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L'ultime tabou de Franca Maï

 

 

« Las, il restait une contingence purement humaine que je ne pouvais transcender, quel que fût le réconfort spirituel que l’on m’offrait, quelles que fussent les éternités lithophaniques qui m’attendaient, à savoir que rien ne pourrait faire oublier à ma Lolita le stupre infâme où je l’avais plongée. »
V. Nabokov, Lolita.

 

« Les tourments sont inutiles. Mais je ne peux m’empêcher de penser que je suis fautive. Je devais être là. Et je n’arrive pas à garder la saveur de son baiser. Notre dernier câlin. »
F. Maï, L’ultime tabou

 

Comme le suggère l’infatigable Marc Alpozzo dans « La parole étouffée » (est ainsi intitulée sa critique de L’ultime tabou prématurément publiée sur son blog ainsi que sur Bellaciao et, bien sûr, sur e-torpedo[1]), la littérature contemporaine – trop lâche, trop inodore, aussi creuse qu’un tronc pourri – « rechigne » à aborder la pédophilie sous un angle moins ambigu, plus frontal, que les suaves obsessions de Humbert Humbert pour la prépubère Dolly dans le roman de Nabokov – « comme si l’acte, écrit Alpozzo, ultime sacrilège, rendait la parole impossible, la douleur et la peine indicible » ou comme si, ajouterais-je, comme si la parole avait été confisquée, structuralement et totalement, à la fois ligaturée par les milices communautaires du politiquement correct, et phagocytée, voire mise à mort par l’armée, chaque jour plus puissante, des faussaires professionnels.

Le dernier audacieux à avoir brisé le tabou, Nicolas Jones-Gorlin, a cruellement subi les frais de la censure médiacratique avec son fameux Rose Bonbon qui adoptait le point de vue d’un pédophile – premier roman de l'ère post-Dutrou. La lecture de quelques passages choisis au hasard, en librairie, m’avaient rapidement convaincu de renoncer à l’acquisition d’un Rose Bonbon que je devinais pathétiquement nul : son humour noir et un style sous-nabokovien dégénéré, tout en calembours de mauvais goût, non seulement me semblaient maladroits, mais surtout paraissaient parfaitement incapables de transcender un sujet trop grave, trop complexe, trop douloureux aussi, pour le traiter avec une telle désinvolture – d’autant plus qu’aucun roman, si je ne me trompe, n’avait encore accordé la parole sinon aux victimes elles-mêmes, du moins à leurs proches : c’était un peu comme si la première fiction sur l’horreur des Camps, après-guerre, avait eu comme personnage et narrateur un nazi certes odieux mais attachant ; comme si ses actes pouvaient être psychologiquement justifiés… Autant dire que si j’aurais défendu sans condition son auteur contre toutes les tentatives de censure étatique ou médiatique, la littérature en sortait néanmoins avilie.

Le cas du roman fantastique de Louis Skorecki, paru également en 2002, est sensiblement différent. Il entrerait dans la légende (prix Sade 2003) évoque en 2323 séquences les viols et les meurtres de femmes de plus en plus jeunes, par un narrateur monstrueux, noir comme l’obscurité, serial killer de cauchemar, ogre sexuel tout droit sorti d’un conte de fée infernal, abîmé dans l’envers de l’amour fou. Ici, la naïveté d’un style scandé jusqu’à la nausée est grandement légitimé par l’espèce de candeur immorale du monstre. Même s’il n’arrive pas à la cheville du Georges Bataille d’Histoire de l’œil, même si son croquemitaine moderne n’est pas aussi significatif, loin s’en faut, que les tueurs emblématiques de Bret Easton Ellis (American Psycho) et Eric Bénier-Bürckel (Un prof bien sous tout rapport), Il entrerait dans la légende ne méritait en tout état de cause ni le harcèlement judiciaire, ni la conjuration critique dont il fut victime à l’instar de Rose Bonbon.

Les violeurs d’enfants, de Lolita à Il entrerait dans la légende, avaient donc leurs héros. Mais les victimes ?...

L’ultime tabou, le nouveau roman de Franca Maï (dédicacé à l’innocence dépossédée), vient donc combler cette intolérable lacune, en s’attaquant de front à cette abominable menace qui pèse, ne cesse-t-on de nous rappeler à longueur de faits divers, sur nos enfants. L’auteur, dont je ne connaissais pas l’œuvre, tente en effet courageusement de dire l’indicible – la souffrance d’une mère dont la fille a été violée, torturée puis assassinée par un psychopathe – avec une conviction morale inébranlable, sans ambiguïté, sans fioriture. Composé de chapitres très courts (une page ou deux, parfois un simple paragraphe), L’ultime tabou commence aussi brutalement que possible, après que les faits ont eu lieu : la gendarmerie apprend à Madame Alvy que sa fille a enfin été retrouvée – morte. Suit l’identification à la morgue, insupportable : « J’ai découvert alors la chair carbonisée par endroits, le visage méconnaissable défiguré par les coups, les cheveux ébène détachés enlaidis de plaques séchées de sang, la robe retroussée et une petite chaussure blanche résistant encore aux assauts fatidiques. Des vers luisants grouillaient dans les orbites, attaquant avec férocité des lambeaux de peau. Non, ce n’était pas ma fille !... ce corps en décomposition ne pouvait être elle. Je ne voulais pas de cette monstruosité » (p. 11). L’image de la petite Betty rongée par la vermine, la bouche emplie de terre, va hanter la mère. Après cette description très crue du cadavre de l’enfant, aussi brève qu’insoutenable, Franca Maï se refusera à toute complaisance supplémentaire. Par sa violence, par sa force d’évocation, ce passage traumatique est également gravé dans l’esprit du lecteur – à mesure que l’intrigue (ténue et, nous le verrons, trop « ficelée » comme on dirait d’un jambon), à mesure, donc, que l’intrigue progresse, le lecteur est lui aussi poursuivi par cette vision d’une horreur et d’une tristesse infinies – ce corps, ce visage absents qui seuls soutiennent un roman par ailleurs abandonné par le souffle.

Le voisin de madame Alvy, monsieur Bernard, est alors arrêté, suscitant bientôt la haine d’habitants rendus hystériques par la monstruosité du crime – Franca Maï rend bien compte, avec une étonnante économie de moyens, de l’animosité barbare dont la foule est capable dans certains circonstances... Cette arrestation ne lui est cependant d’aucun secours :

« Qui pourrait réveiller ma fille ?
« Lui enlever la terre de la bouche
« Coller ses dents cassées ?
« Recoudre son hymen ?
« Rapiécer les lambeaux de chair brûlée ?
« Qui pourrait me la rendre comme avant ? » (pp. 29-30)

L’inculpé est relâché. Il est innocent. Monsieur Bernard s’invite alors chez madame Alvy et entreprend de lui conter son histoire – quelques bribes par jour –, celle qui lui valut jadis d’être condamné. Il est un « pédophile abstinent », malade mais suffisamment conscient pour ne pas passer à l’acte. Ce qu’il a vécu, et qu’il vit encore intérieurement, comme une authentique et pure histoire d’amour – Franca Maï prend acte de l’existence de telles amours, fussent-elles immorales –, est toutefois dénoncé par madame Alvy comme une lâcheté coupable. Même s’il n’a jamais pénétré celle qu’il appelle Reine, monsieur Bernard a abusé de sa candeur, de ses émois de préadolescente en mal de séduction – « Mais vous êtes une ordure. La pire des ordures. Vous avez brisé une vie. » (p. 83). Ces dialogues entre le pédophile abstinent et la mère désespérée, s’ils révèlent une grande sensibilité et une finesse de jugement assez inattendue, sont hélas parfois aussi digestes que la transcription d’un café philo (voir les pages 60-61)… Dès que l'auteur s'éloigne de l'univers mental de son personnage, le récit s'embourbe dans les discours d'où la littérature, à son tour, est absente..

Madame Alvy, de son côté, reçoit des vidéos enregistrées par le tueur. Le roman voit alors alterner le récit de monsieur Bernard et le visionnage des cassettes par madame Alvy. La première montre Betty s’amuser à une petite fête – sa dernière fête, précisément celle qui coïncida avec sa disparition – ; la seconde la montre danser puis s’éclipser pour se diriger vers les toilettes... N’en dévoilons pas plus. Peu à peu la vérité se fait jour, abjecte, impensable. Un tel procédé emprunté au thriller aurait été profondément choquant – et ne manquera pas, j’en fais le pari, de faire bondir les garants du nouvel ordre moral – si Franca Maï, concédons-le, n’avait toujours observé une pudeur exemplaire. Certes, à chaque nouveau visionnage, l’auteur crée un suspense qui nous fait entrevoir les portes de l’abjection littéraire, mais cette technique douteuse est systématiquement désamorcée – jusqu’à la vengeance finale, étouffée avant même d’avoir pu se concevoir nettement –, comme pour mieux identifier, dénoncer et enfin exorciser nos pulsions malsaines de voyeurs drapés dans nos certitudes morales. Ainsi lorsque madame Alvy visionne l’enregistrement du supplice de sa fille, elle nous écrit la seule phrase acceptable : « Je ne raconterai rien » (p. 73).

Entreprise des plus vaines en vérité – et des plus blessantes. Sans doute aurait-il mieux valu en effet ne jamais résoudre l’énigme, désintégrer l’affaire des cassettes et laisser la pauvre femme se débattre avec ses fantômes ; en nous révélant non seulement l’identité du coupable, mais de surcroît le fin mot de l’histoire – comme chez Agatha Christie, comme s'il s'agissait du simple vol d'une potiche –, l’auteur s’interdit en effet de laisser transparaître une réflexion universelle – ne nous est administrée qu'une leçon aussi inefficace qu'extrêmement désagréable : sauf la poignée de cinglés qui se procureront le livre pour d'inavouables raisons, les lecteurs normalement constitués n'auraient pu supporter la description de l'abjection. Et si le style de Franca Maï, d’une manière très anglo-saxonne, réussit dans un premier temps à transmettre quelque écho de l’indicible douleur évoquée plus haut, il s’enlise ensuite dans l’exercice romanesque et ne survit pas à la métamorphose de cet elliptique roman noir en explicite, manipulateur et trivial roman policier. Une épure rigoureuse n’aurait conservé de L’ultime tabou que quelques pages de détresse, l’exploration de l’espace intérieur complètement dévasté d’une mère dépossédée de son enfant – cette absence intolérable, on le devine, était l’ossature invisible du roman. Je déplore pour ma part qu’à la Littérature Franca Maï ait préféré la pédagogie retorse et velléitaire.

 

Franca Maï, L’ultime tabou (Paris : le cherche midi, 2005), 132 pages, 13 €.



[1] Franca Maï est en effet la principale rédactrice d’e-torpedo.

Commentaires

  • Merci tout d'abord le Transhumain pour cette critique et lecture en profondeur. Loin de moi toute vélléité pédagogique dans ce roman -sans concession et libre de toute entrave- qui, je le rappelle est et reste une fiction, avec un véritable questionnement sur la nature humaine et sa part d'ombre malfaisante. Questionnement universel puisque la pédophilie sévit partout et en tout lieu dans l'indifférence la plus totale laissant des enfants cassés à vie. Et si vous avez très bien perçu l'ossature invisible de l'ultime tabou, à savoir comment survit-on à la mort d'un enfant ?... je me demande sincèrement si la dernière phrase qui termine ce cheminement de pensée n'a pas été polluée par mes articles engagés sur le webzine e-torpedo dont je suis la co-fondatrice avec Di2 vous limitant dès lors, dans l'appréciation sereine d'une lecture. C'est juste une intuition.
    Amicalement

  • Chère Franca,
    Vous vous trompez puisque je n'ai lu, je l'avoue, que très peu de vos articles "engagés" sur e-torpedo - avec lesquels je ne suis d'ailleurs pas forcément en désaccord.
    Non, simplement, j'ai eu l'impression, au fil de ma lecture, d'assister à une opposition sans issue entre deux récits qui, ce me semble, ne pouvaient pas coexister sous la forme adoptée. Le premier, hanté par l'absence de Betty, monologue intérieur saisissant d'une mère dépossédée, possède en effet une portée universelle - la perte d'un enfant, sa destruction psychologique et parfois physique, sont des actes impardonnables, voire inimaginables, dont la seule pensée me donne (littéralement) la nausée. Le second, récit policier inutilement manipulateur, ramène hélas le roman dans la sphère du fait divers ; Betty n'y existe plus que comme simple rouage d'un mécanisme narratif.
    Cordialement.

  • Bonjour le Transhumain,

    Merci pour cette précision qui ramène le débat à la découverte pure d'un roman dans son intégralité - sans pollution ou a priori externe- et à une sincérité totale de perception de votre part.

    Il me semble que les romans policiers répondent à une recette éprouvée : enquête, policiers, commissaires, intrigue, codes et rythmes précis etc...etc... inexistants ou simplement « illustrés » dans ce roman qui reste avant tout une « photographie » de l’âme humaine.

    Nous sommes propulsés directement au cœur de l’immonde dès les premières pages de l’ultime tabou.

    Comment une femme peut-elle survivre à la mort de son enfant et à l’image imposée d’un corps dépossédé en putréfaction ?… Y a-t-il une échappée possible vers la lumière ou la folie est-elle la seule résolution au mal de vivre qui s’inocule implacablement dans les veines ?… Car il y a un avant et un après. Fatalement.

    Je dois préciser ici que j’écris toujours sans plan de travail. C’est une idée, une image ou une musique qui me guide. Les personnages s’imposant naturellement dans une jubilation créatrice totale. La nourriture de l’écriture relève alors de l’empathie et de l’intuition créant une curieuse alchimie qui dépasse souvent même son auteur. Et c’est cette zone non définie, enivrante, qui accule l’auteur dans ses derniers retranchements et le fait défricher, buter ou douter, sur le fil du rasoir.

    Le thème de la pédophilie squatte alors, tel un venin insidieux, afin de libérer le non-dit.

    La cohérence ne se dévoilant qu’au mot fin pour celui ou celle qui accouche des mots et même quelquefois plusieurs mois après, puisque ce sont les lecteurs souvent qui livrent les clefs d’une non résolution ou d’un questionnement profond.

    La manipulation triviale que vous mentionnez n’est-elle pas la définition même de ce monde dans lequel l’être humain tente de s’ébrouer désespérément ?

    N’est-elle pas universelle, également ?

    Et si les deux récits lesquels, de mon point de vue, ne font qu’un, vous semblent en opposition nous assistons néanmoins à l’histoire de deux rescapés en mal d’oxygène, d’où Betty n’est nullement niée mais « immortellement vivante ».

    Amicalement.

  • Chère Franca,
    Sans doute me suis-je mal exprimé, en parlant de roman "policier" - dont j'opposais la mécanique, par commodité, au chaos du roman noir -, mais je sais que vous avez parfaitement compris où je voulais en venir... Bien sûr, L'ultime tabou n'est pas un thriller machiavélique dont la pédophilie ne serait qu'un odieux prétexte - je ne mets pas en doute votre sincérité. Seulement, son âme - la parole, pour reprendre le terme de Marc Alpozzo - est comme étouffée par la trivialité des faits - et si la réalité est en effet désespérément triviale, la littérature doit la transcender d'une manière ou d'une autre. Si le monologue intérieur de madame Alvy est par endroits bouleversant, le piège des cassettes vidéos non seulement me paraît inutile - comme je l'ai dit, je n'avais nullement besoin d'un tel stratagème pour refuser de lire l'horreur du viol et du meurtre - mais de surcroît est extrêmement nuisible à l'intégrité littéraire et, comment dire, dialectique, d'un roman qu'une fin où perce quelque lueur ne parvient pas à sauver.
    A présent, espérons que d'autres donneront leur propre lecture critique, sans doute différente de la mienne (très dure) ou de celle de Marc Alpozzo (beaucoup plus enthousiaste).
    Amicalement.

  • La lecture des critiques qu'Alpozzo et le Transhumain ont consacrées, en avant-première, à "l'ultime tabou" (que j'ai eu la chance de lire aussi avant sa sortie), me laissaient sur une impression "bancale" (pardonnez l'expression, mais c'est l'image qui me vient), dont la justesse me paraît se confirmer à la lecture de ce petit échange que je découvre, entre Franca Maï et son "méchant" critique (quelle chance cependant d'avoir, laudateurs ou dépréciateurs, des critiques de cette qualité).

    "L'ultime tabou" n'est pas, à mon sens, un roman sur la pédophilie, même si ce thème lui sert de motif. Il est un roman sur la confrontation de l'être avec l'horreur absolue, avec le Mal, et la quête de madame Alvy va bien au-delà de celle de cette vengeance dont elle fait pourtant elle-même, après sa descente aux enfers de la dépression, le seul motif de sa survie. C'est pour moi une des qualités essentielles de ce livre (je passe sur les autres, stylistiques, soulignées par les deux critiques), précisément, d'aller gratter toutes les plaies là où elles sont le plus immondes avec pudeur pourtant, d'aller visiter aussi toutes les idées reçues sans jamais vouloir s'en tenir là, et sans psychologisme.

    Bizarrement, je trouve ce roman très noir plein d'une immense espérance, et celle-ci, atteinte sans fioritures, évidemment parce que la quête qui nous est contée est fondée sur ce qui fait le plus mal : pas la pédophilie (les livres et journaux d'un Mazneff, mais de tant d'autres aussi, en sont pleins, qui n'ont de quoi effaroucher que les bien-pensants, certes en forte expansion en notre époque de schizophrène pruderie pornographe), mais la violence sexuelle et le meurtre à enfant.

    Une dernière chose, enfin, qui rend ce roman si remarquable : tous les personnages même le meurtrier finissent par y être, non pas "sympathiques", mais compréhensibles. C'est un tour de force qui est d'ailleurs un fil rouge des livres de Franca Maï, et qui n'est certainement pas pour rien dans l'atmosphère "sulfureuse" qui se dégage du personnage.

  • Cher Serge, merci de votre visite, et de cet intéressant commentaire. Je vous répondrais, a contrario, que justement, je ne comprends pas ce personnage du tueur, je ne comprends pas ses motivations, je ne comprends pas ses actes. Comment les comprendre du reste, sinon en se glissant exclusivement dans la peau de l'immonde, comme l'a fait Eric Bénier-Bürckel dans Un prof bien sous tout rapport ? J'avais pensé, un temps, que Franca Maï voulait souligner, par défaut, l'importance d'une cellule familiale unie, traditionnelle, mais ça ne tient pas debout. Oui, Franca Maï fait un sort dans son livre à toutes les idées reçues - je l'ai déjà signalé. Madame Alvy est en effet confrontée au Mal, mais ce Mal et l'espace intérieur de l'héroïne n'appartiennent pas au même monde, ils sont ontologiquement divergents - "incompossibles". Ce choix, courageux mais peut-être erroné, d'adopter le point de vue de la mère de la victime, exclut presque d'emblée ces contingences que j'ai qualifiées de "triviales", dès lors impossibles à transcender. La confrontation n'a donc pas lieu. C'est précisément ce que je reproche au roman : l'envahissement littéraire d'un monde - transcendant - par un autre - trivial.
    Cependant j'insiste : le sujet principal de L'ultime tabou est bien la pédophilie, qui ne désigne pas tant, de mon point de vue, les amours d'un Matzneff pour des adolescentes de moins de 16 ans (qui n'en posent pas moins un vrai problème moral), que l'attirance d'adultes ou d'adolescents envers des enfants NON PUBERES. La question est même doublement abordée, avec le viol et le meurtre de Betty d'une part, avec l'histoire de monsieur Bernard d'autre part.
    Cordialement.

  • "Si la réalité est en effet désespérément triviale, la littérature doit la transcender d'une manière ou d'une autre".

    Cette affirmation du Transhumain est à mes yeux fort déroutante, et d'un académisme à l'orée de la pétomanie cérébelleuse.

    La littérature, en se transcendant elle-même (ou plutôt en... transhumant... :D), peut parfaitement aboutir à une restitution triviale des réalités sans pour autant dénaturer les intentions premières de l'auteur.

    "Trivialité" est un terme que par ailleurs je réfute concernant cette oeuvre sensible et sacrément bien ficelée au jus d'instinct qu'est "L'Ultime Tabou".

    Franca Maï nous livre talentueusement, pudiquement et en toute honnêteté plumitive la chronique d'un double naufrage qui finit par miraculeusement se résorber, où il est humain de se laisser aller à une empathie qui soit épurée de toute pruderie hors sujet (et qui ne fera pas pour autant de vous un émule du monstre de Düsseldorf).

    Le fait que certaines ficelles narratives employées pour ce faire ne vous aient pas totalement convaincu (le stratagème des K7, qui par ailleurs commence à faire un peu poussiéreux avec tous les nouveaux formats numériques en circulation, n'est-ce pas, Franca ? ;)...) ne doit pas vous faire oublier l'essentiel, cher Transhumain : ce roman est une invitation à l'écoute de l'autre, même lorsque l'autre vous semble être incapable de communiquer (elle) ou la pire des ordures (lui).

    Coups de bec à part, un grand et sincère bravo pour votre blog et votre plume, M.le Transhumain !

    Amicalement

    Hugo Vagzeht

  • J'ai lu il y a deux nuits "l'ultime tabou". Ce roman m'a beaucoup plu. La lecture d'un roman où chaque page apporte image après image, mot après mot les informations fondamentales de l'intrigue m'a interessé. Je l'ai donc lu d'une traite...

    Transhumain voit la pédophilie comme thème principale et Serge Rivron en fait un motif. Et l'intrigue appartient au roman noir ou au polar ! Des éléments proviennent de l'un, de l'autre, des deux... A vrai dire cela ne m'interesse que moyennement. Et, je ne crois pas que la pédophilie fasse de la réalité quelque chose de trivial... Je ne qualifirai la réalité de quoique ce soit ! Sinon de bizarre...

    Les personnages sont interessants. Cette mère qui veut se venger est emblématique et demeure un personnage humain jetté dans le laboratoire de l'horreur ,le pédophile repenti (qui a payé sa dette envers la société mais pas envers l'enfant qu'il a désiré) va l'aider et enfin ce criminel fou furieux dont on ne peut dicerner les motivations (quelle est l'origine des crimes sadiques ? l'absence de motivation est prépondérante dans les actes les plus barbares.)

    Pour autant, je ne vois pas d'espoir dans le dénouement. Et je comprend que le crime qui est incompréhensible et imotivé puisse laisser perplexe. Parce que nous ne sommes pas des criminels barbares potentiels !
    Enfin, je trouve injuste la comparaison avec le café philo. Parce que pour moi elle fait référence à la psychologie de comptoir ! Ce qui est déplacé !

    Je souhaite bonne route à Franca Mai et du succès pour son oeuvre !

  • Bonjour le Transhumain,

    En lisant votre échange épistolaire avec Serge Rivron, je comprends que le personnage de l’assassin et de ses motivations vous échappent.

    Effectivement, rien ne prédestinait Madame Alvy à cette rencontre.

    Cet homme boit, prend des expédients, est dépendant de son tour de manège infernal. Il mène une vie à l’antipode des désirs réels ou secrets de Mme Aly et pourtant…ces deux êtres se croisent et ces deux êtres sont terrassés par la passion mutuelle. Celle-là même qui rend la raison caduque et vous fait courir comme des dératés dans des cycles d’adrénaline. Comme si le destin s’amusait avec les êtres humains pour les confronter à leurs propres miroirs déformants.

    Au-delà de la peau, de l’odeur, de la possession charnelle, une dépendance de l’autre incontrôlée et… cette trouille de l’abandon obsessionnelle guidée par une conduite addictive. Un « amour carnassier » en quelque sorte, qui ne répond à aucun critère logique ou toléré dépassant la frontière de l’entendement. L’un épuisant la force de l’autre à sa manière pour mieux rebondir, le vampirisant jusqu’à l’aveuglement.

    La passion échappe le Transhumain, elle possède ses incohérences. C’est également ce qui fait son charme et son ivresse lorsqu’elle ne crucifie pas définitivement à l’autel du meurtre, ses « élus ».

    Car il existe quelques garde-fous que vraisemblablement Madame Alvy n’a pas su détecter, trop aspirée par le rythme endiablé du mirage.

    La sublimation de l’amour est un leurre qui fait perdre tout repère.
    Sa décision de rompre en optant pour la fuite irréversible intervenant déjà trop tard dans le processus de destruction.

    J’espère avoir été assez « claire » le Transhumain, je répondrai à la seconde partie de votre questionnement un peu plus tard…

    Merci en tout cas, pour toutes ces sensibilités foisonnantes et différentes lues sur votre blog.


    Amicalement

  • Ah ! Chère Franca, bien sûr que j'ai compris tout cela ! Mes reproches sont donc formels : le personnage du violeur est trop évanescent pour que ses actes aient le moindre sens. Il n'existe tout simplement pas, contrairement à madame Alvy - cette passion que vous évoquez, ne transparaît pas vraiment : nous n'en lisons que les symptomes. Bien à vous.

  • "Le personnage du violeur est trop évanescent pour que ses actes aient le moindre sens... Nous n'en lisons que les symptomes".

    De deux choses l'une: ou vous et moi n'avons pas lu le meme roman, ou vous refoulez certaines esquisses passionnées de Reine pour des raisons qui m'échappent...

    Quant à la prépondérance des "symptomes", tu m'étonnes, Elton!
    Le prof attoucheur est en train de passer à confesse, pas chez Pivot !

    Amitiés transhumantes

  • En effet, Gollum Vagzeht, nous n'avons pas lu le même roman : vous confondez visiblement le violeur et le voisin de madame Alvy... Quant à votre familiarité, quant à vos méprisables insinuations - que vous aurez sans doute la lâcheté de ne pas assumer -, je vous prierai de les garder pour vous. Soyez prévenu que je supprimerai désormais toutes vos interventions sur le sujet, sauf si celles-ci s'avèrent véritablement utiles à la discussion.

  • M. le Transhumain,

    il est certain qu'à la base j'ai commis une sacrée bévue en "confondant" le violeur et le voisin (meme s'il est vrai que pour moi il y a tout de meme deux violeurs dans cette histoire, et que sans doute le choix d'un terme comme "violeur-assassin" ou mieux encore "psychopate", eut été nettement plus adéquat de votre part...), et en cela je vous dois des excuses que je veux bien plates.

    Toujours est-il que votre réaction effarouchée ("Gollum", "familiarités", "méprisables insinuations", "lacheté"...) me parait foncièrement disproportionnée au vu du style léger que j'avais cru bon d'adopter pour tenter d'égayer un débat qui me semblait en passe de se scléroser par trop de partis pris.

    Mes "méprisables insinuations" n'étaient pas celles que vous supputiez.
    Elles étaient exclusivement reconductibles à vos argumentations détractrices, que je trouvais (et trouve toujours) factieuses et dégoulinantes d'un moralisme qui ne veut pas dire son nom.

    Si vous avez un tant soit peu d'esprit autocritique, vous m'accorderez que c'est vous qui indirectement m'avez insulté le premier, lorsque dans votre chronique originale vous vous etes permis d'écrire "sauf la poignée de cinglés qui se procureront le livre pour d'inavouables raisons, les lecteurs normalement constitués n'auraient pu supporter la description de l'abjection...".

    Au risque de vous décevoir, bien que m'étant procuré ce livre, je ne suis pas plus cinglé que lache.

    Encore une fois, j'ai juste eu le tort de trouver certaines de vos analyses sujettes à caution (en particulier cette façon d'insister sur la prétendue évanescence du "violeur-assassin". Si Madame Mai a cru bon d'esquisser cette passion perverse et maladive en quelques paragraphes, je suppose que ce n'est pas par paresse psychologique, mais plutot par finesse stylistique...) et, pour etre tout à fait franc, quitte à rechuter brièvement dans la familiarité, un rien prétentieuses et emmerdantes (des défauts que je connais bien pour les avoir grandement pratiqués naguère. Ma cure de désyntoxication est encore en cours. Si vous le souhaitez je peux vous donner des tuyaux pour vous en sortir aussi.)

    M. le Transhumain, je vous salue bien et vous assure de ma sincère estime malgré nos points de vue discordants.

    Hugo

  • Hugo, vous m'avez encore une fois mal compris : lorsque j'écrivais que "sauf la poignée de cinglés qui se procureront le livre pour d'inavouables raisons, les lecteurs normalement constitués n'auraient pu supporter la description de l'abjection...", je ne faisais que signaler que le jeu de manipulation auquel s'adonne l'auteur (faire monter la tension, nous laisser entendre que allons assister à l'acte innommable, puis désamorcer cette tension) est inutile, puisque a priori, aucun lecteur raisonnable n'a le désir de lire la description du viol et des tortures. Vous n'êtiez évidemment pas visé, pas plus que les autres lecteurs ayant apprécié le roman ! N'étaient concernés, vous auriez dû le deviner, que les lecteurs appâtés par un sujet dont ils espérent de longues et malsaines descriptions...

    Je rappelle à mes lecteurs, à toutes fins utiles, que ces commentaires ne doivent pas être utilisés comme un stupide forum où chacun "dit ce qu'il pense" du temps qu'il fait ou du style "emmerdant" de mes textes (ce qui ne comporte pas le moindre intérêt à mes yeux) sans même prendre le temps de les lire posément, mais bien comme un espace de discussion autour de ces textes. Il est temps d'en finir avec cette affreuse mode de la "réaction à chaud", du SMS lu en direct par l'animateur TV, et donc du commentaire superfétatoire sur les blogs.

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