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  • La Voix de Wormwood de Ian Watson

     

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    Après un trop long silence, dont les causes sont trop multiples et complexes pour vous être dévoilées, Fin de partie reprend ses droits. Nous commencerons doucement, avec deux livres de l’écrivain de science-fiction Ian Watson : La Voix de Wormwood d’abord, novella publiée il y a quelque temps par l’équipe de Dreampress.com ; puis L’Enchâssement, très beau roman sur le langage et le monde. Le plus lourd suivra de près : les deux dernières parties de mon analyse de La Mémoire du vautour de Fabrice Colin devraient être prêtes avant la fin de l’année, mais respecter une deadline, même par moi fixée, est au-dessus de mes forces ; priez donc pour que je tienne ma promesse. Et le début de l’année 2008 s’annonce très cinématographique, puisque nous devrions évoquer David Cronenberg – un nouvel article de Sébastien Wojewodka consacré aux Promesses de l’ombre, et mon étude de Spider –, Hou Hsiao-hsien (Café Lumière, Three Times), Béla Tarr (Satantango), Aleksander Sokourov (Mère et Fils), David Lynch (Inland Empire), Dario Argento (Ténèbres toujours, mais pas seulement) et quelques autres. Il se pourrait aussi que soient invoqués ici un certain nombre d’écrivains, de science-fiction ou pas, comme Cormac MacCarthy, Philip K. Dick, Samuel Beckett, Alain Damasio, Stephen Baxter ou Mark Z. Danielewski. Enfin, si mes démons m’en laissent le temps, une rubrique schizo, qui vraisemblablement effrayera aussi bien mes proches que mes collègues de travail, devrait également voir le jour… Mais pour l’heure, place à Ian Watson. Ce texte sur La Voix de Wormwood est une version légèrement remaniée d’un article paru dans le numéro 41 de Galaxies, revue dont l’arrêt brutal il y a quelques mois – alors que j’étais sur le point d’en prendre la direction – n’a sans doute pas été étranger au trait plat prolongé de Fin de partie… Mais qu’à cela ne tienne : Tranzu is back.

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    Ian Watson, l’auteur de L’enchâssement, est trop rare pour que la parution d’une novella et d’une nouvelle, même publiées par un éditeur confidentiel comme Dreampress.com, ne soit pas signalée. D’autant que ladite novella, « La Voix de Wormwood » (« A Speaker for the Wooden Sea », 2002), est un petit chef d’œuvre à l’enthousiasme communicatif, à la fois discret hommage à la science-fiction de « l’âge d’or » et passionnante variation autour de thèmes chers à la SF moderne. Et si je vous dis que la (courte) préface est signée Robert Sheckley, et que le livre se conclut par une amicale postface de Ian Watson himself, cela ne fait-il pas tilt dans vos connexions neuronales ?

    Lustig Firefox, secondé par sa « Compagne » nanotechnologique Lill (IA / ange gardien connectée à l’hyperlib), est chargé par un consortium interstellaire d’enquêter sur la possibilité d’exploiter les ressources de la planète Wormwood, presque entièrement constituée d’un océan de bois (oui, de bois !), dont les feuilles permettraient de produire de grandes quantités d’absinthe. Firefox, navigateur au même titre que son homonyme chez Mozilla, s’installe au Relais de la mer, établissement tenu par Mme Bonaccueil et sa fille Généreuse. L’aventurier originaire de Pancake (sic) s’intègre si bien à la rustique population locale, qu’il convainc même Thurible Excelcior, le Gardien de la Lumière, de lancer une expédition en mer. En fait, une chasse aux vers géants. Et c’est alors que Lill détecte en Wormwood une « forme de conscience globale »…

    Chez Watson, tout est langage. Comme l’explique le narrateur, l’origine même du nom Wormwood désigne à la fois le bois, wood, et les vers, worms, et l’Herbe aux vers, l’armoise amère. Et les tunnels creusés par les vers renvoient directement aux « trous de ver » précisément utilisés par Firefox pour rejoindre cette planète isolée (l’hyperconscience née de la fusion de Lill et de Wormwood, projette d’investir les étoiles via ces trous de ver). Bien sûr, on pense aux vers géants de Dune, à l’océan conscient de Solaris ou au varech intelligent de L’effet Lazare. Et à beaucoup d’autres. Et même à Moby Dick, pour sa portée symbolique et philosophique. Ian Watson, qui se réfère ouvertement, et depuis longtemps – cf. L’Enchâssement –, à Raymond Roussel et aux surréalistes, nous offre une lecture à plusieurs niveaux. Construite par associations d’idées, « La voix de Wormwood », d’un certain point de vue, est en effet une histoire… de cul. Ou plutôt, soyons précis, une histoire de bits (et de bittes), donc de bites [1], et de trous, comme en atteste ce subtil extrait : « Le globe continue à planer, reflétant des myriades de… / Fragments d’information – des bits. / Qui, j’imagine, passent dans les circuits du bois planétaire ». Mais ces jeux de langue ne sont jamais gratuits : au terme du voyage, après avoir frôlé l’Apocalypse – comme chez Melville, la nature, que la raison ne saurait circonvenir (qui a dit : circoncire ?...), reste une étrangère mortellement dangereuse –, Firefox revient au bercail avec une femme et un fils dont l’ADN pourrait bien se révéler lucratif. Entre autres…

    Le deuxième texte, « Le Passeur » (« Ferryman », 1996), s’intéresse, non sans humour, au sort d’une poignée d’éboueurs de l’espace chargés de convoyer au Cimetière les milliers de cercueils métalliques renfermant des cadavres extra-terrestres qui encombrent le système solaire. Entre les deux civilisations, la communication est rude. Surtout quand l’une des deux ne nous envoie que ses morts… Moins mémorable que « La Voix de Wormwood » mais brillamment mené, « Le Passeur » est un peu la cerise sur le gâteau.

    Certes, quinze euros pour deux nouvelles en une centaine de pages (émaillées par endroits d’agaçantes coquilles), c’est un peu cher. Certes, la couverture est tellement laide qu’on prend un plaisir masochiste à l’exhiber sous les yeux des trop sérieux voyageurs du métro aux yeux rivés au dernier prix Goncourt. Mais entre nous, un texte d’une telle qualité, aussi frais et dépaysant qu’un bon vieux Space Op’, moins ambitieux mais aussi intelligent que l’était L’Enchâssement, et qui, pour couronner le tout, réussit à convoquer plusieurs œuvres-clés de l’histoire de la SF sans jamais céder à la vanité de la citation postmoderne, mérite vraiment que vous vous connectiez toutes affaires cessantes, carte bancaire à portée de main, sur le site de Dreampress.com. Ouste.

    La Voix de Wormwood de Ian Watson, nouvelles traduites par Lionel Davoust et Benoît Domis, Dreampress.com, « 100Tinelles », 2006, 108 pages, 15 €.


    [1] Ou comment un blogueur à la fréquentation vacillante glisse subrepticement quelques mots-clés scabreux pour doubler en un clin d’œil ses statistiques…