« Voici, je vous enseigne le Surhumain !
Le Surhumain est le sens de la terre. Que votre volonté dise : que le Surhumain soit le sens de la terre.
Je vous en conjure, mes frères, restez fidèles à la terre et ne croyez pas ceux qui vous parlent d'espoirs supraterrestres! Ce sont des empoisonneurs, qu'ils le sachent ou non.
Ce sont des contempteurs de la vie, des moribonds et des empoisonnés eux-mêmes, de ceux dont la terre est fatiguée : qu'ils s'en aillent donc! »
F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra
Selon Jean-Claude Guillebaud, « L’homme n’est pas un état, mais un projet. Sa « nature » est en mouvement permanent, tendue vers un but, transformée sans cesse par son « intérêt ultime (ultimate concern).» » [10] L’intention du livre est contenue toute entière dans cette contrevérité, antienne non seulement de l’ouvrage, mais aussi de toutes les interventions de son auteur sur la Toile ou dans la presse. Pas un état, mais un projet : son point de vue n’est donc pas tant philosophique, ou scientifique, qu’évangélique car vous conviendrez que si l’homme est projet, celui-ci suppose d’abord un « chef de projet », autrement dit un Ordonnateur, mais aussi un but à atteindre – une Eschatologie. Toute la doctrine guillebaudienne – car c’en est une – repose sur cette soumission totalement gratuite et invérifiable de l’histoire à un Projet supérieur, selon laquelle l’homme ne doit en aucun cas s’éloigner d’une route qui lui aurait été désignée ; il ne doit pas chercher à percer les secrets de l’univers, de la matière, de la vie et de la conscience. Le Principe d’humanité, cet évangile selon Jean-Claude, n’est alors rien d’autre en dernière analyse qu’une épître humaniste censée décréter autodafés et mises à l’index, et nous mettre en garde contre les « dérives » eugénistes et autres menaces ou « injonctions » scientistes – rappelons à toutes fins utiles que le terme anglais scientist signifie simplement scientifique. Cette prédication, on s’en doute, ne saurait s’accommoder d’une pensée construite pierre après pierre, à la fois attentive au détail et consciente de l’architecture générale. C’est pourquoi le gourd gourou Guillebaud recourre sans cesse – sans le moindre talent littéraire, soulignons-le – à de grossiers subterfuges rhétoriques et, lâchons le mot, démagogiques ; il veut prévenir toute tentative de distanciation intellectuelle, et s’il prétend réveiller les masses, ce n’est que pour mieux les hypnotiser avec son bric-à-brac religieux – sans parler des pages entières de sermons débonnaires où je vous mets au défi de discerner le moindre argument logique, en sorte que l’on se demande souvent, à sa lecture, si l’auteur a vraiment quelque chose à dire.
Le plus fréquent, le plus discutable aussi de ces artifices destinés à guider le cheptel humain le long de ce sentier prétendument lumineux – bien qu’il soit surtout obscur –, consiste à ternir la recherche scientifique d’une négativité immanente, ontologique, presque luciférienne, au point que Guillebaud considère que toute philosophie purement matérialiste est un préalable à un holocauste à venir. Dès le premier chapitre, le ton est donné : « Nul doute que toutes les questions contemporaines sur la définition de l’homme nous rappellent quelque chose » [11] , écrit-il sournoisement, faisant explicitement référence à la Shoah. Trois pages plus loin, un encadré intitulé « Bétail, boue, ordure » reprend un extrait de Si c’est un homme de Primo Lévi. De fait, ce premier chapitre – de même que le chapitre consacré à l’eugénisme – est en grande partie consacré à la superposition du dessein nazi et des anthropotechniques, en sorte que ce rapprochement innerve le livre jusqu’aux dernières pages. Le but inavoué d’une telle manœuvre est évidemment de replacer le Mal au centre de sa réflexion – comme si les camps d’extermination étaient la conséquence de la seule technique – mais aussi de masquer l’absence patente de hauteur de vue, de cette structuration qui devrait selon Raymond Abellio caractériser toute pensée digne de ce nom. Réducteur de têtes hystérique mais malhabile, Guillebaud émonde aveuglément son objet d’analyse, le débarrasse de ses organes susceptibles de discréditer son homélie, jusqu’à ce que ne subsiste plus au final qu’une masse linéamentaire qui n’a plus qu’un lointain rapport avec l’objet d’origine. La Vérité importe peu à notre scribouilleur qui se contente d’établir des « principes » permanents, dogmatiques et invérifiables fondés sur des arguments moraux périmés, quoique hélas encore partagés par une écrasante majorité d’êtres humains.
Ainsi, sous prétexte d’étudier de façon globale, c’est-à-dire dans leurs interactions, ce qu’il désigne arbitrairement comme les « trois révolutions » telles que présentées à partir de la page 36, à savoir les « révolutions » économique, informatique et génétique, Guillebaud confond les domaines de la recherche et leur exploitation économique par les multinationales : « L’hypothèse du clonage humain [demande-t-il dans un article du Monde diplomatique tiré du livre] ne réinvente-t-elle pas les catégories mentales de l’esclavage ? La génétique – avec ses quotients et sa prétendue « normalité » – ne risque-t-elle pas d’engendrer un racisme du troisième type ? ». Les risques d’applications industrielles du clonage sont bien réels en effet, mais avant de légiférer, nous ne pouvons faire l’économie d’une redéfinition précise, à l’aune des connaissances actuelles – et non des lieux communs qui forment la pseudo-pensée de notre éditorialiste –, de ce qu’est vraiment un être humain, c’est-à-dire de ce qui le distingue en droit des autres espèces. Or l’image de l’homo sapiens sapiens – qui n’est qu’un stade provisoire de l’évolution – tel que l’esquissent progressivement physiciens, généticiens, biologistes et cogniticiens ne correspond en rien au cliché grossièrement physicaliste que s’en fait poltron-Guillebaud. En matière d’éthique scientifique et de législation plus particulièrement, il est impératif de comprendre que l’homme, comme le rappelle Alain Prochiantz dans son livre Machine-esprit, ne se distingue pas exclusivement par sa capacité d’apprendre et de conceptualiser (ce que suggérait par exemple le protomatérialisme d’un Julien Offroy de la Mettrie). Prochiantz rappelle que « la réalisation des programmes de division, migration, différentiation, mort […] cellulaires résulte en la production d’un imago, toujours le même – caractéristique de l’espèce –, aussi vrai que tout un chacun sait distinguer un homme d’un macaque. » [12] Même incomplète, cette réalisation de l’imago fonde la spécificité humaine. Subséquemment l’handicapé mental, de même que le clone modifié dont on aurait bridé l’intelligence par manipulation génétique ou par chirurgie cérébrale, correspondent toujours à cet imago profondément inscrit dans notre corps et dans notre esprit, et ce en dépit de leurs déficiences génétiques ou accidentelles ; ils ne peuvent donc être exclus de l’humanité. L’utilisation de clones âgés de plus de 14 semaines in utero – âge limite des IVG – à des fins industrielles ou médicales devrait donc être totalement exclue.
Mais Guillebaud n’a jamais qu’une connaissance fort vague et très secondaire des sciences cognitives et du génie génétique, qu’il regarde pourtant avec circonspection. Que les choses soient claires : je n’ai moi-même qu’un regard fragmentaire sur la question, mais il me semble que la moindre des précautions, lorsqu’on s’en prend sur cinq cents pages aux fondements même de ces sciences passionnantes, est de prendre connaissance des ouvrages de vulgarisation des chercheurs compétents. Au lieu de puiser les informations scientifiques à leur source, Guillebaud choisit soigneusement les siennes propres, par définition secondaires, parmi les commentateurs les plus proches de sa vision vitaliste et humaniste du monde – son humanisme étant celui des sectes et des églises, celui d’une foi increvable en un avenir meilleur. Dès lors, erreurs d’interprétation et mystifications en tous genres étaient inévitables – il suffira de citer sa réaction épouvantée dès qu’il s’agit de trouver quelque fondement biologique à l’homosexualité par exemple ; de même, il ne comprend pas que les travaux de Richard Herrnstein et Charles Murray (auteurs de The Bell Curve en 1994), même très contestables, ne sont pas sans valeur uniquement pour la seule raison qu’ils iraient à l’encontre des idéaux égalitaristes et humanistes – le but n’étant pas d’établir quelque hiérarchie mais bien d’essayer de comprendre le monde dans ses moindres détails (en l’occurrence, de chercher d’éventuelles relations entre QI, origine ethnique et réussite sociale). Or il ne suffit pas, pour réfuter une thèse, aussi choquante soit-elle, d’en dénoncer la récupération par l’extrême droite comme le fait Guillebaud en page 318 de sa chose ! Quant à Edward O. Wilson, le célèbre sociobiologiste deux fois prix Pulitzer, Guillebaud ne cesse de le traîner dans la boue, s’en prenant même à un article de Libération qui en fit en 2000 un portrait « plutôt élogieux » [13] , sans jamais accorder quelque attention à l’intérêt de ses travaux. On entrevoit alors le peu de rigueur de la démarche guillebaudienne.
Passons rapidement sur la prétendue collusion entre bouddhisme et extrême droite (Guillebaud omettant ce faisant de rappeler que l’extrême droite française, historiquement, a surtout de nombreux liens avec l’intégrisme chrétien), passons aussi sur l’étrange comparaison entre bouddhisme et nietzschéisme – l’un comme l’autre prôneraient l’abdication de toute volonté d’infléchir le cours des choses ; c’est d’abord oublier que la pratique du bouddhisme – religion pour laquelle je n’éprouve aucune attirance particulière, soit dit en passant – vise avant tout à la libération (et non à l’acceptation) de la souffrance par la connaissance et l’ascétisme, c’est-à-dire en se libérant des causalités ; c’est oublier ensuite que Nietzsche vouait justement l’essentiel de sa réflexion au dépassement des contingences, autrement dit au lointain. Mais cette attaque contre Nietzsche est tellement injustifiée que je préfère ne pas m’étendre davantage ; s’imprégner des œuvres du philosophe allemand reste encore la meilleure défense.
Passons encore sur l’inconséquente remise en cause du don d’organe qui serait selon Guillebaud une atteinte à l’intégrité de l’individu – sans doute s’attend-il à voir le membre greffé agir contre son gré, comme dans Les Mains d’Orlac [14], comme si la conscience était enclose dans la chair, comme si le bénéficiaire était possédé par l’âme du donneur… A croire que Guillebaud préfère veiller à l’intégrité d’un corps d’origine – sous-entendu : d’origine divine – plutôt qu’à la survie de malades ou d’accidentés... Au don utilitaire des hommes, notre humaniste oppose le don divin. Y toucher relève du Mal à l’état pur.
C’est donc en toute logique que l’eugénisme devient pour Guillebaud la conséquence inéluctable du génie génétique. De manière générale, il traite de « savant fou » tout scientifique dont les travaux n’obéissent pas à son dogme - par exemple François Dagonet, qui dans Corps réfléchi (éd. O. Jacob), eût le malheur de ne point s’indigner de la possibilité future de procréer et de développer le fœtus in vitro… Ce à quoi je n’opposerais qu’une indifférence polie si Guillebaud n’était pas de surcroît hostile à toute manipulation génétique, y compris lorsqu’il s’agit de réduire les risques de malformation. Guillebaud, qui considère l’embryon comme une personne à part entière, s’oppose également à l’interruption volontaire de grossesse, même s’il y a constatation de malformation lors du diagnostic prénatal. Sont ainsi attaqués en particulier les techniques de procréation assistée, le tri préimplantatoire des embryons humains ou encore la thérapie génique et le clonage thérapeutique. Plus grave : ces pratiques seraient selon lui rien moins qu’eugénistes. L’usage de ce terme, loin d’être neutre, relève d’une démarche volontairement polémique – bien qu’il s’en défende – et lui sert en premier lieu à stigmatiser les domaines de la recherche qui transgressent sa vision du monde. Mais le Verbe grâce auquel Guillebaud ânonne ses billevesées n’est-il pas lui aussi susceptible de provoquer un holocauste ? Je ne sache pas pour autant qu’il ait décidé d’abolir le langage par principe de précaution…
Guillebaud ne pouvait dès lors que condamner les propos de Peter Sloterdijk, qu’il ne prend d’ailleurs même pas la peine d’expliciter (faute de les avoirs lus ?). Réparons cette omission. Pour Sloterdijk, il « s’agit à présent de comprendre que même la situation fondamentale et apparemment irréductible de l’être humain, qui porte le nom d’être-au-monde et se caractérise comme l’existence ou comme le fait de se tenir à l’extérieur dans la clairière de l’Être, constitue le résultat d’une production dans le sens originel du terme - un processus où l’on guide vers l’extérieur et où l’on met au jour, pour une position relevant de l’extase, une nature jusque là plutôt voilée ou dissimulée et, dans ce sens, « inexistante ». » [15] . Autrement dit, il convient d’analyser l’homme non plus comme une créature matrice mais comme un produit, celui, en tout état de cause, « d'une production qui, elle-même, n'est pas homme, qui n'était pas menée par l'homme de manière intentionnelle, et il n'était pas encore ce qu'il allait devenir avant de le devenir » [16]. A écouter Guillebaud cependant : « Lorsqu’un savant, membre d’un comité d’éthique, s’oppose au clonage humain, il ne le fait pas au nom de la science elle-même mais d’un « autre chose » qui n’est pas d’ordre scientifique. » [17] Cet « autre chose », c’est évidemment son « principe d’humanité » aussi flou qu’indéfini. Peter Sloterdijk, plus sérieux, propose que la philosophie métaphysique, qui oppose « le spirituel, le propre et l’humain d’un côté, le concret, le mécanique et l’inhumain de l’autre » est en vérité erronée puisqu’elle « attribue [...] au sujet et à l'âme une pléthore de qualités et de facultés qui, en réalité, appartiennent à l'autre face. Dans le même temps, elle nie aux choses ou aux matériaux une foison de qualités qu'elles possèdent tout de même, à y regarder de plus près » [18].
Guillebaud, qui n’a visiblement rien compris, semble toutefois un brin désemparé puisqu’il concède dans un autre article que « […] ce n'est pas la révolution génétique en soi qui pose problème – elle est évidemment porteuse de promesses considérables ». Certes ! Il ajoute cependant qu’il « ne parle pas seulement de l'application de leurs recherches mais de la direction même de ces recherches » Nous y voilà. Au lieu d’analyser la trame systémique où ses trois « révolutions » (qui ne sont d’ailleurs, à mon sens, qu’évolutions) s’entrelaceraient, Guillebaud en choisit arbitrairement les nœuds les plus spectaculaires (ici, « l’arraisonnement de la recherche scientifique elle-même par le marché ») à l’exception de tous les autres, faisant acte de réduction plutôt que de déduction. En guise d’étude systémique – rappelons que tout système obéit à quatre principes fondamentaux : interaction, globalité, organisation et complexité – il imagine des causalités linéaires en imputant par exemple au néolibéralisme l’apparition de nouveaux champs scientifiques comme la sociobiologie (ce qui est absurde : les travaux d’Edward O. Wilson sur les insectes sociaux sont unanimement reconnus par la communauté scientifique, y compris d’ailleurs par Axel Kahn, que personne ne peut raisonnablement accuser d’extrémisme ; et la sociobiologie prétend seulement expliquer un certain nombre de comportement par des facteurs biologiques, ce que nul ne saurait sérieusement contester…). La méthode Guillebaud n’est donc que de la poudre aux yeux, de l’eau bénite vendue comme de l’eau de vie. Les citations, le plus souvent inadaptées, servent uniquement à masquer l’inanité d’un discours fondé sur des lieux communs et un « bon sens » qui m’évoquent immanquablement ces mots du Désespéré de Léon Bloy : « Le sens commun dont la nature est d’étendre des tapis sous les pieds des foules, a ce privilège mythologique de devenir toujours plus fort en s’abaissant et de ramasser par terre ses victoires. […] Il est à n’avoir plus besoin de connaître ce dont il parle, et à ne plus lire du tout les livres qu’il a la prétention de juger dans ses harangues. » [19]. Guillebaud est comme Beauclerc, le critique auquel Marchenoir fait allusion : il ne sait pas de quoi il parle.
En effet, si s’inquiéter des « dérives » éventuelles du clonage ou de la « brevetabilité du génome humain », ces tartes à la crème de l’éthique moderne, n’est pas a priori illégitime – encore que le prétendu consensus autour du clonage humain ne soit en fait qu’un mensonge supplémentaire de médias analphabètes, puisque de nombreuses personnalités, au nombre desquelles Simone Veil, Richard Dawkins ou encore le prix Nobel Francis Crick (co-découvreur de la structure en double hélice de l’ADN, également connu il est vrai pour ses positions extrémistes) furent signataires en 1997 de la "Déclaration en défense du clonage et de l’intégrité de la recherche scientifique" émise par l’Académie internationale de l’humanisme (en réaction, convient-il de préciser, à un inadmissible lobbying orchestré par le Vatican et les administrations Clinton, puis Bush) –, confondre ces dérives avec la recherche elle-même, interdisant ainsi toute réflexion sur les bénéfices qu’une partie d’entre nous – ou de nos descendants – pourrait en tirer, paraît en revanche beaucoup plus dangereux et procède d’un obscurantisme endémique [20] et bien-pensant. Le propre de toute découverte, de toute avancée n’est-il pas, a contrario, d’engendrer de nouveaux possibles ? Et le propre des sciences n’est-il pas de tâtonner, d’exprimer des hypothèses vérifiables ou réfutables en mettant au point, comme le rappellent les Mutants dans leur amusante exécution sommaire, des protocoles d’expérimentation ?
L’essentiel, de mon point de vue, réside alors dans notre capacité à définir objectivement les limites du champ expérimental, à l’aune du respect de l’individu. Nous avons élucidé plus haut le problème du statut des clones ou des handicapés qui, parce qu’ils partagent notre imago, doivent être considérés comme des humains à part entière – encore une fois, pour tuer toute tentative d’asservissement ou de hiérarchisation des hommes, le meilleur argument est encore scientifique. Ceci étant admis, reste à aborder la question de l'origine biologique de la pensée, ou comment l'homme, d'une certaine manière, est sorti de la Nature.
[10] J.-C. Guillebaud [2001], Le Principe d’humanité (Le Seuil, Points essais, 2002), p. 123.
[11] Ibid., p. 21.
[12] A. Prochiantz, Machine-esprit (O. Jacob, 2001) p. 72.
[13] Op. cit., p. 317.
[14] M. Renard [1920], Les Mains d’Orlac (Belfond, 1998). Voir aussi les adaptations cinématographiques successives de Robert Wiene (Orlacs Hände, All., 1924) ; Karl Freund (Mad Love, USA., 1935) ; Edmond T. Gréville (Fra., 1960).
[15] P. Sloterdijk, La Domestication de l’Être (Mille et une nuits, 2000), p. 19.
[16] Ibid., p. 36.
[17] Op. cit., p. 455.
[18] Op. Cit., p. 83.
[19] L. Bloy, Le Désespéré (La Table ronde, la petite vermillion, 1997), pp. 210-211.
[20] A tel point que le tsunami qui a récemment ravagé les côtes asiatiques a suscité en occident, pensez-y, un certain soulagement. Cette catastrophe, aussi terrible soit-elle, est en effet d’origine naturelle ; elle est alors comprise, inconsciemment, comme la réponse foudroyante de la nature à la puissance technique de l’homme symbolisée par Auschwitz et par les attentats du 11 septembre 2001, béances qui avaient sérieusement ébranlé la confiance de l’occident dans sa propre technique. La profonde culpabilité engendrée par une si intolérable consolation (renforcée par la localisation de la catastrophe et des victimes), expliquerait alors au moins partiellement cet « élan de générosité sans précédent » dont ont fait preuve, selon Michel Serres, les habitants des pays riches…
Le Surhumain est le sens de la terre. Que votre volonté dise : que le Surhumain soit le sens de la terre.
Je vous en conjure, mes frères, restez fidèles à la terre et ne croyez pas ceux qui vous parlent d'espoirs supraterrestres! Ce sont des empoisonneurs, qu'ils le sachent ou non.
Ce sont des contempteurs de la vie, des moribonds et des empoisonnés eux-mêmes, de ceux dont la terre est fatiguée : qu'ils s'en aillent donc! »
F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra
Selon Jean-Claude Guillebaud, « L’homme n’est pas un état, mais un projet. Sa « nature » est en mouvement permanent, tendue vers un but, transformée sans cesse par son « intérêt ultime (ultimate concern).» » [10] L’intention du livre est contenue toute entière dans cette contrevérité, antienne non seulement de l’ouvrage, mais aussi de toutes les interventions de son auteur sur la Toile ou dans la presse. Pas un état, mais un projet : son point de vue n’est donc pas tant philosophique, ou scientifique, qu’évangélique car vous conviendrez que si l’homme est projet, celui-ci suppose d’abord un « chef de projet », autrement dit un Ordonnateur, mais aussi un but à atteindre – une Eschatologie. Toute la doctrine guillebaudienne – car c’en est une – repose sur cette soumission totalement gratuite et invérifiable de l’histoire à un Projet supérieur, selon laquelle l’homme ne doit en aucun cas s’éloigner d’une route qui lui aurait été désignée ; il ne doit pas chercher à percer les secrets de l’univers, de la matière, de la vie et de la conscience. Le Principe d’humanité, cet évangile selon Jean-Claude, n’est alors rien d’autre en dernière analyse qu’une épître humaniste censée décréter autodafés et mises à l’index, et nous mettre en garde contre les « dérives » eugénistes et autres menaces ou « injonctions » scientistes – rappelons à toutes fins utiles que le terme anglais scientist signifie simplement scientifique. Cette prédication, on s’en doute, ne saurait s’accommoder d’une pensée construite pierre après pierre, à la fois attentive au détail et consciente de l’architecture générale. C’est pourquoi le gourd gourou Guillebaud recourre sans cesse – sans le moindre talent littéraire, soulignons-le – à de grossiers subterfuges rhétoriques et, lâchons le mot, démagogiques ; il veut prévenir toute tentative de distanciation intellectuelle, et s’il prétend réveiller les masses, ce n’est que pour mieux les hypnotiser avec son bric-à-brac religieux – sans parler des pages entières de sermons débonnaires où je vous mets au défi de discerner le moindre argument logique, en sorte que l’on se demande souvent, à sa lecture, si l’auteur a vraiment quelque chose à dire.
Le plus fréquent, le plus discutable aussi de ces artifices destinés à guider le cheptel humain le long de ce sentier prétendument lumineux – bien qu’il soit surtout obscur –, consiste à ternir la recherche scientifique d’une négativité immanente, ontologique, presque luciférienne, au point que Guillebaud considère que toute philosophie purement matérialiste est un préalable à un holocauste à venir. Dès le premier chapitre, le ton est donné : « Nul doute que toutes les questions contemporaines sur la définition de l’homme nous rappellent quelque chose » [11] , écrit-il sournoisement, faisant explicitement référence à la Shoah. Trois pages plus loin, un encadré intitulé « Bétail, boue, ordure » reprend un extrait de Si c’est un homme de Primo Lévi. De fait, ce premier chapitre – de même que le chapitre consacré à l’eugénisme – est en grande partie consacré à la superposition du dessein nazi et des anthropotechniques, en sorte que ce rapprochement innerve le livre jusqu’aux dernières pages. Le but inavoué d’une telle manœuvre est évidemment de replacer le Mal au centre de sa réflexion – comme si les camps d’extermination étaient la conséquence de la seule technique – mais aussi de masquer l’absence patente de hauteur de vue, de cette structuration qui devrait selon Raymond Abellio caractériser toute pensée digne de ce nom. Réducteur de têtes hystérique mais malhabile, Guillebaud émonde aveuglément son objet d’analyse, le débarrasse de ses organes susceptibles de discréditer son homélie, jusqu’à ce que ne subsiste plus au final qu’une masse linéamentaire qui n’a plus qu’un lointain rapport avec l’objet d’origine. La Vérité importe peu à notre scribouilleur qui se contente d’établir des « principes » permanents, dogmatiques et invérifiables fondés sur des arguments moraux périmés, quoique hélas encore partagés par une écrasante majorité d’êtres humains.
Ainsi, sous prétexte d’étudier de façon globale, c’est-à-dire dans leurs interactions, ce qu’il désigne arbitrairement comme les « trois révolutions » telles que présentées à partir de la page 36, à savoir les « révolutions » économique, informatique et génétique, Guillebaud confond les domaines de la recherche et leur exploitation économique par les multinationales : « L’hypothèse du clonage humain [demande-t-il dans un article du Monde diplomatique tiré du livre] ne réinvente-t-elle pas les catégories mentales de l’esclavage ? La génétique – avec ses quotients et sa prétendue « normalité » – ne risque-t-elle pas d’engendrer un racisme du troisième type ? ». Les risques d’applications industrielles du clonage sont bien réels en effet, mais avant de légiférer, nous ne pouvons faire l’économie d’une redéfinition précise, à l’aune des connaissances actuelles – et non des lieux communs qui forment la pseudo-pensée de notre éditorialiste –, de ce qu’est vraiment un être humain, c’est-à-dire de ce qui le distingue en droit des autres espèces. Or l’image de l’homo sapiens sapiens – qui n’est qu’un stade provisoire de l’évolution – tel que l’esquissent progressivement physiciens, généticiens, biologistes et cogniticiens ne correspond en rien au cliché grossièrement physicaliste que s’en fait poltron-Guillebaud. En matière d’éthique scientifique et de législation plus particulièrement, il est impératif de comprendre que l’homme, comme le rappelle Alain Prochiantz dans son livre Machine-esprit, ne se distingue pas exclusivement par sa capacité d’apprendre et de conceptualiser (ce que suggérait par exemple le protomatérialisme d’un Julien Offroy de la Mettrie). Prochiantz rappelle que « la réalisation des programmes de division, migration, différentiation, mort […] cellulaires résulte en la production d’un imago, toujours le même – caractéristique de l’espèce –, aussi vrai que tout un chacun sait distinguer un homme d’un macaque. » [12] Même incomplète, cette réalisation de l’imago fonde la spécificité humaine. Subséquemment l’handicapé mental, de même que le clone modifié dont on aurait bridé l’intelligence par manipulation génétique ou par chirurgie cérébrale, correspondent toujours à cet imago profondément inscrit dans notre corps et dans notre esprit, et ce en dépit de leurs déficiences génétiques ou accidentelles ; ils ne peuvent donc être exclus de l’humanité. L’utilisation de clones âgés de plus de 14 semaines in utero – âge limite des IVG – à des fins industrielles ou médicales devrait donc être totalement exclue.
Mais Guillebaud n’a jamais qu’une connaissance fort vague et très secondaire des sciences cognitives et du génie génétique, qu’il regarde pourtant avec circonspection. Que les choses soient claires : je n’ai moi-même qu’un regard fragmentaire sur la question, mais il me semble que la moindre des précautions, lorsqu’on s’en prend sur cinq cents pages aux fondements même de ces sciences passionnantes, est de prendre connaissance des ouvrages de vulgarisation des chercheurs compétents. Au lieu de puiser les informations scientifiques à leur source, Guillebaud choisit soigneusement les siennes propres, par définition secondaires, parmi les commentateurs les plus proches de sa vision vitaliste et humaniste du monde – son humanisme étant celui des sectes et des églises, celui d’une foi increvable en un avenir meilleur. Dès lors, erreurs d’interprétation et mystifications en tous genres étaient inévitables – il suffira de citer sa réaction épouvantée dès qu’il s’agit de trouver quelque fondement biologique à l’homosexualité par exemple ; de même, il ne comprend pas que les travaux de Richard Herrnstein et Charles Murray (auteurs de The Bell Curve en 1994), même très contestables, ne sont pas sans valeur uniquement pour la seule raison qu’ils iraient à l’encontre des idéaux égalitaristes et humanistes – le but n’étant pas d’établir quelque hiérarchie mais bien d’essayer de comprendre le monde dans ses moindres détails (en l’occurrence, de chercher d’éventuelles relations entre QI, origine ethnique et réussite sociale). Or il ne suffit pas, pour réfuter une thèse, aussi choquante soit-elle, d’en dénoncer la récupération par l’extrême droite comme le fait Guillebaud en page 318 de sa chose ! Quant à Edward O. Wilson, le célèbre sociobiologiste deux fois prix Pulitzer, Guillebaud ne cesse de le traîner dans la boue, s’en prenant même à un article de Libération qui en fit en 2000 un portrait « plutôt élogieux » [13] , sans jamais accorder quelque attention à l’intérêt de ses travaux. On entrevoit alors le peu de rigueur de la démarche guillebaudienne.
Passons rapidement sur la prétendue collusion entre bouddhisme et extrême droite (Guillebaud omettant ce faisant de rappeler que l’extrême droite française, historiquement, a surtout de nombreux liens avec l’intégrisme chrétien), passons aussi sur l’étrange comparaison entre bouddhisme et nietzschéisme – l’un comme l’autre prôneraient l’abdication de toute volonté d’infléchir le cours des choses ; c’est d’abord oublier que la pratique du bouddhisme – religion pour laquelle je n’éprouve aucune attirance particulière, soit dit en passant – vise avant tout à la libération (et non à l’acceptation) de la souffrance par la connaissance et l’ascétisme, c’est-à-dire en se libérant des causalités ; c’est oublier ensuite que Nietzsche vouait justement l’essentiel de sa réflexion au dépassement des contingences, autrement dit au lointain. Mais cette attaque contre Nietzsche est tellement injustifiée que je préfère ne pas m’étendre davantage ; s’imprégner des œuvres du philosophe allemand reste encore la meilleure défense.
Passons encore sur l’inconséquente remise en cause du don d’organe qui serait selon Guillebaud une atteinte à l’intégrité de l’individu – sans doute s’attend-il à voir le membre greffé agir contre son gré, comme dans Les Mains d’Orlac [14], comme si la conscience était enclose dans la chair, comme si le bénéficiaire était possédé par l’âme du donneur… A croire que Guillebaud préfère veiller à l’intégrité d’un corps d’origine – sous-entendu : d’origine divine – plutôt qu’à la survie de malades ou d’accidentés... Au don utilitaire des hommes, notre humaniste oppose le don divin. Y toucher relève du Mal à l’état pur.
C’est donc en toute logique que l’eugénisme devient pour Guillebaud la conséquence inéluctable du génie génétique. De manière générale, il traite de « savant fou » tout scientifique dont les travaux n’obéissent pas à son dogme - par exemple François Dagonet, qui dans Corps réfléchi (éd. O. Jacob), eût le malheur de ne point s’indigner de la possibilité future de procréer et de développer le fœtus in vitro… Ce à quoi je n’opposerais qu’une indifférence polie si Guillebaud n’était pas de surcroît hostile à toute manipulation génétique, y compris lorsqu’il s’agit de réduire les risques de malformation. Guillebaud, qui considère l’embryon comme une personne à part entière, s’oppose également à l’interruption volontaire de grossesse, même s’il y a constatation de malformation lors du diagnostic prénatal. Sont ainsi attaqués en particulier les techniques de procréation assistée, le tri préimplantatoire des embryons humains ou encore la thérapie génique et le clonage thérapeutique. Plus grave : ces pratiques seraient selon lui rien moins qu’eugénistes. L’usage de ce terme, loin d’être neutre, relève d’une démarche volontairement polémique – bien qu’il s’en défende – et lui sert en premier lieu à stigmatiser les domaines de la recherche qui transgressent sa vision du monde. Mais le Verbe grâce auquel Guillebaud ânonne ses billevesées n’est-il pas lui aussi susceptible de provoquer un holocauste ? Je ne sache pas pour autant qu’il ait décidé d’abolir le langage par principe de précaution…
Guillebaud ne pouvait dès lors que condamner les propos de Peter Sloterdijk, qu’il ne prend d’ailleurs même pas la peine d’expliciter (faute de les avoirs lus ?). Réparons cette omission. Pour Sloterdijk, il « s’agit à présent de comprendre que même la situation fondamentale et apparemment irréductible de l’être humain, qui porte le nom d’être-au-monde et se caractérise comme l’existence ou comme le fait de se tenir à l’extérieur dans la clairière de l’Être, constitue le résultat d’une production dans le sens originel du terme - un processus où l’on guide vers l’extérieur et où l’on met au jour, pour une position relevant de l’extase, une nature jusque là plutôt voilée ou dissimulée et, dans ce sens, « inexistante ». » [15] . Autrement dit, il convient d’analyser l’homme non plus comme une créature matrice mais comme un produit, celui, en tout état de cause, « d'une production qui, elle-même, n'est pas homme, qui n'était pas menée par l'homme de manière intentionnelle, et il n'était pas encore ce qu'il allait devenir avant de le devenir » [16]. A écouter Guillebaud cependant : « Lorsqu’un savant, membre d’un comité d’éthique, s’oppose au clonage humain, il ne le fait pas au nom de la science elle-même mais d’un « autre chose » qui n’est pas d’ordre scientifique. » [17] Cet « autre chose », c’est évidemment son « principe d’humanité » aussi flou qu’indéfini. Peter Sloterdijk, plus sérieux, propose que la philosophie métaphysique, qui oppose « le spirituel, le propre et l’humain d’un côté, le concret, le mécanique et l’inhumain de l’autre » est en vérité erronée puisqu’elle « attribue [...] au sujet et à l'âme une pléthore de qualités et de facultés qui, en réalité, appartiennent à l'autre face. Dans le même temps, elle nie aux choses ou aux matériaux une foison de qualités qu'elles possèdent tout de même, à y regarder de plus près » [18].
Guillebaud, qui n’a visiblement rien compris, semble toutefois un brin désemparé puisqu’il concède dans un autre article que « […] ce n'est pas la révolution génétique en soi qui pose problème – elle est évidemment porteuse de promesses considérables ». Certes ! Il ajoute cependant qu’il « ne parle pas seulement de l'application de leurs recherches mais de la direction même de ces recherches » Nous y voilà. Au lieu d’analyser la trame systémique où ses trois « révolutions » (qui ne sont d’ailleurs, à mon sens, qu’évolutions) s’entrelaceraient, Guillebaud en choisit arbitrairement les nœuds les plus spectaculaires (ici, « l’arraisonnement de la recherche scientifique elle-même par le marché ») à l’exception de tous les autres, faisant acte de réduction plutôt que de déduction. En guise d’étude systémique – rappelons que tout système obéit à quatre principes fondamentaux : interaction, globalité, organisation et complexité – il imagine des causalités linéaires en imputant par exemple au néolibéralisme l’apparition de nouveaux champs scientifiques comme la sociobiologie (ce qui est absurde : les travaux d’Edward O. Wilson sur les insectes sociaux sont unanimement reconnus par la communauté scientifique, y compris d’ailleurs par Axel Kahn, que personne ne peut raisonnablement accuser d’extrémisme ; et la sociobiologie prétend seulement expliquer un certain nombre de comportement par des facteurs biologiques, ce que nul ne saurait sérieusement contester…). La méthode Guillebaud n’est donc que de la poudre aux yeux, de l’eau bénite vendue comme de l’eau de vie. Les citations, le plus souvent inadaptées, servent uniquement à masquer l’inanité d’un discours fondé sur des lieux communs et un « bon sens » qui m’évoquent immanquablement ces mots du Désespéré de Léon Bloy : « Le sens commun dont la nature est d’étendre des tapis sous les pieds des foules, a ce privilège mythologique de devenir toujours plus fort en s’abaissant et de ramasser par terre ses victoires. […] Il est à n’avoir plus besoin de connaître ce dont il parle, et à ne plus lire du tout les livres qu’il a la prétention de juger dans ses harangues. » [19]. Guillebaud est comme Beauclerc, le critique auquel Marchenoir fait allusion : il ne sait pas de quoi il parle.
En effet, si s’inquiéter des « dérives » éventuelles du clonage ou de la « brevetabilité du génome humain », ces tartes à la crème de l’éthique moderne, n’est pas a priori illégitime – encore que le prétendu consensus autour du clonage humain ne soit en fait qu’un mensonge supplémentaire de médias analphabètes, puisque de nombreuses personnalités, au nombre desquelles Simone Veil, Richard Dawkins ou encore le prix Nobel Francis Crick (co-découvreur de la structure en double hélice de l’ADN, également connu il est vrai pour ses positions extrémistes) furent signataires en 1997 de la "Déclaration en défense du clonage et de l’intégrité de la recherche scientifique" émise par l’Académie internationale de l’humanisme (en réaction, convient-il de préciser, à un inadmissible lobbying orchestré par le Vatican et les administrations Clinton, puis Bush) –, confondre ces dérives avec la recherche elle-même, interdisant ainsi toute réflexion sur les bénéfices qu’une partie d’entre nous – ou de nos descendants – pourrait en tirer, paraît en revanche beaucoup plus dangereux et procède d’un obscurantisme endémique [20] et bien-pensant. Le propre de toute découverte, de toute avancée n’est-il pas, a contrario, d’engendrer de nouveaux possibles ? Et le propre des sciences n’est-il pas de tâtonner, d’exprimer des hypothèses vérifiables ou réfutables en mettant au point, comme le rappellent les Mutants dans leur amusante exécution sommaire, des protocoles d’expérimentation ?
L’essentiel, de mon point de vue, réside alors dans notre capacité à définir objectivement les limites du champ expérimental, à l’aune du respect de l’individu. Nous avons élucidé plus haut le problème du statut des clones ou des handicapés qui, parce qu’ils partagent notre imago, doivent être considérés comme des humains à part entière – encore une fois, pour tuer toute tentative d’asservissement ou de hiérarchisation des hommes, le meilleur argument est encore scientifique. Ceci étant admis, reste à aborder la question de l'origine biologique de la pensée, ou comment l'homme, d'une certaine manière, est sorti de la Nature.
[10] J.-C. Guillebaud [2001], Le Principe d’humanité (Le Seuil, Points essais, 2002), p. 123.
[11] Ibid., p. 21.
[12] A. Prochiantz, Machine-esprit (O. Jacob, 2001) p. 72.
[13] Op. cit., p. 317.
[14] M. Renard [1920], Les Mains d’Orlac (Belfond, 1998). Voir aussi les adaptations cinématographiques successives de Robert Wiene (Orlacs Hände, All., 1924) ; Karl Freund (Mad Love, USA., 1935) ; Edmond T. Gréville (Fra., 1960).
[15] P. Sloterdijk, La Domestication de l’Être (Mille et une nuits, 2000), p. 19.
[16] Ibid., p. 36.
[17] Op. cit., p. 455.
[18] Op. Cit., p. 83.
[19] L. Bloy, Le Désespéré (La Table ronde, la petite vermillion, 1997), pp. 210-211.
[20] A tel point que le tsunami qui a récemment ravagé les côtes asiatiques a suscité en occident, pensez-y, un certain soulagement. Cette catastrophe, aussi terrible soit-elle, est en effet d’origine naturelle ; elle est alors comprise, inconsciemment, comme la réponse foudroyante de la nature à la puissance technique de l’homme symbolisée par Auschwitz et par les attentats du 11 septembre 2001, béances qui avaient sérieusement ébranlé la confiance de l’occident dans sa propre technique. La profonde culpabilité engendrée par une si intolérable consolation (renforcée par la localisation de la catastrophe et des victimes), expliquerait alors au moins partiellement cet « élan de générosité sans précédent » dont ont fait preuve, selon Michel Serres, les habitants des pays riches…