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Iron dream

  • Rêve de fer de Norman Spinrad / Le Seigneur du Svastika d’Adolf Hitler

     

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    Couverture mise au pilon. 

     

    « La pureté génétique est la seule politique de survie humaine ! »

    Feric Jaggar, héros du Seigneur du Svastika

     

    «  J’inclinerais pour ma part à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie-là. »

    Nicolas Sarkozy, candidat à l’élection présidentielle, dans Philosophie Magazine.

     

     

    Ce texte est une version revue et augmentée d’une critique parue dans la revue Galaxies n°40 (automne 2006).

     

    Les uchronies autour du Troisième Reich sont très nombreuses. Parmi les plus célèbres, citons Fatherland (1992) de Robert Harris, K (1997) de Daniel Easterman, La Séparation (2002) de Christopher Priest ou encore Le Complot contre l’Amérique (2004) de Philip Roth sans oublier, bien sûr, le fameux Maître du Haut Château (1962) de Philip K. Dick (et une ribambelle de nouvelles, dont certaines sont remarquables). Les Français s’y sont également essayés, de Jimmy Guieu ( La Stase achronique, 1976) à Johan Heliot (La Lune n’est pas pour nous, 2004), en passant par Dominique Douay (Le Principe de l’œuf, 1980) et Jean-Pierre Andrevon (Le dernier dimanche de Monsieur le chancelier Hitler, 1995). Et peu ou prou, toutes ces fictions expriment l’idée que l’Allemagne nazie, née sur les cendres encore chaudes de la première guerre mondiale, n’était pas seulement un accident de l’Histoire. Autrement dit : non seulement cela aurait pu se passer ailleurs (en France, en Angleterre, en Amérique…), mais surtout : cela pourrait encore se passer…

    Dans cette constellation, Rêve de fer (The Iron Dream, 1972) occupe une place à part. Tandis que la plupart des textes cités ci-dessus, mettent leurs lecteurs en garde contre les dérives sécuritaires, autoritaires, qui ne manquent jamais de resurgir dans nos pays occidentaux en temps de crise économique ou de menace terroriste, le roman de Norman Spinrad met en lumière l’insidieuse propagation de certains traits de l’idéologie nazie dans la culture populaire, dont nous trouvons un nouvel exemple, aujourd’hui, avec 300[1].

    medium_foliosf239-2006.2.jpgLongtemps introuvable – il n’avait pas été réédité depuis quinze ans –, Rêve de fer (interdit en Allemagne de 1982 à 1990 par le Bundesprüfstelle für jugendgefährdende Medien) est à nouveau disponible, depuis quelques mois, au terme de regrettables péripéties éditoriales (une première version de cette réédition ayant été mise au pilon in extremis, à cause d’une couverture – reproduite ci-dessus et remplacée par celle reproduite ci-contre – et d’une quatrième de couverture soudain jugées trop ambigües…). Remercions plutôt Folio SF de permettre à cette œuvre marquante, extrêmement dérangeante (aussi incroyable que cela puisse paraître, l’American Nazi Party en a même recommandé la lecture !) et unique en son genre de connaître un nouveau public.

     

    Ce rêve de fer, de cuir et de croix gammées n’est évidemment pas celui de Norman Spinrad, au-dessus de tout soupçon, mais celui, fictif, d’un écrivain de science-fiction renommé, Adolf Hitler… Avant même que le corps du récit commence, une deuxième page de titre nous apprend, bibliographie à l’appui, que nous nous apprêtons à lire Le Seigneur du Svastika, œuvre posthume et testamentaire saluée par un prix Hugo en 1954 (!), par l’auteur du Crépuscule de Terra, de La race des Maîtres et du Triomphe de la Volonté. Hitler , en effet, aurait fui la défaite allemande après la première guerre mondiale pour se consacrer à la science-fiction en Amérique : « Pendant de nombreuses années, il avait été une des figures de proue des Conventions, et sa réputation de conteur intarissable et spirituel avait fait le tour du petit monde de la SF. »…

    Dans Le Seigneur du Svastika, avec un talent pleinement consacré à l’édification des valeurs raciales d’Heldon – peuple de vaillants esprits et de corps sains –, Adolf Hitler décrit l’irrésistible ascension d’un jeune purhomme exalté, qui des bas-fonds de Borgravie empoisonnés par les gènes mutants – la Terre telle que nous la connaissons a été dévastée par le « Feu des Anciens », c’est-à-dire, nous le comprenons vite, une terrible guerre nucléaire –, gagne la tête d’une invincible armée, les Fils du Svastika, dont l’unique but est de garantir la pureté de la race helder. Feric Jaggar, pourvu d’une volonté de fer et de la légendaire Massue de Held, n’aura de cesse de détruire la vermine de Zind. Rien ne semble pouvoir arrêter la puissante armée de Feric, dont les meilleurs éléments, les valeureux SS (Soldats du Svastika), rivalisent d’héroïsme dans les batailles dantesques qui opposent Heldon[2] à la répugnante horde des mutants de Zind, composée de métis, de Dominateurs et de géants décérébrés (dont Zack Snyder s’est visiblement inspiré pour son adaptation du graphic novel de Frank Miller…). Héros de fantasy comme tant d’autres, Feric incarne assurément le fantasme hitlérien de l’homme pur, blond guerrier aux yeux d’azur, au caractère entier, et totalement dévoué à la défense de son peuple… À ses côtés combattent fièrement Bogel, commandant en chef de la Volonté Nationale et double uchronique de Joseph Goebbels ; le général Waffing, chef des armées en qui nous reconnaissons Hermann Göring ; Remler, fanatique commandant des SS que nous identifions rapidement comme Heinrich Himmler ; et Best, aussi dévoué à Feric que Rudolf Hess l’était à Hitler. Le Seigneur du Svastika n’étant pas un roman historique, mais bien une épopée de science-fiction ou de fantasy post-apocalyptique semblable aux space operas impérialistes qui pullulaient jadis – un peu moins aujourd’hui –, Feric et les Fils du Svastika réussissent sans mal, mais non sans hauts faits guerriers, à exterminer métis et mutants jusqu’au dernier. Et si la race helder se voit tragiquement menacée par le dernier coup bas des maîtres de Zind – avant d’expirer, le dernier ennemi réveille le Feu des Anciens et corrompt irrémédiablement le patrimoine génétique des purhommes –, elle trouve dans le clonage et la conquête des étoiles un souffle à la hauteur de son immarcescible volonté de puissance…

    medium_opta-am09.jpgTout le sel de Rêve de fer réside dans le subtil décalage opéré par l’identité de l’auteur du Seigneur du Svastika, Adolf Hitler. En effet, tandis que nous nous laissons emporter malgré nous, jusqu’à l’écœurement, par l’hystérie épique d’un roman qui transfigure – pour en mieux montrer l’absurdité – une imagerie et une idéologie de sinistre mémoire, nous ne pouvons qu’être durement frappés par ce qui relève, dans cette vibrante épopée raciale, non pas de l’horreur des Camps, mais des patterns les plus répandus, les plus recherchés, de la fantasy et du space opera… Or, Norman Spinrad, alors déjà auteur de plusieurs romans de SF (Les Solariens, Ces hommes dans la jungle, Les Pionniers du chaos et, surtout, le formidable Jack Barron et l’éternité), maîtrise parfaitement son récit. De sorte que, même s’il est totalement gangrené par les rêves fous et pompeux d’Adolf Hitler, qui épouse complaisamment le point de vue racialiste de Jaggar, Le Seigneur du Svastika bénéficie de tout son talent et s’avère d’une redoutable efficacité. La révolte du lecteur n’en est que plus vive. Le malaise s’installe très vite et ne fait qu’enfler, de page en page, jusqu’au délire des massacres, rudes à encaisser. Extrait : « Ainsi, poussée à des actions glorieuses d’héroïsme surhumain et de fanatisme infatigable, l’entité raciale qu’était Heldon fouaillait, tel un dieu possédé par les démons, les parties vitales de son antithèse, obscène cancer génétique de la fourmilière sans âme et sans vie de Zind. Quant aux guerriers de Zind, ils combattaient avec une férocité inscrite dans leurs gènes par une ignoble race mutante qui faisait profession de mépriser toute chair exceptée la sienne. » Certes, Le Seigneur du Svastika est abject. Certes, Le Seigneur du Svastika est grandiloquent. Et cependant, Le Seigneur du Svastika est une prouesse stylistique superbement restituée par le traducteur, Jean-Michel Boissier. Avec Rêve de fer, c’est ainsi un projet quasi borgésien qu’a mis en œuvre Norman Spinrad, comme le souligne pertinemment Ursula Le Guin dès 1973 : « He has done, in The Iron Dream, something as outrageous as what Borges talks about doing in "Pierre Menard" (the rewriting of Don Quixote, word for word, by a twentieth-century Frenchman): he has attempted a staggeringly bold act of forced, extreme distancing. And distancing, the pulling back from "reality" in order to see it better, is perhaps the essential gesture of SF. It is by distancing that SF achieves aesthetic joy, tragic tension, and moral cogency. It is the latter that Spinrad aims for, and achieves. We are forced, in so far as we can continue to read the book seriously, to think, not about Adolf Hitler and his historic crimes--Hitler is simply the distancing medium--but to think about ourselves: our moral assumptions, our ideas of heroism, our desires to, lead or to be led, our righteous wars. What Spinrad is trying to tell us is that it is happening here. »

    À la fin du roman, une vraie-fausse postface tente une interprétation psychanalytique du Seigneur du Svastika, ne faisant en vérité que rappeler l’évidence, comme le suggère Roland C. Wagner dans sa (vraie) préface : l’univers rêvé par l’auteur Adolf Hitler, d’où les femmes sont radicalement absentes, « fait figure d’immense partouze homosexuelle où une sexualité refoulée s’exprime à travers la violence extrême des protagonistes ». Il serait sans doute erroné de s’en tenir à une lecture au premier degré de cette analyse caricaturale du nazisme, d’autant que l’auteur fictif de la postface prétend – ultime pirouette – que « [b]ien évidemment, un tel homme ne pourrait pas prendre le pouvoir ailleurs que dans les fantasmagories d’un roman de science-fiction pathologique »…

    Il y a, tapie entre les lignes de cette féroce parodie du fascisme latent d’une certaine science-fiction (ou d’une certaine fantasy), l’idée essentielle que la machine nazie n’est pas réductible à ses caractères pathologiques, aussi évidents soient ces derniers. Si Norman Spinrad a fait émigrer Hitler aux USA, au point de lui décerner un prix Hugo, c’est que, pour lui, le Mal – qu’il a pris soin, dans son roman, de situer dans un pays inidentifiable plutôt qu’en Allemagne – plonge ses racines où il veut, y compris dans la littérature d’évasion la plus simpliste ; l’Holocauste fut moins une folie qu’un processus. Ainsi, plus encore que les fantasmes de pureté raciale et de cuir noir du Troisième Reich (qui ne sont plus à démontrer), c’est la thèse même de la psychopathologie d’Adolf Hitler qui est ironiquement écornée…

     

    « Laissez-vous emporter par Adolf Hitler dans un lointain futur, sur une Terre où Feric Jaggar et son arme invincible, le Commandeur d'Acier, se dressent seuls face à la menace d'anéantissement que font peser sur les derniers humains purs les abominables Dominateurs et les hordes de mutants décervelés qu'ils contrôlent totalement. Lisez et vous comprendrez pourquoi cette œuvre brille tel un flambeau d'espérance en ces temps de ténèbres et de terreur.

     

    Né en Autriche en 1889, Adolf Hitler émigra en Allemagne puis en 1919, aux Etats-Unis. Illustrateur de talent, il collabora au magazine Amazing Stories où il se fit remarquer par ses couvertures toniques et colorées. Passant à l'écriture, il est devenu l'un des maîtres de l'Age d'Or de la S.-F.

     

    “Cette œuvre fait de Hitler l'égal de Tolkien.”

    MICHAEL MOORCOCK

     

    “Loin d'apparaître comme un roman stéréotypé, cette œuvre émerge comme le produit des obsessions d'un personnalité perturbée mais puissante. ”

    HOMER WHIPPLE

     

    “L'intensité de la vision d'Adolf Hitler projette littéralement le lecteur dans cet univers parallèle qu'il a créé dans ses moindres détails. On comprend que cette œuvre énorme ait valu à son auteur une aura de légende.”

    PHILIP JOSE FARMER »

     

    Quatrième de couverture de Rêve de fer (édition Pocket Fantasy, 1992)

     

     

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    [1] 300 n’est pas un film d’inspiration nazie. Les valeurs qu’il exalte sont aussi celles de l’Amérique de George W. Bush qui, quoi qu’on en pense, restent celles d’une nation libre et démocratique. Mais les ressemblances troublantes avec les films de Leni Riefenstahl ou avec Les Fils du Svastika, le faux roman d’Adolf Hitler écrit par Norman Spinrad, devraient susciter sinon de la méfiance, du moins une distance critique que certains ont cru bon d’oublier…

    [2] Heldon a donné son nom au groupe de Richard Pinhas auquel ont collaboré Norman Spinrad (qui s’inspirera de l’expérience pour Rock Machine), Maurice G. Dantec et même Gilles Deleuze, alors que le groupe s’appelait encore Schizo.