Pour peu qu’on accepte d’ôter le temps d’une projection les œillères idéologiques que nous trimballons tous plus ou moins, Entre les murs s’impose non comme un chef d'œuvre, mais comme un grand moment de cinéma. Réalisateur des remarqués Ressources humaines et L’Emploi du temps, Laurent Cantet adapte un roman de François Bégaudeau et filme une classe de quatrième d’un collège parisien classé en ZEP. Avant d’entrer plus avant dans l’analyse et l’interprétation, balayons immédiatement un malentendu : Entre les murs n’est pas un documentaire. Du reste, contrairement à ce qu’affirment certains, comme mon ami François, les auteurs n’ont jamais entretenu cette confusion : il suffit pour s’en convaincre de lire leurs entretiens, où est dévoilée la méthode d’atelier de Laurent Cantet. Certes, les acteurs sont tous des non professionnels : François Bégaudeau incarne son double François Marin, et les élèves et les autres professeurs, tous très bons (à l’exception du professeur de techno qui pète les plombs, vraiment pas convaincant !) ont été recrutés au collège Françoise Dolto, proche du collège Jean Jaurès où s’est déroulé le tournage. Certes encore, en captant avec ses trois caméras HD des scènes de classe aussi improvisées qu’encadrées – les jeunes protagonistes n’avaient pas lu le scénario –, en filmant aussi bien les dialogues que leur périphérie – un élève qui se balance sur sa chaise, une autre qui somnole, la tête posée à même sa table, etc. –, le film revêt inévitablement un caractère documentaire, évidemment renforcé par le filmage HD très neutre, au plus près des visages, des corps, des gestes et des paroles. Mais les élèves jouent des rôles prédéterminés, souvent à contre-emploi (Frank Keita par exemple, qui joue Souleymane, serait en réalité un garçon très calme). Et surtout, Laurent Cantet non seulement sait où il va – nous restons dans le cadre général du livre de Bégaudeau –, mais encore procède, comme nous le verrons, à une authentique et très habile mise en scène de la situation. Dès lors, il devient rigoureusement impossible d’identifier un discours, une idéologie, défendus par Entre les murs. Puisque nous sommes en présence non d’un documentaire mais d’une « représentation de représentation » du réel, nous nous contenterons alors de l’interpréter.
Le dispositif formel d’Entre les murs (Palme d’Or à Cannes) est extrêmement simple. Certains ont noté le positionnement des caméras, toujours du même côté de la classe, en arbitre impartial du jeu qui se déroule sous nos yeux. Nous avons d’une part le professeur, avec sa personnalité propre, ses idées, ses méthodes – bonnes ou mauvaises –, son système pédagogique, ses positions sur la discipline, ses errements et ses dérapages, un professeur, en somme, qui fait ce qu’il peut pour faire son travail, transmettre un savoir et éveiller ces adolescents à la réflexion, à la curiosité, bref, à l’intelligence en acte ; nous avons de l’autre les élèves agités, inattentifs, parfois violents, avec leur tchatche, leurs insultes, leur langage spécifique – un langage rompu aux arcanes du combat, comme le note justement Pierre Cormary dans une critique à charge par ailleurs très confuse, dont je ne partage pas du tout les conclusions –, leurs railleries incessantes et leur tragique incapacité à assimiler les leçons de leurs enseignants, mais aussi avec leur incroyable vitalité. François Marin/Bégaudeau n’incarne pas l’excellence. Il n’a même pas valeur d’exemple. À l’inverse de son collègue professeur d’histoire et géographie, il ne se drape pas dans les principes, alors il tâtonne, multipliant les erreurs, « charriant » plus qu’à son tour, jusqu’à comparer le comportement de deux greluches à celui de « pétasses », provoquant alors de sérieux remous…
Au centre, donc, la caméra. D’autres critiques ont par ailleurs évoqué le morcellement de l’espace par le montage. Au plan d’ensemble, Laurent Cantet préfère ici le plan rapproché et le gros plan : c’est avec la même neutralité que sont non pas jugés mais observés François Marin/Bégaudeau, ses élèves, ses collègues dans la salle des profs ou au conseil de classe… Observés, non froidement comme les cobayes de quelque expérience, non comme des figures générales (« prof », « élèves ») mais avec empathie, c’est-à-dire considérés comme des individus à part entière, dans toute leur singularité. S’il y a bien confrontation, donc, entre une classe et un professeur, cette classe n’en est pas moins constituée d’élèves d’origines sociales et ethniques diverses, qui eux aussi ont leur histoire, leurs préoccupations, et leur personnalité propres. Le jeu de champs et contrechamps serrés qui fusent au rythme quasi slamé des répliques, vise moins à « donner raison » aux méthodes de Marin (par exemple lors de ses face-à-face avec son rival idéologique, le prof d’histoire), dont nous avons vu qu’elles étaient pour le moins discutables – surtout en matière de discipline –, qu’à nous faire reconsidérer les débats autour de l’école – malgré toutes les réserves, souvent d’une violence hors de propos, que suscitent ses choix pédagogiques, Marin/Bégaudeau parvient parfois à ses fins mieux que quiconque –, ainsi qu’à mettre en scène un rapport de force – à chacun son territoire : s’ils tolèrent tout juste l’autorité du professeur dans l’enceinte de la salle de cours, les élèves s’opposent violemment à lui lorsque ce dernier, dans une séquence d’une rare intensité, s’en prend à eux dans la cour, leur domaine… Reste que cette fragmentation de l’espace tend à égaliser la parole (« Pour vous, enculé, c’est comme pour nous, pétasse »), à relativiser l’importance des uns et des autres, à embrasser avec la même bienveillance la parole du professeur et celle des élèves. C’est d’ailleurs le principal reproche fait au film par ses détracteurs, souvent professeurs eux-mêmes… Ils ont tort : si Entre les murs épouse le point de vue de Marin/Bégaudeau, il n’en montre pas moins ses inquiétantes impasses. À cette fragmentation paritaire et égalitaire de l’espace, qui fait clairement écho à la perte de pouvoir du professeur, s’ajoute un troisième choix essentiel de mise en scène, d’autant plus discret qu’il n’est pas visible, et décisif pour la compréhension du film : l’aplatissement temporel.
Plus encore que le livre de François Bégaudeau, le film de Laurent Cantet anéantit systématiquement toute notion de durée et de temporalité. Entre les murs se déroule tout au long d’une année scolaire, du premier au dernier jour, et l’on assiste à quelques événements incontournables de la vie scolaire, comme un conseil de classes et quelques incursions en salle des profs, mais d’une scène à l’autre rien n’indique qu’une période plus ou moins longue a éventuellement pu s’écouler. Comme l’indique le titre, nous restons entre les murs du collège : ni les tenues vestimentaires, ni les événement extérieurs, ne nous donnent le moindre indice d’une quelconque progression. Il est bien fait référence à la Coupe d’Afrique des Nations, mais le football revient comme un leitmotiv dans la bouche des élèves comme l’une de leurs préoccupations majeures, et ne rompt pas avec cette impression de stase temporelle. En fait, les deux seuls événements marquants qui débordent du cadre de la vie scolaire, sont la menace d’expulsion de la mère chinoise en situation irrégulière du jeune Wei, et l’exclusion définitive de Souleymane, dont le père risque alors de le renvoyer au Mali. Or, le film ne se préoccupe plus par la suite du sort de la mère de Wei, et Souleymane doit son exclusion au comportement du professeur, qui par souci de dialoguer avec ses élèves, avec leurs propres armes, a laissé la situation s’envenimer… C’est Marin, en traitant Esmaralda et sa collègue déléguée de classe de « pétasses », qui ouvre des brèches dans l’équilibre instable qu’il avait instauré. Mais cet incident ne change rien. Pas même pour Souleymane en définitive : celui-ci sera envoyé dans un autre collège, de la même façon que Carl, exclu ailleurs, est arrivé à Dolto. Les mois passent donc sans que nous en prenions conscience, et surtout sans que le bagage scolaire et le comportement de certains élèves – la plupart… – n’ait évolué d’un iota. Oh, il y a bien cette scène inattendue, qui voit Marin/Bégaudeau estomaqué par la petite Esmeralda, lectrice improbable de La République de Platon, mais c’est sur le conseil de sa sœur, et non sous l’autorité de l’institution, que la jeune fille s’y est intéressée… Le triptyque final d’Entre les murs (le constat d’échec de la petite Henriette ; le match de foot dans la cour ; les deux derniers plans de la salle de classe vide) n’enlève rien à la bienveillance du film envers ses jeunes protagonistes, bien au contraire, mais s’avère d’un pessimisme rare. D’abord, donc, il y a Henriette, cette jeune élève effacée, qui ne pipait mot pendant les cours, et qui vient après l’ultime cours de l’année, le regard perdu, avouer à son professeur – ébranlé par la révélation – qu’elle n’a rien appris, et même rien compris, durant toute son année scolaire... Ensuite, il y a ce match de foot dans la cour, séquence magnifique, faussement anodine, qui montre une dernière fois la vitalité de ces enfants, mais aussi l’échec total d’un environnement scolaire qui n’aura pas réussi à leur faire accepter et assimiler d’autres valeurs, d’autres connaissances que les noms des clubs et des joueurs. Même en cours de français, on préfère parler de la défaite du Mali face au Maroc qu’apprendre les différents registres de langue. Enfin, les deux plans de la salle de classe vidée de ses élèves, chaises et tables sens dessus dessous, enfoncent le clou avec une simplicité exemplaire : les élèves ne sont pas là. Ils n’ont jamais vraiment été là. Ils s’agitent en tout sens sans raison, ils tchatchent dans le vide, contredisant les sages paroles tatouées en arabe sur le bras de Souleymane (« Si ce que tu as à dire n’est pas plus important que le silence, alors tais-toi »), et n’attendent strictement rien de l’école.
Entre les murs est une histoire d’enfermement. Une année est passée et rien, ou presque, n’a changé. Les professeurs sont désabusés (citons de mémoire la présentation de l’un d’entre eux, lors d’un tour de table au début du film : « J’enseigne dans ce collège depuis… oumph, un certain nombre d’années déjà… Bienvenue aux nouveaux. Et bon courage… »), impuissants (ils ont perdu tout pouvoir et se raccrochent à n’importe quoi, par exemple une machine à café, mais même elle finit par leur échapper), prisonniers au sein même de leur établissement (quand Marin se réfugie dans la cantine pour y fumer une cigarette, la femme de ménage lui fait une remontrance), et contraints de voir leurs joies et satisfactions déplacées exclusivement dans le monde extérieur (l’annonce de la grossesse en salle des profs). Quant aux élèves, ils attendent la quille, sans aucun égard pour leur avenir. La cour du collège est d’ailleurs filmée d’une fenêtre en hauteur, comme du haut d’un mirador. Laurent Cantet réussit le tour de force de réaliser un film sur l’école et sur ce qui se joue de crucial entre ses murs, sans raccourci simpliste, tout en nous faisant accéder à la singularité de ses protagonistes – jusqu’à nous les faire aimer, sans pathos, sans les artifices et clichés habituels de la fiction. À la fois électrisant et terrifiant – superbe.
Commentaires
Tout ce que tu écris sur le propos du film est très juste, et ton interprétation me paraît tout à fait valable. Le non-écoulement du temps en est en effet un trait important, mais pas si discret que ça ; il participe effectivement de ce constat global d'un échec de l'école à faire progresser les élèves.
Tout ça est très bien vu, mais notre désaccord est toujours là ! Quand tu prétends remettre les choses au clair en affirmant qu'il s'agit d'une "représentation de représentation" qu'on doit se contenter d'"interpréter", cette dimension fictionnelle du film ne l'empêche pas d'avoir pour fin première de donner un aperçu fidèle du réel, ou plus précisément de l'expérience de François Bégaudeau en tant que professeur de français. Et cette fin a totalement déterminé le choix du mode de filmage, le choix des acteurs, le choix des séquences : voilà ce que j'ai conclu des propos de Laurent Cantet sur son film. C'est une fiction, certes, mais qui s'efforce de paraître aussi réelle que possible afin d'amener les spectateurs à croire qu'il s'agit de faits bruts, objectifs. Encore une fois il n'en est rien, et nous sommes d'accord là-dessus ; ce film est très construit, de bout en bout, mais cette construction va clairement dans le sens d'un réalisme outrancier. Et sur ce point, Laurent Cantet entretient sciemment la confusion en laissant croire que son film est au plus près de la réalité, ce qui est faux. Mais comment pourrait-il en être autrement ?
C'est donc bien un procès d'intention que j'intente à Cantet, je le sais bien ; mais avec cette nuance que l'intention transparaît à tout moment dans le film et dans ce qu'en disent les auteurs.
Toi-même, Olivier, tu tombes dans le panneau de la confrontation ridiculement schématique entre le prof d'histoire-géo, ce vieux réac qui "se drape dans les principes", et notre cher anti-héros François Marin, qui a tout de même la bonne conscience de son côté parce qu'il est plus proche des élèves ; il ne se drape dans aucun principe, lui, il improvise, à poil, et c'est ce qui fait paradoxalement son héroïsme. Si ça, ce n'est pas de l'idéologie à forte tendance démago... Car enfin, la bonne volonté d'un professeur lui interdit-elle d'avoir des principes ? Lui interdit-elle par exemple d'incarner l'autorité, ce dont les élèves, quoi qu'on en dise, ont besoin ?
Ah mais mon cher François, je ne tombe dans aucun panneau : la confrontation entre Marin et le prof d'histoire-géo est bien celle d'une méthode, disons démagogique, et celle d'une méthode plus rigide. Tout mon article tend justement à montrer qu'Entre les murs raconte surtout l'histoire d'un échec, celui de tous les profs du collège, et au premier chef celui de Marin lui-même... Tu vois, tu critiques Marin, comme si Entre les murs nous le présentait comme un prof dont il faudrait suivre l'exemple ! Tu dis que l'intention transparaît, mais on ne juge pas une oeuvre à son intention, or je crois avoir montré que le sens du film est très différent de ces intentions supposées. Je dis bien "supposées", parce que, contrairement à ce que Montalte et quelques autres prétendent, je n'ai rien lu dans les interviews de Cantet, qui aillent dans le sens d'une apologie de Marin. On sent bien spur la sympathie de Cantet pour le personnage, et son adhésion à son discours, mais les faits lui donnent tort...
Enfin, je ne comprends toujours pas ta critique du réalisme du film. Qu'aurait dû faire Cantet à ton avis ? Filmer Entre les murs comme du Jan Kounen ?... Donner le rôle de Koumba à Monica Bellucci ?... Qu'entends-tu par "faits bruts" ? Cantet n'a jamais présenté son film comme un documentaire, et ne cache pas la façon dont s'est déroulé le tournage : casting, répétitions, rôles à contre-emploi, etc. Entre les murs est donc bien une fiction, mais pas une fiction comme les autres : la technique des ateliers d'improvisations, l'expérience de Bégaudeau, lui donnent un caractère évidemment documentaire. La nuance est de taille. Mais d'une part, ce que le film montre existe (la Transhumaine par exemple m'a confié que la classe de Marin était très proche de ce qu'elle avait vécu au collège en banlieue), et d'autre part, reprocher au film de vouloir paraître réel est absurde : reproche-t-on aux frères Dardenne de filmer Rosetta, Le Fils ou L'Enfant comme des documentaires ?... Bégaudeau est franchement excellent dans son rôle, les enfants sont très bons également, la tension est là, le film fait sens, on s'y croirait : que demander de plus ?
Mais je ne demande rien de plus ! C'est Cantet qui, apparemment, ne se satisfaisait pas d'une simple fiction, et a souhaité épicer un peu son potage au vermicelle de la réalité. Mais passons.
Justement, j'ai vu une interview de Cantet, sur le site Allociné je crois, où il explique que selon lui, c'est l'attitude de Marin qui est la plus "intelligente" : il n'oppose pas aux caprices des élèves la barrière de l'autorité, du cours à terminer, etc, mais les laisse s'exprimer et leur répond sur leur terrain. La confrontation entre Marin et le prof d'histoire-géo véhicule clairement cette prise de position totalement simpliste et contestable.
Encore une fois, ce qui me dérange, c'est moins le film en lui-même que le discours que tiennent ses auteurs, qui y transparaît ; et surtout, surtout, encore une fois, ce film n'est pas une fiction réaliste comme les films des frères Dardenne que tu cites en exemple, mais une fiction déguisée en documentaire, ce qui n'est pas du tout la même chose.
Cela dit, avec Monica Bellucci dans le rôle de Coumba, je verrais peut-être le film sous un autre angle...
Mais je ne me suis toujours pas expliqué sur ce que j'entendais par "présenter les événements fictionnels comme des faits bruts" : tout est dans le discours tenu autour du film. Si des ateliers d'improvisation ont été créés, ce n'était pas simplement pour donner de la matière supplémentaire au film, mais d'y apporter une caution supplémentaire qui serait celle du réel.
Or, lorsqu'on est filmé, que ce soit pendant deux minutes ou sur une durée de 170 heures, on joue, on tient forcément compte de la caméra ; je considère donc, tout comme toi, que ce film est intégralement fictionnel. Seulement, ce n'est pas exactement ce qu'en dit Laurent Cantet !
pour y apporter, pardon : j'en perds mon français...
Bah, je ne vois toujours pas en quoi le discours de Cantet - qui n'a jamais présenté son film comme un authentique documentaire - devrait changer notre vision du film... Une fiction déguisée en doc, un doc déguisé en fiction, ça ne veut rien dire pour moi, sauf s'il y a vraiment tromperie. Or je connais les conditions de tournage, j'ai lu les interviews, et j'en conclus qu'il s'agit d'une fiction, certes différente d'un film de studio, mais une fiction tout de même, avec son scénario, ses règles, etc. Les ateliers : un moyen d'obtenir un effet de réel, oui, et c'est un atout du film ! Il n'y a pas tromperie, donc pas de malhonnêteté. Après, que Cantet confie sa sympathie pour Bégaudeau et Marin, et qu'il fasse de son film un outil pour militer en faveur d'un enseignement à la Marin, ça n'est pas surprenant... Cela dit, sans entrer dans un débat sur la pédagogie, si Marin fait beaucoup d'erreurs, je ne crois pas non plus qu'il soit le pire prof possible : dans un tel contexte, dans une classe comme celle-ci (somme toute assez sympathique, comparée à d'autres), il s'agit peut-être moins de transmettre un savoir, que de les éveiller, de susciter leur curiosité, de les amener à devenir des citoyens conscients, et non de simples sauvageons... Si les Marin existent, c'est aussi parce que les modèles traditionnels, dans certaines conditions, échouent lamentablement. Je ne prétends rien, je ne suis pas prof, mais dans ma scolarité, j'ai eu des profs plus proches de nous, qui ouvrait le dialogue, un peu sur le modèle de Marin (mais nous étions beaucoup moins difficiles et indisciplinés) : ce sont ceux-là qui m'ont donné confiance, qui m'ont poussé à bosser, à m'intéresser à tel ou tel domaine. Bref, je n'ai aucune certitude... Mais je serai ravi que tu me parles de ton expérience ! A très vite !
Je peux déjà te dire qu'il y a bien d'autres manières d'ouvrir le dialogue avec les élèves qu'en se plaçant sur le même terrain qu'eux, en l'occurrence celui de la violence et de l'égocentrisme. Il y a, comme je l'écrivais dans ma note sur le film, des situations d'apprentissage, qui sont beaucoup moins spectaculaires, mais nettement plus intéressantes sur le plan de la relation prof/élève. Mais on en reparlera autour d'une mousse !
A bientôt.
Bonjour,
Je me permets d'intervenir brièvement dans votre riche débat critique sur Entre les murs pour donner mon avis sur deux points. D'abord sur la qualification de "grand moment de cinéma" donnée à Entre les murs. Je n'ai pas été très sensible à ce film pour une raison assez simple : il se veut proche des personnages et de leurs petits drames, or tout est esquissé. Ce n'est pas avec un gros plan (pas toujours réussi) sur un visage d'élève qu'on le comprend mieux. Contrairement à Ressources humaines où le spectateur entrait dans l'intimité d'un conflit familial et professionnel intense, ici le spectateur n'a pas de voie d'entrée dans le film en matière de personnages. La raison est liée à la façon d'aborder un film de Laurent Cantet qui est la caricature d'un système : chacun est tenu à un schéma simple. Le prof d'histoire incarne le prof autoritaire, Souleyman l'élève rebelle, Fei le bon élève etc...peu ou pas de place pour l'intime et le complexe. C'est le parti pris de Laurent Cantet de ne pas vouloir sortir d'Entre les murs de l'école et donc de ne pas montrer le cadre familial par exemple, mais je pense qu'il était possible d'approcher plus franchement quelques personnages. Et je pense que c'est moins un débat entre prof et non prof que nous devons avoir sur ce film qu'un débat sur la vraisemblance des personnages qui est la clef de voute d'une fiction réaliste.
Ensuite, sur la question des méthodes d'enseignement, la caricature des deux profs a du bon dans la mesure où elle met bien en exergue le conflit présent dans l'éducation entre les méthodes plus autoritaires et plus communicatives. Toutefois, il ne me parait à nouveau pas vraisemblable qu'un prof qui apparaisse si déprimé continue à pratiquer cette pédagogie si ce n'est par masochisme ou par manque total de caractère. Ce qui est incompatible avec ce métier. Donc au final, ce film mettrait en scène un individu qui s'est trompé de boulot. Soit. Remarque c'était déjà un peu le sujet de Ressources humaines. Mais à l'optimisme de la fin de son précédent film succède ici un pessimisme froid, celui de la répétition à l'infini d'un même échec.
J'avoue ne pas partager cette vision de l'école, en tant que jeune prof enthousiaste... On en reparle dans dix ans ?
Merci pour le blog,
Ah, mais chère Sophie, je trouve quant à moi ces personnages fort vraisemblants. Vous savez comme moi que les élèves, dans la réalité, jouent aussi des rôles : le rebelle, le premier de la classe, le caïd, etc. Le personnage de Marin, lui, n'a vraiment rien de schématique. Vous le trouvez déprimé ? Pas moi. Où est l'invraisemblance ? Le film de Cantet ne caricature pas outre mesure. Idem pour les profs : dans mon milieu professionnel, pas si éloigné de l'école, les oppositions idéologiques systématiques entre deux personnes existent. Il suffit d'ouvrir grands ses yeux et ses oreilles pour se rendre compte que, souvent, films et romans, dont on dit souvent qu'ils ne sont pas crédibles, sont largement en-deçà de la réalité...
Je suis d'accord avec vous, cher transhumain, sur le constat que chacun de nous joue un rôle social. Et qu'une fiction réaliste se doit de conserver ce vernis en l'intensifiant même. Mais un artiste doit-il s'arrêter là dans sa peinture ? Fei, l'élève modèle, par exemple a vraisemblablement une faiblesse (à mon avis les jeux en ligne !), pourquoi ne pas la montrer plus avant et éviter le cliché du surdoué asiatique ? Souleymane, comme le dit sa mère, est un bon garçon, gentil; pourquoi le spectateur ne peut-il en être convaincu ou ému lorsqu'il est face au conseil de discipline ? Vous dîtes qu'il évite le pathos, certes, mais il est dommage d'éviter la compassion ou tout au moins la compréhension.
Quant à Marin, je l'ai trouvé immédiatement déprimé (et une lectrice m'a confirmé que c'était insistant dans son livre). Le jour de la rentrée, il ne communique aucune énergie positive aux élèves mais joue un triste rôle d'apothicaire (et en cela il est crédible). Par la suite, il ne m'est pas apparu comme un prof qui tente des méthodes alternatives, plutôt comme un prof qui a perdu son enthousiasme et dont il ne reste de sa pédagogie que la surface, c'est à dire le dialogue avec les élèves, mais on se demande pourquoi il continue. Et c'est là que je situe l'invraisemblance.
Peut être la seule raison (douteuse) qu'on pourrait avancer au fait qu'il poursuive ce métier est son désir de ne pas perdre dans son "débat" contre le prof d'histoire ! Et là je vous rejoints sur les oppositions idéologiques qui sont bien montrées dans ce film, tout comme dans Ressources humaines, d'ailleurs.