, que L'Homme de Londres ne soit pas le meilleur Tarr, c'est possible, mais cette information, très subjective - la qualité d'une bande-son ne saurait être réduite à sa seule dimension technique, et pour tout dire j'ai trouvé cette bande-son fort intéressante -, n'a guère d'intérêt à mes yeux. Je trouve ridicule ce snobisme qui pousse certains (votre ami hyppogriffe, par exemple) à dézinguer des oeuvres aussi riches (imparfaites, sûrement, mais infiniment plus essentielles que bien des films techniquement parfaits) qu'Inland Empire, Les Promesse de l'ombre ou cet Homme de Londres qui, quoi que vous fassiez, seront longtemps source de plaisir, de fascination et d'étude (et pour d'autres, d'ennui, mais les goûts et les couleurs...).

  • Désolé, Béla : j'ai pas un rond.

  • Tiens, au fait, Guillaume, tu as réussi à financer ton propre film ? Il me souvient d'une conversation où je te proposais de rencontrer quelque généreux mécène...
    Tu n'as pas eu alors l'air très enthousiasmé, note que je reste dans l'euphémisme le plus pur...

  • Je n'ai surtout pas réussi à faire autre chose que de terminer le documentaire sur les Chams. Maintenant que c'est fini, je prends n'importe quel argent pour mettre en production de nouveaux projets, y compris le plus crapuleux, cela va sans dire.
    Et pour terminer sur "L'homme de Londres", je pense que la qualité technique est une contribution essentielle à l'aspect esthétique, et qu'un réalisateur ne sépare jamais l'une de l'autre. il me semble que les soucis de post-synchro dans le film, cette tour de Babel des accents (le comédien principal des Harmonies W. était allemand, mais doublé en hongrois, parfaitement intégré dans cet univers sonore ouaté qui est typique de la post-synchro, et qu'on retrouve aussi chez Tarkovski, où les personnages semblent murmurer même lorsqu'ils crient, ce qui rend le monde representé totalement subjectif, intériorisé, avalé par une conscience, ici hongroise mais dans l'homme de Londres?) n'est pas un problème de petit ingé son pointilleux mais un échec esthétique, au vu de l'oeuvre de son auteur. Donc non, ce n'est pas anecdotique la technique, même si c'est moins séduisant à analyser et qu'on préférerait toujours se passer de ce pensum.

  • Sur la technique : trois fois oui. Même remarque applicable, d'ailleurs, à tous les arts, ce qui fait que tous les petits écrivaillons produisant leur sacro-saint premier-roman sont de calamiteux crétins qui n'ont aucune culture littéraire et ne font pas la différence entre Virgile et les aventures de Valérian (et Laureline).
    Le problème c'est que, trop souvent, non seulement ON mais toi aussi êtes beaucoup trop sensibles à mon sens à l'aspect formel d'un livre ou d'un film, quitte à passer sur sa réelle profondeur (ou sa nullité)...
    Mais c'est là un autre débat.
    Tes autres projets, on peut en avoir quelque goût (en privé si tu le souhaites) ?

  • Est-ce que vous me permettez d'invoquer le terme de "distanciation brechtienne" ?
    J'ai vu le film et, même si je ne doute pas que les bonnes raisons ne manqueront pas pour le qualifier de chef d'œuvre dans dix ans, il s'agit à mon sens d'une sorte de classique instantané, du type "M le maudit". Tarr a effacé toutes les traces de romantisme et de sentimentalisme qui pouvait subsister à la fois dans "les Harmonies Werckmeister" et dans "Damnation", dont ce film se rapproche en de nombreux points pour mieux faire apparaître des différences qui à mon avis en font une œuvre d'égale importance au sein de la filmographie de Tarr. Je suis loin de partager toute votre interprétation, puisque jamais, en dépit du dernier plan avec fondu au blanc que vous évoquez, Tarr n'a placé ses personnages autant à distance du spectateur. C'est d'ailleurs à mon avis la signification principale de la dernière scène, cette incompréhension généralisée des uns à l'égard des autres, et, à commencer, vis-à-vis de soi, que Morrison essaie de résoudre par l'argent. Bouleversant, le plan-séquence du second meurtre l'est assurément, faisant apparaître par contraste avec les scènes dialoguées, cette "émotion primitive", capable de se passer de mots, qui pour Tarr fait la force du cinéma. Non dépourvu d'un humour beckettien, à ceci près qu'ici il ne s'agit plus du "que dire" de incessamment répété du canevas beckettien classique mais de son équivalent cinématographique, à savoir un "que montrer" dont témoignent les louvoiements de la caméra parmi les piliers un peu chancelants du bar - l'homme aux lunettes par exemple - figures récurrentes du cinéma de Tarr- ainsi que cette scène de rupture (commune à tous les films de Béla Tarr) lors de laquelle la caméra s'échappe du point de vue fourni par le héros pour toucher une espèce de mur où l'émotion déborde et se pose comme l'envers positif de l'absurde et du désespoir, je veux parler de la première confrontation entre l'inspecteur et la femme de Brown qui correspond, et ceci n'engage que moi, à l'image traumatique du vieillard dans la baignoire dans "le Harmonies Werckmeister". Je vais me faire une joie d'ailleurs de menacer de plonger dans la sur-interprétation en voyant dans les larmes de Mrs Brown une reprise de l'élément marin, présent tout au long du film, et qui, tout en étant maintenu à distance, fait apparaître cet infini dont parlait dans des interviews Tarr à propos du décor, thème de la correspondance du cosmos et de l'homme, qui, comme chacun sait, lui est essentiel.

  • J'ai vu le film et, après coup, la critique d'Olivier et le beau commentaire de Jérôme me paraissent d'autant plus justes. ( Je ne saurais être soupçonnée de flagornerie envers le Transhu, l'ayant suffisamment blâmé par ailleurs...)
    Je n'ai pas la compétence de tous ceux qui se sont exprimés ici, un monteur son de mon entourage m'a fait remarquer que mon commentaire ci dessus était à côté de la plaque, que le problème du son relevait de la post-synchronisation qui n'a rien à voir avec le montage, bref, que je ne comprends rien à la technique.
    Je dois confesser que je n'ai pas échappé à la tentation de la somnolence, et là, je rejoins partiellement Slothorp. J'attribue l'effet d'hypnose à la musique "lancinante", il m'a semblé entendre une seule et même phrase musicale. Peut-être est-ce une mise à l'épreuve initiatique du somnambulisme du spectateur au sens où l'entend Hermann Broch: nous serions tous des somnambules, hypnotisés par les images et sons industriels dans lesquels nous baignons, et celui qui ne succombe pas au sommeil, dans ce film, sortirait de son somnambulisme, en quelque sorte, mériterait de le voir.
    Je ne comprends pas très bien ce que Slothorp reproche à la bande son, à part le mauvais doublage et la musique. Le son a parfois une portée significative, par exemple le clapotis, quand Malouin va récupérer la valise. Ce bruit d'eau enferme le personnage dans la solitude et la nuit.
    Le commentaire de Jérôme complète la critique d'Olivier. Il s'agit d'une tragédie mais qui ne suscite pas la pitié, donc, pas de catharsis, plutôt une distanciation brechtienne, l'éveil , la sortie de somnambulisme.
    Le démoniaque me semble présent à la manière de Bresson dans "L'Argent" ou "Au hasard ,Balthazar". Dans un premier temps, Malouin voudrait transformer cet argent en bonheur. Il y a une trouée de lumière dans la scène chez les tailleurs, lorsque nous voyons dans le miroir le regard d'Henriette parée de l'étole: pour la première et unique fois dans le film, ce regard inexpressif s'illumine comme si, à travers l'achat de cette parure, son père lui offrait sa féminité. Cette lumière s'éteint aussitôt lorsque Henriette dit qu'elle ne mettra l'étole que le dimanche pour l'économiser. La routine continue, donc, celle où justement s'inscrit le démoniaque. L'inspecteur tient un discours apparemment rassurant, bienveillant, qui en réalité est un discours arrangeant, qui s'arrange pour préserver la médiocrité. Il ne veut pas la justice mais que tout s'arrange, il paie, il achète les âmes. N'est-il pas une figure bernanosienne du démon?
    Très belle remarque de Jérôme sur les larmes de Mrs Brown qui rejoint la présence du céleste analysée par Olivier.

  • Si toutes les fois qu'une femme a pleuré il aurait fallu voir quelque symbolique marine, il y a bien longtemps que notre monde aurait été englouti sous un déluge d'amertume.

  • Bon, assez fait la Précieuse ( pour ceux qui n'auraient pas suivi, lire les commentaires à la suite de la critique de Transhumain sur "La Chair" de Serge Rivron), je reprends mon nom.
    Stalker, vous n'êtes pas Stalker, si c'était le cas, vous auriez réagi sur la figure bernanosienne du démon.

  • "Si toutes les fois qu'une femme a pleuré il aurait fallu voir quelque symbolique marine, il y a bien longtemps que notre monde aurait été englouti sous un déluge d'amertume."

    Ce n'est pas une raison pour faire des phrases qui ne veulent rien dire; surtout que finalement, on pleure assez peu chez Béla Tarr et rarement aussi frontalement.

  • Mais si, je suis bien Stalker et je réagis quand il me plaît de réagir, sur tel ou tel sujet.
    Jérôme : c'est votre lecture symbolique qui ne veut strictement rien dire et qui est même ridicule.
    En règle général d'ailleurs, les lectures symboliques ne font plaisir qu'aux curés (s'il en reste) qui voient Jésus toutes les fois qu'un poteau télégraphique se détache à l'horizon...
    Dieu, que j'en ai bouffé des lectures symboliques de Bernanos, de Bloy et de centaines d'autres :
    Le texte, le texte nom de Dieu !
    L'image, l'image nom de Dieu !
    La symbolique marine dans les pleurs d'une femme, non mais franchement... Et pourquoi pas la fontaine de Jouvence ou le Déluge ou le jet d'eau sur le Lac Léman...?
    Allons allons...

  • Stalker?! Au temps pour moi, autant pour moi ! :-)

  • Votre article sur ce film magistral est d'une très grande justesse, Olivier. J'ai eu la grande chance de voir ce film au cours des 15 jours où il était projeté à une heure improbable dans une petite salle art et essais à Lyon. Le local n'était pas chauffé, il faisait très froid ce soir là et nous n'étions que deux spectateurs. Extraordinaire du coup cette atmosphère de la salle en complète osmose avec celle du film! Je me souviendrai longtemps je crois de cette projection. Les éclairages et et les cadrages sont extrêmement soignés et chaque plan est à lui seul une vraie photographie. Certains de ces plans reviennent à plusieurs reprises et d'autres montrent les mêmes lieux et les mêmes objets filmés selon un point de vue différent. Ces procédés de langage cinématographique illustrent par là, je crois, de manière très réussie, l'obsession de Maloin à vouloir sortir de sa condition sociale mais également et en même temps l'enfermement dans lequel il est contraint de se murer.
    Ce que réussit de façon assez impressionnante Bela Tarr, est cette façon de traiter de la violence de la nature humaine avec un film au rythme très lent, à la musique hypnotique. C'est presque un regard d'entomologiste qui est posé sur les personnages. Il m'a semblé, par ailleurs, tout au long du film, être convoquée au pays des morts : l'action se déroule principalement dans un endoit qui n'est jamais nommé, nous sommes au bord de l'eau, souvent, et une eau qui pourrait bien rappeler les flots du Styx, Maloin représentant une espèce de Charon décliné. Le discours sur la nature humaine n'est pas des plus optimistes certes, mais il est très réaliste je pense...
    Cordialement, Irma Vep

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