« Disparues les promesse
D’un corps adolescent,
Nous entrons en vieillesse
Où rien ne nous attend »
Depuis hier soir, vous pouvez lire sur le Ring mon texte consacré au magnifique roman de Michel Houellebecq, La possibilité d’une île. Beaucoup de choses ont déjà été dites et écrites à son propos, et nous devons bien reconnaître que si la critique mainstream s’est montrée à son encontre aussi impuissante qu’à son habitude (certains, comme Angelo Rinaldi ou Christophe Kantcheff, se sont même proprement ridiculisés), quelques lecteurs avisés en revanche, au nombre desquels Alina Reyes, ont su exprimer avec talent combien l’auteur d’Extension du domaine de la lutte et des Particules élémentaires est un écrivain majeur de notre temps. Son Verbe impeccable n’est pas une épée flamboyante, mais une multitude d’aiguilles acérées, les unes empoisonnées, les autres euphorisantes, qui touchent droit au cœur. Au final, La possibilité d’une île, plus drôle, plus émouvant, beau à en pleurer, surclasse aisément ses adversaires, et s’il ne devait rester qu’un seul roman de l’année passée, sans doute serait-il celui-là.
« Je le sais maintenant : jusqu’à ma mort je resterai un tout petit enfant abandonné, hurlant de peur et de froid, affamé de caresses. »
M. Houellebecq, Mourir
Commentaires
Oui Transhumain vous avez trouvé la juste formule : la fin de ce roman est d'une "beauté stupéfiante". Les surréalistes avaient inventé la beauté convulsive, Houellebecq inaugure l'ère de la beauté stupéfiante, si stupéfiante que beaucoup ne la voient pas.
Je suis heureuse de lire votre article qui me replonge dans ce texte hors du commun. Quelle extraordinaire force mentale il faut mobiliser pour parvenir à un tel résultat. Cet homme, l'auteur, a vécu "le chaos", il aurait pu se contenter de nous le restituer, ce qui eût été déjà énorme, mais il est allé au-delà, de cet univers sans Dieu il s'est fait le Dieu en séparant les éléments et en les agençant jusqu'à l'épure, cet homme a vécu "une histoire de fous" (je me permets de reprendre entre guillemets les termes qu'il a lui-même employés lors d'une conversation) et en a fait un texte de prophète débarrassé de toute scorie, verbe nettoyé jusqu'à l'os.
Bien évidemment l'auteur que je suis y voit le travail d'un maître, mais il se pourrait que j'aie vécu aussi le chaos et une histoire de fous, il se peut que tout lecteur les ait vécus ou les vive, et qu'il puisse alors trouver dans ce texte un passeport de survie. Non en se projetant, par une lecture au pied de la lettre, dans un avenir sans avenir comme celui du livre, mais en ressentant la volonté surhumaine d'en sortir qu'est ce long poème, un dépassement de Schopenhauer et même de Nietzsche, en ce sens qu'il n'est pas affirmation stérile d'une surhumanité mais démonstration de sa puissance.
Je vois que la photo de Sur le ring a changé depuis hier, d'un visage noir et blanc magnifique et tendu nous sommes passés à Michel et son chien, et songeant que vous me disiez avoir pensé à parler du rôle pshychopompe de cet animal, je me dis que s'il n'y a ni Paradis ni Enfer dans ce livre mais comme vous le notez seulement la mort, c'est bien de cet enfer préchrétien que revient l'auteur, d'un royaume des morts plus primitif même que celui des plus anciens Grecs, d'un chaos des esprits malfaisants tel que durent le connaître les tout premiers hommes - oui, il a dû traverser toutes ces sortes d'enfers avant de ré-émerger à la lumière si belle et si poignante en effet qui baigne la fin du livre.
(J'apprécie aussi votre allusion au Robinson de Tournier, intéressant parcours de notre temps entre ces deux oeuvres)
Bravo Olivier,
Quel beau texte, encore ! La possibilité d'une île n'est à mon sens pas exempt de certains défauts formels, mais il plane largement au-dessus du reste de la production francophone actuelle. Par ailleurs, j'ai découvert *mourir* il y a quelques semaines grâce à un lien d'Alina et tout, je crois, s'est éclairé d'une lumière nouvelle.
C'est vrai Alina, la beauté du livre, sa poésie, n'ont pas été suffisamment signalées. L'auteur y est sans doute pour beaucoup, brouillant les pistes, suscitant d'abord de violentes réactions de rejet - je pense à ces passages, d'une misanthropie effarante, où Daniel paraît mépriser son fils défunt, et où, plus généralement, il semble vouer une haine inouïe envers les enfants et la jeunesse, ainsi qu'à ceux, farouchement misogynes, où la femme est un bout de gras autour du vagin -, mais la suite nous révèle un personnage infiniment plus complexe, que malgré nous peut-être, nous comprenons intimement, et qui est plus capable d'amour que tous ses contempteurs. Vous dites fort bien, par ailleurs, ce que je n'ai osé formuler explicitement dans mon texte : cette île du titre, c'est le roman lui-même, c'est la poésie, c'est la littérature.
J'ai aussi de bonnes raisons de croire que les critiques et nombre de lecteurs ont été aveuglés par l'image médiatique de Houellebecq. Difficile de leur en vouloir : il est quasiment impossible dans un tel contexte de s'abstraire du bruit, de demeurer vierge de puissants préjugés (y compris pour ses plus fervents admirateurs : lentement le mème du doute s'installe). Il me semble cependant qu'en dépit de ses défauts son oeuvre survivra, à terme, au bordel ambiant.
Fabrice, tu as raison : "Mourir", ce texte en ligne que j'invite mes lecteurs à découvrir de ce pas, "éclaire d'une lumière nouvelle" non seulement l'oeuvre et son auteur, mais aussi, tout simplement, quelque zone ombrageuse de notre temps.
Merci à vous deux.
Trouver l'île dans l'oeuvre mais aussi, c'est possible, dans la vie.
C'est un livre qui ne vous tombe pas des mains. J'ai souvent éclaté de rire sans me départir d'un sentiment général de tristesse pendant ma lecture. C'est bizarre d'éprouver un tel sentiment de compassion pour l'auteur d'un roman.
J'avais éprouvé la même chose lorsque j'ai lu son premier livre, "Extension..", moins avec les deux autres que j'ai trouvés parfois un peu lourdement démonstratifs.
PS : Merci pour A noir E Blanc
Exactement : on rit beaucoup, et la tristesse ne nous quitte plus. Je vous trouve un peu dur avec Les particules, mais vous n'avez sans doute pas tort. Et bravo pour vos sites.
J'estimais la littérature exempte des critiques extasiées des galeristes devant un monochrome quelconque, et je me trompais.
Loin d'un accès de pudibonderie, je clame haut et fort que La possibilité d'une île est une gangrène littéraire dont l'infection dépasse de loin les limites de mon ouverture culturelle. C'est un objet pestilentiel, que l'on jette loin de soi, et qui laisse sur les mains un filet de foutre égocentrique et autosatisfait que je croyais enterré avec le nouveau millénaire. Je m'autorisais judicieusement à l'époque de Extension à penser que Houellebecq était un mauvais romancier de gare frustré par sa sexualité déclinante ; je pense désormais que sa frustration a empli tout son être d'une crudité qui s'apparente plus au besoin primitif qu'à la réelle jouissance : l'orgasme est en celà paradoxal qu'il signifie l'acmé et la mort de l'acte sexuel.
Que Houellebecq nous délivre de ses transcription de rêves érotiques, c'est d'une facilité déconcertante. En revanche, jamais je n'ai été plus transporté d'amour, de bien-être et d'excitation sexuelle qu'à la lecture d'une page de Chateaubriand (me semble-t-il): page blanche, au centre de laquelle figuraient ces quelques mots
"Ici, Chactas et Atala s'aimèrent."
La subtilité épurée (et là le mot est pertinent) face à la crudité grossière et dépouillée.
Mozart et Salieri...
Tu n'y es pas du tout, Marco. Le sexe, et même : le sexe au 21e siècle, est au coeur - si je puis dire - de la littérature de Houellebecq. Il y a donc naturellement toute sa place, et précisément La possibilité... évite la complaisance un peu lassante de Plateforme. Ta comparaison, qui ne fait que répéter un débat stérile et vieux comme l'art d'écrire (suggérer ou décrire), est évidemment irrecevable. Houellebecq décrivant une fellation, ne dit pas du tout la même chose que Chateaubriand dans la phrase citée, et de la même façon Bataille dans son Histoire de l'oeil aurait rejoint la collection Harlequin si, en lieu et place de la lyrique introduction d'un oeil arraché dans un vagin, il avait simplement écrit : "ils s'aimèrent comme seuls des démons peuvent s'aimer"... Enfin, si tu as lu le livre, ce dont je doute, comment peux-tu parler d'autosatisfaction ? N'as-tu pas lu mon article ?
Mais ton commentaire, plus amusant que pertinent, me rappelle les facéties d'un écrivain qui, je le sais, t'impressionne autant que moi : Jorge Luis Borges. Car au fond, ton absolu littéraire, ou du moins celui que tu laisses deviner ici, ne trouverait sa réalisation que dans l'expression d'un mot unique, total, qui contiendrait l'univers. Bien sûr, tel Signe nous serait interdit, à moins de s'en tenir à son fameux UNDR, qui relèguerait virtuellement, mais virtuellement seulement, toutes les merveilles de la littérature au rang de cellules cancéreuses...
Mais... ne pestais-tu pas, ce matin encore (à propos de la "revue du cinéma") contre les prétentieux ayatollahs de la "pureté" littéraire ?... Ah !
Bonjour,
je vous félicite pour votre article sur l'ouvrage de Houellebecq, et plus généralement pour votre blog, que je connais un peu, et que Juan Asensio avait eu l'amabilité de m'indiquer, ne serait-ce que pour y lire des analyses sur Abellio, dont j'avais beaucoup aimé La Fosse de Babel...
Sur La Possibilité d'une île, il restera sans doute bien des choses à dire, notamment sur les dernières dizaines de pages, que je mettrai volontiers en parallèle avec Surface de la Planète de Daniel Drode, par exemple. Je crois que Houellebecq reprend, sciemment ou non, le thème qu'avait exploré Drode il y a un demi-siècle, mais avec une force supérieure à la tentative de Drode de concilier la science-fiction de veine post-cataclysmique et les innovations langagières du Nouveau Roman...
Attendant de vous lire sur Grande Jonction,
Cordialement,
Systar