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L'étranger

 

dexter

 

 

Je réagis ici à la chronique du Jardin schizologique par Stéphane Gourjault (le même Gourjault qui qualifiait La Horde du contrevent, le magnifique livre d'Alain Damasio, de roman « moyen », « trop long », « trop complexe », « pas intéressant », « pas forcément à découvrir », « assez peu aisé à lire », avec des « tournures de phrases complexes » qui ne « servent pas le récit » et sont même « superflues », et j'en passe !), sur le site ActuSF. Si je souhaite laisser à notre ami la responsabilité de son jugement esthétique – quoique, ici les questions esthétiques en rejoignent d'autres, et quoiqu'il y aurait beaucoup à dire sur la pauvreté affligeante de la critique SF –, quelques reproches adressés au livre exigent quelque éclaircissement. Parce que, tout de même, faut pas pousser Tranzu dans les orties. Trouver nos nouvelles illisibles, soit. Il n'est pas le premier. Mais le faire en se prenant autant au sérieux, c'est un peu fort de café.

 

D'abord, j'aurais manqué de « déontologie », en tant qu'anthologiste au sommaire de l'ouvrage que j'ai dirigé. Allons donc ! Ainsi que je l'ai déjà expliqué dans une interview accordée... au site ActuSF (!), dont Stéphane Gourjault ne peut pas ne pas avoir eu connaissance, les choses sont très claires : aucune nouvelle n'a été écartée au profit de False Reversion. Nous avons retenu tous les textes que nous jugions dignes de figurer au sommaire, et rejeté tous les autres. J'ai déjà écrit tout cela en interview, et nous assumons entièrement nos choix. Si Stéphane veut des détails, qu'il lise l'interview. N'y revenons plus, je vous prie.

 

Ensuite, le livre est accusé de donner une image « caricaturale » des schizophrènes, « celle de gens vraiment dérangés, qu’il faudrait peut-être enfermer, tous, sans distinction, tant ils agissent de manières particulièrement folles, voire meurtrières, en oubliant d’évoquer qu’on peut la guérir autrement qu’à l’aide de cellules capitonnées et de traitements chimiques lourds »... Ah. Nous n'avons pas dû lire les mêmes textes. Stéphane Gourjault voit des personnages fous à lier et à enfermer, je ne vois que la souffrance d'êtres désocialisés, et en quête éperdue d'unité. Mais passons. La subjectivité, tout ça. Quant à ce que nous aurions oublié d'évoquer... Ce cher Stéphane aurait dû mieux se renseigner (au fait, écrire n'importe quoi, est-ce déontologique ?). La schizophrénie, on ne la guérit pas vraiment. Certains cas parviennent à une évolution positive sans déficit (après au moins dix ans de traitement neuroleptique), mais l'évolution peut aussi mener à l'affaiblissement d'esprit, ou à la démence. On ne la guérit pas, donc, on la traite. Avec une médication lourde – principalement des antipsychotiques, et ce, pour une raison très simple : selon les hypothèses les plus communément admises, l'origine de la maladie serait neurobiologique (la principale hypothèse incrimine le système de neuromodulation dopaminergique, comme le rappellent les passages barbares de False Reversion). Ceci n'est pas une caricature, ou un fantasme, mais une dramatique réalité (ça y est, je pontifie !). Les psychothérapies individuelles, familiales ou sociales jouent un rôle essentiel aujourd'hui, mais seulement en complément du traitement pharmacologique. D'ailleurs, peu importe, puisqu'aucune des treize nouvelles ne prétend donner un aperçu, même infime, d'une thérapie, quelle qu'elle soit. Nos personnages agissent parfois comme des déments ? Certains sont même – en apparence du moins – des meurtriers ? Quelques uns se suicident ? Et alors ?!? Nous parlons de littérature, ou bien ?...

 

À l'évidence, le problème du billet d'opinion de Stéphane Gourjault n'est pas là. Interpréter n'est pas délirer. Il n'a tout simplement jamais été question d'écrire sur la schizophrénie, avec un cahier des charges (pouah !) représentatif des symptômes, des prises en charge ou des traitements. La littérature clinique est déjà suffisante (si Stéphane le souhaite, je peux lui fournir une bibliographie abondante...). Si soit dit en passant, j'avais malgré tout voulu réunir des textes sur le sujet, j'aurais dû exclure d'emblée plusieurs des nouvelles au sommaire : Sextuor pour solo de Francis Berthelot se situe du côté des troubles dissociatifs de l'identité, Née du givre de Mélanie Fazi est une variation sur le double, M.I.T. de Philippe Curval évolue entre transmigration des âmes et personnalités multiples, le narrateur d'Effondrement des colonies souffre à mon avis d'une forme particulière d'autisme, Connect I Cut s'intéresse explicitement – il cite ses sources, à savoir le cas Joey de La Forteresse vide de Bruno Bettelheim – à l'autisme infantile, etc. Non, vraiment, c'est grotesque.

 

denrée, dinde, stéphane gourjaultBref, rien ne laissait penser – je n'ai commis aucune préface lénifiante, et le texte de quatrième de couverture parle non pas de nouvelles sur la schizophrénie, mais bien de nouvelles schizophréniques – à un pensum didactique, ou même à de simples prétentions pédagogiques. Il n'a jamais été question de délivrer le moindre « message », cette stupide tarte à la crème de la critique du dimanche. Encore moins de prodiguer au lecteur Gourjault un « apprentissage de lecture » (sic) ou un « élargissement de sa vision de la littérature » (sic) ! Quelle étrange idée. Il s'agissait seulement, et avant tout, de restituer, par des procédés esthétiques, une certaine expérience. Déambuler avec les schizos, dans leur jardin, joindre notre regard au leur, pour reprendre une belle image employée tout à l'heure par un volté. Abandonner la distance clinique. Voir avec eux, et non les voir, eux. « Le lecteur a plutôt l’impression d’avoir été placé sur le seuil d’un univers flou et lointain qu’il n’a pas envie de franchir. » écrit Stéphane Gourjault. Sans le savoir, notre top critique a touché du doigt l'essence même de cette anthologie. Ne s'est-il donc pas interrogé sur le sens du titre du livre, et sur celui de la phrase de Francis Berthelot citée en couverture ?... Le Jardin schizologique est une « invitation au passage », selon les mots du mystérieux volté. Un passage en effet, celui d'une rive – celle où évoluent les bien portants – à l'autre – celle, floue et lointaine (du moins tant qu'on se tient à distance), des schizos. Refuser ce geste, se détourner de leur univers parce qu'il est trop hermétique, et se contenter d'attendre qu'ils s'invitent dans le vôtre, bien consensuel, c'est, à jamais, et sciemment, rester un étranger.


 

 

Commentaires

  • Il a raison sur un point le chroniqueur d'Actusf, il y a un manque de déontologie. Que votre récit soit bon ou pas (pas lu désolé), même s'il a été "validé" par une autre personne, la question ne se pose même pas : on ne se publie pas dans une antho que l'on dirige, même sous pseudo, ça fait tache. Mais en même temps sa façon de le dire est un poil mesquine.

    Quant au reste, cette réaction est puérile, même si je suis d'accord avec vous sur le fond, et j'en profite pour rejoindre le camp de la puérilité : on ne peut que stigmatiser la faiblesse chronique des chroniques de Stéphane Gourjault, douteuses au niveau du contenu et de la simple compréhension d'un texte, et bien souvent enrobées de mauvaise foi et de copinage.

  • Si le texte est bon, que l'éditeur le valide, ou est le problème? En quoi l'argument "ça ne se fait pas" est-il autre autre chose qu'une forme de pharisianisme, au sens propre de ne pas faire ou faire quelque chose par simple convenance? Je vais aggraver les choses - non sans humour (hahaha vous allez rire) : guérir quelqu'un le jour du sabbat ou manger les pains de proposition, "ça ne se fait pas". Je ne veux pas dire que le Christ aux Oliviers Noël, mais qu'au-delà des apparences, il y a peut-être une nécessite qui conduit l'anthologie a retenir son propre texte et l'éditeur a l'accepter, qui dépasse la seule vanité, va au-delà des convenances et de l'apparence d'élégance. En disant ce que vous dites, vous remettez aussi en cause non seulement l'anthologiste mais l'éditeur et très précisément la Volte est ne d'un coup de cœur (d'Echenay pour Damasio), et il en va ainsi de tout ce qu'elle publie, libre totalement. Histoire d'amour, d'amitié (vous avez 3 heures pour établir la différence entre ces deux notions, les dictionnaires sont autorises, surtout ceux de rimes :) ), Amitié donc et pas copinage (je sais que vous n'avez employé ce mot que pour le chroniqueur). Mais evidemment, vous n'etes pas censes le savoir, d'où le malentendu, et d'ailleurs, bien que minoritairement, il y a un peu de vrai dans votre reproche, mais un peu seulement, la n'est pas l'essentiel. La nouvelle de Thomas Becker devait être la pour tout un tas de raisons qui tiennent autant a l'histoire de La Volte qu'à son exigence littéraire.

    Oui, non seulement j'ai écrit dans le Jardin Schizo, et oui je défends le travail d'un ami. mais... relire ci- dessus...

    Bon voilà quoi... :)))

  • Dissertez les amis, thèse et antithèse...mais vous ne le saurez jamais
    et heureusement pour vous, vous ne connaitrez jamais la douleur d'avoir un proche souffrant du syndrome de la schizophrénie.
    et passe encore pour les parents, vous oubliez la détresse profonde du malade.

    A souhaiter à personne....

  • On est bien d'accord, mais comme l'a dit Olivier, ce n'est pas le sujet, on parle de littérature, pas de médecine... Cela-dit avec tout le respect pour les malades. Soit-dit en passant, il ya toutefois des gens ayant écrit dans l'anthologie, qui ne se sont pas exprimés ici ou sur FB, qui connaissent profondément dans leur chair le drame de la souffrance psychique.

  • Denis, ma réaction est peut-être puérile (parfois, la régression a du bon), mais elle a été rédigée dans la bonne humeur. Tant que les critiques se bornaient à déclarer certains textes illisibles, sans autre forme de procès, je m'en fichais, et même, je m'en réjouissais (encore une réaction puérile, je n'en disconviens pas !), parce que ça pouvait être interprété de deux manières : ou nos nouvelles sont effectivement illisibles, ou c'est juste le chroniqueur qui n'a rien panné, perspective qui m'enchante au plus haut point. Stéphane Gourjault, en revanche, justifie son incompréhension par un argument idiot, et aux antipodes de ma propre conception de la littérature (ce serait au texte d'assurer l'éducation littéraire de monsieur Gourjault !). Et puis, cette façon d'écrire "le lecteur" alors qu'il ne s'agit jamais que du "lecteur Gourjault" (qu'il sache que certains autres lecteurs ont plus qu'apprécié les nouvelles qualifiées d'illisibles ou d'inintéressantes) m'agace prodigieusement.

    Mamounette, aucun de mes proches, en effet, ne souffre de schizophrénie. Mais certains d'entre eux, comme l'a dit Hugues, n'en souffrent pas moins. Être confronté à la détresse d'un malade, à son soudain autisme, voir son ami(e) abrutie de médicaments au points de ressembler à un zombie, marcher comme un rêve dans un couloir peuplé de spectres aux yeux où ne perce aucune lueur, je connais, merci. Certains personnages de ma nouvelle sont inspirés par ces proches. Mais comme Hugues vous l'a rappelé, bien que nous ayons une conscience aiguë du drame familial, individuel et social, ce livre n'a jamais eu l'ambition, bien au contraire, de dépeindre la réalité clinique. Comme le disait le volté mystérieux évoqué dans mon article, il n'y a pas de place pour la clinique dans le jardin que nous avons ouvert, et qui est une invite à déambuler aux côtés de nos personnages, à voir le monde avec leurs yeux. Et ce monde, tiens-je à ajouter, n'est pas que souffrance et incohérence. Il est différent. Et terrifiant. Les écrits de Binswanger, et en particulier le Cas Suzanne Urban, ont été décisifs pour moi : il fut parmi les premiers, avec Minkowski, à tenter une approche phénoménologique, à ne plus appréhender le malade selon les seules manifestations de la maladie, mais aussi et surtout en tentant de comprendre son monde intérieur. Mais lui étant encore dans une perspective clinique et thérapeuthique. Nous sommes des écrivains de fiction, nos perspectives sont esthétiques. Ces précisions, chère Mamounette, pour vous assurer de tout notre respect pour les malades, et pour leurs proches.

  • Merci pour vos réponses. J'ai bien compris . La poésie, la fiction, l'art en général peut être d'un grand soutien lorsque l'on tombe dans l'abime des graves maladies psychiatriques. Promis, j'irai me promener dans vos jardins....

    Il s'appelle Jules, il a 23 ans, il est tombé malade à 18 ans. C'est l'aîné des mes 4 enfants. Il est beau comme un coeur et c'est le type le plus courageux que je connaisse.

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