« Looking up into the night sky is looking into infinity - distance is incomprehensible and therefore meaningless. »
Douglas Adams, H2G2.
« La littérature, ce sont des morts qui parlent à des gens pas encore nés, et qui en retour les entendent. »
Maurice G. Dantec, « De “Théâtre des opérations III” » in Bordel numéro trois.
A quelques jours du déferlement annuel de nouveaux romans, et en particulier des dernières œuvres de Michel Houellebecq (La Possibilité d’une île) et de Maurice G. Dantec (Cosmos Incorporated), la « Critique », ou ce qui en reste, se montre déjà à la (faible) hauteur de sa triste réputation. Je m’en tiendrai à deux exemples frappants.
Dans un dossier des Inrockuptibles n°507 du 17 août 2005 consacré à la rentrée littéraire 2005, nous pouvons lire cette notule, à propos de Cosmos Incorporated (que je n’ai pas encore lu) : « S’ennuierait-on à Montréal ? C’est la seule vraie question que pose au fond l’abondante production (de pages !) de Maurice G. Dantec. [...] Avant, donc, les sacro-saints journaux, un épais roman, plus SF que jamais, truffé de “Interface de Contrôle”, de “Genèse de la Technique”, de “Police universelle”, et autre “Océan-matrice”. On a bien tenté de le lire, mais impossible de dépasser les vingt premières pages, incompréhensibles. » En quelques lignes d’une évidente mauvaise foi et d’une affligeante bêtise, le ou la journaliste – les articles n’étant pas signés, je vous donne la liste des rédacteurs, complices ou coupables : Sylvain Bourmeau, Nelly Kaprièlan, Fabrice Gabriel, Raphaëlle Leyris, Bruno Juffin et Judith Steiner – réussit le tour de force d’aligner poncifs, lieux communs et jugements à l’emporte-pièce, et à proclamer haut et fort sa propre indigence intellectuelle – il ne suffit pas de qualifier un guide de « subjectif » pour s’autoriser les plus navrantes idioties. Si l’on en juge par la ridicule grandiloquence dont les Inrockuptibles entourent depuis des semaines la parution de la dernière rafale de « l’ouragan Houellebecq » (sic), à grands renforts de numéros spéciaux, de DVD et de panégyriques en tous genres, on comprend mal comment un auteur aussi rare, aussi important que Maurice G. Dantec, jadis par eux admiré, puisse être désormais traité comme un vulgaire écrivaillon de fanzine – mais certain nain de jardin, répondant au nom d’Arnaud Viviant, nous avait déjà gratifié en des termes similaires de sa pensée homérique-simpsonique à l’occasion de la sortie du monumental Villa Vortex. Ainsi, entre autres défauts, les romans de Dantec seraient trop gros, trop inventifs, trop SF... L’âne qui a lâché cette bouse immortelle ne s’est vraisemblablement pas rendu compte qu’il reprochait tout simplement à Cosmos Incorporated d’être, quasiment seul contre tous, un roman ambitieux, comme le sont aussi, on le devine, Lunar Park de Bret Easton Ellis, et La Possibilité d’une île. Attendons plutôt les commentaires imminents, sans nul doute autrement plus consistants (et, lâchons le mot, intelligents) du Stalker Juan Asensio. Je crains fort en revanche le déluge de notes velléitaires, arrogantes, hargneuses, vociférantes, ou simplement vaines, mal écrites, en un mot inutiles, que des centaines de blogueurs, attirés par l’odeur, éjaculeront péniblement dans les prochains jours. Laissons le troupeau bêler.
Le charlot Angelo Rinaldi, l’assommant directeur grabadémicien du Figaro littéraire, nous fournit généreusement un second exemple, non moins éloquent, de l’incompétence pathologique d’une certaine Critique française. Dans son article intitulé « Un Houellebecq tombé du camion » daté du 18 août 2005, après s’être longuement répandu sur les « ravages » du « bookcrossing » (qu’il transforme d’ailleurs en « crossbooking », ce qui n’a strictement aucune importance puisque nous ne croyons pas un seul instant à son histoire d’exemplaire trouvé dans un square) dans un style que ne désavoueraient pas mes voisins devisant des aléas météorologiques, ce sénescent membre « de l’Académie française », cet épigone sans talent des kouglofs ensuqués du « Masque et la plume », confesse à son tour – extrait pourtant limpide à l’appui – sa déficience intellectuelle aiguë et prématurée (le bougre n’a que 65 ans) : La Possibilité d’une île (que je n’ai pas lu), écrit-il entre les lignes, est trop moderne pour un pauvre cerveau ratatiné comme le sien, déjà né, déjà mort. C’est que voyez-vous, Michel Houellebecq a le mauvais goût non seulement de mêler « informatique, génétique, clonage, collagène, ADN, “radicaux libres”, qui ne sont pas un nouveau parti politique, s’ajoutant aux “protéines et phospholipides complexes impliqués dans le fonctionnement cellulaire” », c’est-à-dire ce qui constitue rien moins les enjeux majeurs du 21e siècle (l'homme modifié), mais de surcroît l’œuvre absconse de ce moderne impudent – qui ose glisser des phrases en anglais sans même les traduire, non mais franchement, où va-t-on ! – « relève de la science-fiction », insulte suprême, on s’en doute, pour le mort-vivant de l’Académie française comme pour la grue inrockuptible. « Or, [ajoute Rinaldi] le recours à la science-fiction, c'est déjà un signe de faillite chez un romancier. Pas du tout l'accès à une liberté d'imagination plus grande que l'on suppose puisqu'il est plus facile d'imposer l'arbitraire que d'obtenir du fantastique à partir de l'observation de la psychologie humaine. Laquelle est pourtant inépuisable. » Notez l’utilisation du « recours » à la science-fiction – qu’il ne connaît sans doute que par ouï-dire – ; comme si celle-ci, que l’imbécile est incapable de définir et confond allègrement avec le fantastique, était de nature thérapeutique ou stupéfiante, comme si la science-fiction ne pouvait exister en elle-même, en tant que littérature prospective – speculative fiction, écrivait Ballard. La sénilité en revanche, est indubitablement signe de faillite chez un critique. Celui-ci, du moins, auteur des inénarrables amours clandestines corses de La Maison des Atlantes, serait bien avisé – je le lui ai d’ailleurs signifié dans un message auquel il ne répondra bien sûr jamais – de (re)lire la fameuse préface de Victor Hugo à Cromwell (merci à G. Bormand pour la référence et le lien), dans laquelle le poète met son époque en garde contre les fanatiques défenseurs d’une langue classique et figée : « Il en est des idiomes humains comme de tout. Chaque siècle y apporte et en emporte quelque chose. Qu'y faire ? Cela est fatal. C'est donc en vain que l'on voudrait pétrifier la mobile physionomie de notre idiome sous une forme donnée. C'est en vain que nos Josué littéraires crient à la langue de s'arrêter ; les langues ni le soleil ne s'arrêtent plus. Le jour où elles se fixent, c'est qu'elles meurent. – Voilà pourquoi le français de certaine école contemporaine est une langue morte. » Et voilà pourquoi Angelo Rinaldi, définitivement englué dans une littérature poussiéreuse et indifférente comme lui au sort des hommes, est un zombie que rien ne distingue des morts de Land of the Dead – quoique ces derniers, eux, deviennent de plus en plus intelligents... Peu importe, de son étriqué point de vue, que les grands livres de l’époque « relèvent » plus ou moins de la science-fiction. Levant les yeux vers le ciel nocturne, impuissant à imaginer l’Autre, il plonge son regard myope vers l’infini et décide, à ses dimensions incompréhensibles, que celui-ci n’a aucun sens. « La guerre excuse tous les comportements humains, y compris ceux des vieux. », écrit Philip K. Dick dans En attendant l’année-dernière. Nous ne sommes pas en guerre, Angelo…
Commentaires
Bonjour,
Le travail que vous faites (en tandem quelquefois avec vos amis compétents de la colonne de droite) est un travail d'utilité publique dont vous ne pouvez pas soupçonner la portée - notamment sur les romans de la rentrée littéraire 2013. Et c'est très bien comme ça. Tenez bon, et merci. Et merci d'avoir mis mon site dans vos liens.
Amicalement.
Heidegger prophétisait justement, il me semble, que les notions de guerre et de paix devenaient caduques : "La guerre est devenue une variété de l'usure de l'étant, et celle-ci se continue en temps de paix".
Question d'usure plus que de vieillesse. Usure générale du peuple dominant (peut-être pas pour très longtemps !) des planqués... On n'ose parler de la "Critique" qu'avec, comme vous, des gants de caoutchouc en forme de guillemets. Ah, Rinaldi faisant appel à la "psychologie" ! En arrière, toute !
Parasites de la littérature, ceux qui crient au génie, et plus encore ceux qui crient à la nullité de Dantec ou de Houellebecq, mentent dans le seul but de s'insérer dans leur succès. Je sais grâce à tous ceux qui vont au front, eux et d'autres dans leurs livres, vous et d'autres ici sur internet.
Cher Transhumain,
Je voulais simplement citer votre note mais non me retrouver en trackback, ce qui m'a toujours semblé empiéter sur le texte d'autrui. Mais la finesse informatique me fait manifestement défaut : n'hésitez donc pas à retirer cette intrusion !
La parole de l'étant, incommensurable, ou bien définitivement abolie, dans le trou noir des ravages, à jamais tue, latente (j'allais dire cornichon étrusque...) envolée dans les fumées noires de l'inoui XXe (arrondissement), tuée par le cloporte. Je vous aime transhumain, comme dirait Célan dans son beau livre que j'ai perdu à la piscine.
La chose dite, parole de Cro-Magnan, réalisée à sa pleine mesure dans le Livre (chère à Agatha Christie, qu'on peut retrouver dans la dernière livraison de l'excellente revue de mon ami Marcel Bouquillart, Editions Concierges et Lusitanisme) loin des limites des antilopes, pardon, des cafards Onfray, et autres nabots du même acabite (on me pardonnera ce trait Brorrrrien, quasi Aboulafien même...) complices du nihilisme de notre pauvre France, repliée dans un héxagone, loin des traductions de mon oeuvre, pas encore faite, partout jamais. (qui refusera d'y voir un signe?...)
Mais c'en est trop pour la majorité de nos bloguers "modernes", de notre vitrine déca-médiatiques, de notre civilisation du tout "par-terre", sans perspective transversale, objective, tout ne se vaut pas. Credo (hehe...)
Cordialos.
"Très belle charge, hargneuse à souhait, chez le Transhumain, contre les palinodies critiques"
Je m'associe entierement au propos de Ludovic Maubreuil, accablé que je suis de l'indigence de la critique litteraire au "pays de Voltaire"
"Accablé que je suis de l'indigence de la critique litteraire au "pays de Voltaire"
Les autres pays c'est pire, alors... Le plus rigolo c'est ceux qui râlent mais ne font rien. Il y a nombre de revues littéraires indépendantes de critiques au pays de Voltaire. Pourquoi voulez-vous que les journaux des Dassault, Lagardère, Rothshild etc fournissent des papiers intelligents ? Le Monde des Livres pendant que vous y êtes ? lol
Les bons journalistes ne sont pas au Figaro mon cher Transhumain. Vous faites peine à vous battre contre des squelettes... Le combat est gagné d'avance, c'est facile, gratifiant. Vous pensez "dénoncez". Mais tout le monde est déjà convaincu depuis longtemps. Enfoncer des portes ouvertes ça s'appelle.
BLA BLA BLA
Caca Boudin, ce n'est pas parce que tout le monde (mais est-ce si sûr ?) voit que le monde est pourri qu'il ne faut plus le dénoncer. Au contraire, c'est un travail ingrat mais qu'il faut mener inlassablement. Le Transhumain aussi bien que Ludovic prouvent assez qu'ils s'emploient à autre chose qu'à défoncer des portes ouvertes. Cependant il faut aussi passer par là. Ce n'est pas parce que des revues littéraires lues par une toute petite élite font un travail sérieux qu'il faut se détourner dédaigneusement de ce qui tente d'imposer sa loi à grande échelle, et a en effet un pouvoir de nuisance non négligeable.
Tiens Alina, ce ton est inhabituel sous votre plume, fût-elle électronique. Avez-vous décidé de libérer quelque violence roborative ?
Non, non et non : il n'est pas inutile de dénoncer, PARTOUT OU ELLE SE TROUVE, l'absolue médiocrité : c'est toujours l'argument du crétin qui n'en fiche pas une et donne aux autres des conseils de bas étiage. Les mauvais critiques existent partout : dans les quotidiens (mais il y en a tout de même quelques-uns de bon, heureusement) TOUT COMME dans les revues confidentielles, ce qui ne présume en rien de leur éventuelle qualité. Un exemple, de choix : la revue Conférence. Superbe. Avec des textes inédits de Anders, Hill, Zambrano, Saint Augustin et une foule d'autres du même acabit. Imbattable si on la compare à des productions voisines. 800 pages en moyenne sur papier bible, un véritable travail d'ofèvre je vous dis. Eh bien, déception. Car mettez alors en regard de ces noms quelques textes d'auteurs contemporains eux aussi publés dans Conférence, copains de Christophe Carraud (patron de la revue...), textes d'une absolue nullité de style comme de fond.
Merde aux généralisations, qui sont toujours la peau de banane que les ânes glissent sous les pieds de celui qui n'a pas peur de dénoncer le caca, fût-il encordé en boudin sous la plume désastreuse d'Assouline (qui, de nouveau, a supprimé mes commentaires sur sa note concernant Pogrom...).
Je l'ai dit plusieurs fois et le répète donc : le Transhumain est l'un des très rares, peut-être même le seul dont l'avis, dans le domaine de la critique électronique si je puis dire, m'importe MEME SI, presque toujours, nos conclusions sur des livres lus sont radicalement différentes (cf. ce que nous disions respectivement sur le petit bouquin de G. Steiner consacré à l'Europe, voir même ce que nous écrivions justement de Pogrom, etc.).
La paix les nains.
Puisque c'est si facile :allez donc lire Assouline, l'anonyme au moins doué d'un bon sens du pseudo et dénoncer sa prose d'invertébré car, ici comme ailleurs, le respect du lecteur se goûte et se jauge au respect de l'écriture et de la réflexion que propose un auteur.
Ludovic, le "trackback ne me gêne pas, et s'il permet à quelques uns de dériver sur votre nouvelle cinématique, j'en serais pleinement satisfait.
Alina, Emmanuel, Juan, merci pour votre soutien. Je ne répondrai évidemment pas à l'étron de service dont le champ de vision, obstrué par quelque dépôt fécal, ne lui permet sans doute pas d'accéder aux colonnes de liens - je ne le censurerai pas non plus : je ne voudrais surtout pas imiter Assou(p)line...
Un ton de violence inhabituel sous ma plume ? Cher Juan, c'est que vous n'avez pas lu - mais ce n'est pas un reproche - tout ce que j'ai pu écrire ici ou là, dans des articles ou des livres et notamment sur les adeptes du caca précisément. Au moins je ne vous ai pas donné la nausée comme à tant de journalistes ou d'éditeurs avec certain de mes livres...
Mon meilleur sourire à vous tous, même à blablabla, il faut bien que stade anal se passe !
Cher Transhumain, pardon d'abuser un peu de votre convivialité, mais puisque j'ai commencé... je me rends compte que j'en ai trop dit ou pas assez. Le livre dont je parle, c'est "Poupée anale nationale" (sur lequel on peut lire ceci :
http://www.lire.fr/portrait.asp/idC=34505/idTC=5/idR=201/idG=
Comme il a été dit dans une revue, French literary review je crois, c'est en quelque sorte le portrait de "Marianne malade". Oh, ce n'est pas un chef-d'oeuvre, on est là dans un ouvrage de contre-culture, mais avec mes moyens j'ai lancé là une dénonciation violente de l'esprit fasciste comme aliénation mentale, régression anale et régression linguistique (voyez comment on écrit sur les blogs djeuns, la même langue conglomérée que dans mon livre, cela a beaucoup de sens).
Eh bien, c'est là où je rejoins votre sujet, Olivier, cette publication a fait l'objet des plus basses manoeuvres de la part de la critique (il ne leur suffit pas de ne pas comprendre, au fond ils comprennent et c'est justement pour ça qu'ils ne veulent absolument pas savoir de quoi il retourne - donc, en plus, ils manoeuvrent pour essayer de vous éliminer, n'est-ce pas ce qui est en train d'arriver à Dantec ?). L'ennui c'est que je disais dans la presse que cet esprit du fascisme n'était pas le seul fait du Front national (qui le mois même de la publication du livre pour la première fois emportait des sièges dans cinq conseils régionaux - grand émoi à l'époque mais sept ans après qui s'en émouvrait encore ?) mais une gangrène en train de se généraliser. Et bien sûr les premiers infectés, et infectés depuis longtemps et bien profondément, les "planqués" dont je parlais dans mon premier commentaire, ne pouvaient supporter cette saleté dans le miroir. Etre en place, c'est être cramponné au stade anal, à la rétention, je ne vais pas ressortir Heidegger mais enfin on peut lire comme ça son analyse sur se retenir dans le temps. Or c'est exactement ça la société française : chacun a sa place, France d'en haut, France d'en bas, etc. Par exemple, vous en voyez passer beaucoup, des écrivains, je veux dire de ceux qui publient des livres, laisser des commentaires sur des blogs ? Non n'est-ce pas, cela serait indigne d'eux, chacun à sa place et les vaches seront bien gardées. Pourtant on peut parler ici avec des gens d'une haute qualité intellectuelle, plus haute et mieux voyante que celle de certaines stars dont l'essentiel de la "pensée" est dans la posture. Quand je vivais, comme aujourd'hui Dantec à Montréal (et je comprends ce qu'il y cherche), où j'étais alors très connue, avec une chronique hebdomadaire dans Le Devoir et de temps en temps une contribution au magazine culturel Voir, eh bien les gens qui me reconnaissaient, chauffeur de taxi, marchande de chaussures, n'importe, m'adressaient la parole comme à n'importe qui (en me tutoyant) et trouvaient tout à fait normal que je leur réponde de la même façon. Bien, ce n'est qu'un exemple, mais il faut avoir un peu vécu à l'étranger pour se rendre compte de la rigidité de la société française effectivement, et des situations explosives qu'elle peut engendrer : en reviendrons-nous à guillotiner à grande échelle les "privilégiés" par incapacité à détendre les rapports sociaux, à faire jouer la démocratie avec un peu moins de raideur ?
Evidemment le mal n'est pas que français et il ne s'agit pas de s'autoflageller plus que tout autre peuple, mais il ne suffit pas de dire "c'est pareil ailleurs" pour n'avoir plus qu'à estimer que tout va bien comme ça - ni de critiquer sans prouver par son attitude personnelle que l'on refuse ce jeu-là.
Chère Alina, je n'ai pas lu votre roman (ni aucun autre, ce que je regrette de plus en plus) mais je comprend bien le sens de vos propos. Il faut être aveugle pour ne pas deviner que si ces auteurs (Houellebecq, Dantec, Bénier-Bürckel, et, donc, vous-même...) choquent les classes de l'ordre établi et font couler tant d'encre, ce n'est pas seulement par goût de la provocation mais bien parce que la violence - le sang - dont sont écrits leurs livres remet gravement en question cette stase qui les maintient en vie artificielle - en un mot, ils secouent, ils vivent de leur vie propre et, comme les cellules cancéreuses, menacent la nature machinique des structures sociales : c'est à ce titre qu'ils sont traqués sans pitié - mais aussi soutenus par d'autres, d'où l'usage, parfois usurpé sans doute (moi-même...) du mot "Résistance".
Ce lien que vous faites, dites-vous, dans votre livre entre l'esprit fasciste et cette "langue conglomérée" qu'emploient les "djeunz" sur des blogs et forums illisibles, n'est autre que la (ou plutôt "le", comme me l'a fait remarquer un jour le Stalker) Novlangue d'Orwell, une langue panoptique, utilitariste, expurgée de son âme, de sa substance. Une langue qui nie l'Autre et ne reconnaît qu'un Moi rabougri et desséché, une langue dont la contraction effrénée des mots efface littéralement l'univers polysémique, comme l'envers diabolique d'un roman de Philip K. Dick. Une langue qui, en dernière analyse, s'autodétruit et tue la pensée. Une langue-trou noir (anus ?)...
Vous avez sans doute écrit là quelque importante vérité sur la France actuelle. Rares en effet sont les auteurs pour qui la Toile est autre chose qu'une vulgaire vitrine derrière laquelle, à l'image cynique de ces pauvrettes d'Amsterdam ou de Bruxelles, ils se prostituent sans honte. Mais heureusement vous n'êtes pas seule Alina, et si bon nombre délaissent nos blogs et autres forums, il m'arrive quelquefois de recevoir des courriers aimables, modestes, amicaux, ou au contraire hostiles mais rarement méprisants, d'écrivains (et non des moindres) dont j'ai commenté l'oeuvre ici ou là. Je remarque d'ailleurs, et je finirai sur cette note piquante, que les plus courtois, les plus respectueux, émanent des auteurs sinon les plus célèbres (encore que), du moins les plus ambitieux - ceux, et ce n'est pas un hasard, que les "maljournlistes" prompts à la détente (façon Schwarzie dans Le Contrat) accusent d'être "confus" ou "prétentieux"...
Mais arrêtez un peu : Houellebecq ne choque personne, ce sont les méthodes publicitaires employées qui font couler de l'encre, et la vôtre entre autres. Ne vous laissez pas attraper aussi facilement par un système retors, qui mange par les deux bouts.
Dantec, c'est autre chose. Sa posture de "grand penseur" a dû irriter les petits seigneurs du Landerneau parisien, d'autant qu'il est incapable de la formuler (sa pensée) dans un langage simple et cohérent. "Villa Vortex", contrairement peut-être à "Cosmos incorporated", était foncièrement illisible, non pas à la manière d'un "Finnegans Wake" mais d'un annuaire du Rhône. Je dis "contrairement à", parce que le peu que j'ai pu lire de son dernier m'a paru à la fois mieux écrit et plus compréhensible.
Mais leurs livres sont partout, étalés au grand jour, et recensés dans la plupart des journaux parisiens. Mauvaise critiques peut-être, mais vont-ils franchement s'en plaindre (il y a toute une posture du génie incompris) ?
L'important, Newbie, le comprendrez-vous jamais, n'a strictement rien à voir avec les chiffres de vente, ni même avec le dandysme des auteurs. L'important, c'est que ce monde d'idées et de formes nés par le roman qui alimentent en quelque sorte la "Noosphère" qui délimite le territoire des vivants de celui des morts (des Machines), soit transmis, interprété, transformé. Marc Lévy, parce qu'il réduit le monde au lieu de le créer, parce qu'il le machinise, ne choque personne en dépit de ventes exceptionnelles...
Il suffit de toucher deux mots des prophéties de la science-fiction à n'importe quel membre de votre entourage, pour vous rendre compte qu'ils sont aveugles, qu'ils ne sont pas prêts à entendre la vérité. Houellebecq et Dantec, et d'autres, choquent en effet, et vous-même êtes profondément (et légitimement : tout le monde devrait l'être ; reste à en identifier la cause...) dérangé par ces prophéties.
Et cessez, de grâce, de qualifier d'"illisible" ce que vous ne comprenez pas. Votre "opinion" ne m'intéresse pas, qu'elle soit bonne ou mauvaise, en accord avec la mienne ou pas, pas plus que celle de votre voisin ou celle d'un sondage. Seuls m'importent vos arguments, vos enchaînements, vos idées, or je n'ai rien lu de tel.
Dénonçons, oui, dénonçons, le style amphigourique (qui masque le plus souvent une absence de style...) et les critiques creuses et répétitives. Quand les plats et pâles imitateurs de Léon Bloy tartinent, c'est marrant mais j'aurais presque envie de lire du Paul Bourget...
Je regrette mais illisible, le dernier Maurice Gustave Dantec l'est bien... Et au passage Finnegans Wake l'est également, mais dans une tout autre catégorie. On peut lire des passages à haute voix, et retrouver les jours de chance des sonorités gaélique des plus mélodieuses... Alors que le drogué prophétique éxilé (volontaire, quand même) au Canada, lui, est carrément illisible à donf dans son vortex, quoique bien involontairement. Mais c'est ça qu'est drôle. Donc c'est bien Dantec. Cool même.
Dantec c'est le type qui comprend rien à la science, mais qui doit lire Science et Vie Junior ou un truc dans le genre pour se documenter !
Ben oui, le marketing c'est pas terrible comme étude, pas vrai Maurice Gaston ? Alors quand on pige la science avec des illustrés de cet acabit, ça donne de la mauvaise SF, un peu frelatée sur les bords. Mais ce ne serait rien avec un style, je veux dire, des qualités littéraires.
Si on est aussi dépourvu de style, qu'on a même du mal à aligner une page qui se tient (soyons généreux, en cette Saint Joseph Calasanz...) c'est vraiment, vraiment dur...
Je n'ai évidemment pas parlé de chiffres de vente mais de visibilité, d'accès aux médias, de possibilité pour Dantec et Houellebecq d'étaler leur pensée au grand jour. Que tout le monde s'en foute, c'est un fait, mais ça ne changera jamais. La petite grappe des journalistes happy few qui traite de littérature ne pense qu'au crédit de sa maison en corse ou dans le lubéron, qu'à ses déjeuners chez Lipp ou au Flore, qu'à remplir avec application ses petits cahiers d'écoliers soit-disant adulte. Mais les livres existent - et bine largement en dehors d'eux -, sont là, chacun en fait ce qu'il veut.