IV
Sous ses dehors d'escapade bucolique, ce quatrième chapitre bruisse d'un réseau symbolique lunaire extrêmement dense, annoncé par l'exemplaire de La Vallée de la Lune de Jack London trimballé par Hugh dans ses affaires à son arrivée, et confirmé par sa conversation avec Yvonne, dans les dernières lignes – et par l'évocation des paysages de la vallée du Popocatepetl, métonymiquement comparés aux mers de l'Astre nocturne. La Lune, symboliquement, en plus d'être principe féminin (associée à Yvonne, donc), représente l'inconscient, l'imagination, le rêve – la zone obscure mais féconde de notre vie intérieure pulsionnelle, archaïque, primitive : pas un enfer mais un séjour intermédiaire entre l'endormissement (cf. la fin du chapitre 3) et le réveil – entre la mort et la renaissance (le Dictionnaire des Symboles signale d'ailleurs que « les divinités lunaires, chez les Aztèques, comprennent les dieux de l'ivresse, [...] parce que l'ivrogne, qui s'endort et se réveille ayant tout oublié, est une expression du renouvellement périodique » commandé par la Lune, « aussi bien sur la plan cosmique que sur le plan terrestre, végétal, animal et humain »). « Sur la voie de l'illumination mystique », conclut le Dictionnaire des Symboles, « où nous a conduit le dix-septième arcane (l'Étoile), la lune éclaire le chemin, toujours dangereux, de l'imagination et de la magie, tandis que le soleil (XIX) ouvre la voie royale de l'illumination et de l'objectivité ».
L'on peut penser, dès lors, comme nous y invite Hugh (« Si on quittait cet enfer tout de suite? » propose-t-il à Yvonne sur le perron de la maison de Geoffrey), que cette promenade à cheval (figure lunaire – comme les vaches à longues cornes en forme de croissant de lune – et vaisseau, symbole d'impétuosité du désir) sous le soleil mexicain, en compagnie de deux pouliches et d'un petit chien blanc (comme sur le dix-huitième arcane du Tarot – la Lune –, qui figure deux cerbères, le second étant probablement le chien paria du chapitre 2), non loin du mirador de la prison, est en réalité un authentique voyage en Purgatoire. Il est sans doute utile de rappeler que Sous le Volcan devait être le premier volume – infernal – d'une trilogie qui devait également comporter un Paradis – dont le manuscrit est littéralement parti en fumée – et surtout un Purgatoire intitulé...Le Caustique Lunaire.Et ce voyage sera effectivement marqué du sceau de la tentation – du désir – et de l'expiation des péchés, ainsi qu'y font référence le lézard, le serpent et surtout le bouc (animal lunaire, force de l'élan vital, de la libido, qui a donné son nom à la tragédie – étymologiquement, « chant du bouc » –. référence aussi au sacrifice mosaïque, où le bouc sert à expier les péchés du peuple d'Israël) qui les charge sur les bords de la barranca, qu'on appelle également le Malebolge (le nom donné par Dante Aligheri au huitième cercle de l'Enfer, celui des faussaires, mais aussi des séducteurs…).
Le Consul est ailleurs, déjà loin sur le chemin occulte de l'illumination. Mais Hugh et Yvonne sont encore empêtrés dans leur sentiment de culpabilité, comme en témoignent par exemple la digression mentale de Hugh autour de Judas, ou sa réticence à l'achat par Yvonne d'un amarillo à la carapace protectrice. Ainsi franchissent-il à gué le Styx (impression confirmée parla jument d'Yvonne, qui mire son reflet à la surface de l'eau comme Narcisse aux Enfers), gardé comme il se doit par son Charon, ici un Indien (adossé à une cantina nommée « La Sepultura ») au visage dissimulé dans l'ombre de son chapeau à larges bords et dont le cheval, s'il s'agit bien du sien, porte un « 7 »marqué au fer sur la croupe. Le 7 : chiffre clé de l'Apocalypse, signe d'une Révélation à venir ; le signe de Dieu et de la perfection, mais aussi le singe de Dieu comme la Bête à sept têtes ; symbole, enfin, de la mort – il reproduit la forme d'une faux – mais d'une mort qui n'est qu'un passage, celui du profane à l'initié.