« La part maudite de l'être humain est ce que depuis mon premier roman je m'emploie à explorer. Je n'en fais pas l'apologie. Je la regarde en face. »
Eric Bénier-Bürckel
Afin de ne pas abuser de votre patience, en attendant une série d’articles consacrés au cinéaste Hou Hsiao Hsien – nous commencerons dès cette semaine avec une étude de Goodbye South, Goodbye –, je vous invite à lire un passionnant entretien avec l’écrivain Eric Bénier-Bürckel, que juan Asensio et moi-même avons réalisé pour le Ring. Le Stalker avait écrit dans la Zone combien Pogrom échouait à rendre compte de la vérité comprise par son auteur, c’est-à-dire à être un véritable roman. « Eric Bénier-Bürckel, écrivais-je dans ma critique de Pogrom, met en scène son ambition (“Pénétrer dans la nuit des morts”) en même temps que son impuissance à l’accomplir pleinement, douloureusement conscient de n’être pas Léon Bloy, de n’être pas doué du génie ». Pogrom ou la mise en abyme de son propre échec. Nous avons tenté, avec Juan Asensio, de pousser l’écrivain dans ses retranchements, de discerner, entre des aspirations philosophiques et sa fascination pour le Mal, comment évoluerait sa littérature. J’ignore si nous avons réussi, mais même s’il nous paraît parfois ruser, Eric Bénier-Bürckel fait preuve dans cet entretien d’une intelligence et d’une lucidité rares. David Kersan, patron du Ring, regrette que notre homme n’ait « pas encore écrit le livre qu’il mérite d’écrire, celui qui obligera les fabricants d'antisémites, les salauds indignés, à ne plus jeter de sel sur la plaie qu'Éric Bénier-Bürckel n'a jamais désiré raviver ». Rien n’est plus faux cher David. Ce livre existe, il s’agit du premier écrit par son auteur, Un prof bien sous tout rapport, odyssée barbare sans fin ni commencement au cœur du nihilisme contemporain, à propos duquel je livrais ces quelques confidences : « Le livre de Bénier-Bürckel a ouvert une brèche en moi, il m’a renvoyé une image monstrueuse que je n’étais, sans doute, pas prêt à contempler sereinement. Mon malaise était de triple nature. Malaise métaphysique d'abord, parce que souvent, les réflexions cyniques de Bucadal font mouche, parce que philosophe malgré tout, il fait preuve d’une lucidité rare ; malaise viscéral ensuite, tant la description clinique des tortures m’a bouleversé les entrailles ; malaise ontologique enfin, à mon tour – le plus vertigineux –, car cet hyperréalisme halluciné a fini par m’aspirer au coeur de la diégèse, au cœur des ténèbres, et tandis que Bucadal sentait qu’il n’existait peut-être plus vraiment, j’avais quant à moi la sensation extrêmement dérangeante d’évoluer entre deux mondes, absent d’un Réel fantomatique, hanté par le spectre de ma propre folie potentielle, celle que je redoute plus que tout depuis ce jour maudit où j’ai senti, durant de trop longues minutes, vaciller ma raison, trembler mon emprise sur le monde, échapper mon corps au contrôle de mon esprit, déchirée mon âme entre deux pôles, entre deux maîtres, comme possédée »…