Je tente de faire abstraction des odeurs animales qui s’épanouissent sous la voûte de la station au gré des perturbations atmosphériques les plus infimes. Dieu seul sait quels germes elles véhiculent en secret. Pour penser à autre chose, je me demande ce que devient le monde d’en haut, celui des vivants, lorsque je n’y suis pas, lorsque je n’en peux plus d’attendre au milieu des morts-vivants, lorsque le temps paraît suspendu en cet endroit précis, quelques pieds sous terre, sur un quai de la ligne 13. Le monde d’en haut existe-t-il encore ? ou n’est-il qu’une représentation ?...
Lent panoramique. Le visage d’Hugo en gros plan et les voies en arrière-plan glissent en hors champ, captant au passage quelques voyageurs impatients, tandis que la caméra remonte le long des câbles et des tuyaux puis débouche à l’air libre à quelques mètres au-dessus de son crâne...
...Le quartier surpris par le gel prend vie au ralenti, engourdi par la température sibérienne. Devant la bouche de métro un homme marié que rien ne distingue des autres fait les cent pas, les mains enfouies dans les poches. Il attend fébrilement son rendez-vous en observant la buée qu’il fait avec la bouche : il s’apprête à coucher pour la première fois de sa vie avec un autre homme, un jeune homosexuel rencontré dans un forum gay sur le net – signe distinctif donné par e-mail : « blouson de cuir rouge et bonnet noir ». Ils vont le faire chez lui, dans son F4 cossu de la rue du Château, dans la chambre conjugale. Obnubilé par son rendez-vous, le pouls dopé à l’adrénaline, il n’écoute que son sexe et n’entend pas le maghrébin quadragénaire qui s’époumone en français dans une des cabines téléphoniques jouxtant le kiosque à journaux. L’Arabe au téléphone tente de convaincre son épouse qu’il a passé la nuit au bureau sur un dossier urgent et pas au bistrot du coin ou, pire, chez une autre femme. Une autre femme ? Quelle idée ! A part une prostituée peut-être, aucun membre du sexe opposé ne s’abaisserait à supporter son haleine avinée ! Mais ça, sa femme ne le sait pas. Plus loin, la boulangère et son accent parisien rendent sa monnaie à un vieil homme boiteux que sa famille ne visite plus depuis des mois et qui vient d’acheter sa baguette comme chaque jour. En face, une porte d’immeuble s’ouvre sur une jolie brune d’une vingtaine d’années à peine qui sort tout juste d’une douche purificatrice après une longue et intense nuit d’amour, un sourire béat éclairant son visage ovale. Elle ressemble à Aurore. Son nez est déjà rougi par le froid. Les observateurs expérimentés s’apercevront cependant que son front empourpré témoigne de tout autre chose que de la température hivernale. Certaines femmes développent des rougeurs sur certaines parties de leur corps quand elles ont joui.
Aurore...
...Panoramique. La caméra s’engouffre par une voie d’aération, se glisse dans les conduits et débouche sur le quai, juste à temps pour saisir le profil d’Hugo, en gros plan.
Sous la voûte de la station, je penche la tête à droite, puis à gauche, exercice quotidien de relaxation des muscles du cou. Les yeux mi-clos, je sens craquer mes cervicales ; j’en retire une vague satisfaction.
L’indicatif de la RATP retentit, suivi par un message enregistré. Les gens se raidissent au son de l’annonce, tels des suricates en position d’alerte, craignant sans doute d’être victime d’une perturbation inopinée du trafic. Mais non. « Mesdames et Messieurs, des pickpockets sont susceptibles d’agir dans cette station. Nous vous prions de rester vigilants et de bien surveiller vos effets personnels. » Pickpocket... J’aime à m’imaginer en héros bressonien, modèle transcendé par l’œil du maître et dont chaque geste, chaque mot prononcé, serviraient un but précis et ineffable. Hélas je ne suis qu'os, chair, sang et poils.
Par réflexe ou par association d'idées, je vérifie d’un tâtonnement automatique que mon portefeuille repose toujours dans la poche intérieure de mon manteau, puis je passe ma main – pas encore gantée – dans mes cheveux épais afin d’entretenir leur volume. Depuis mon enfance, mes cheveux blonds sont répartis en deux camps bien distincts : hémisphère droit contre hémisphère gauche, rationalité contre inventivité, pragmatisme contre intuitivité. La raie au milieu – « tête de cul ! tête de cul ! » – est ainsi pleinement constitutive de mon être, au même titre que la couleur de ma peau – blanche, comme celle d’Aurore. Comme est constitutive de mon être également, depuis ce matin, mon excroissance intime, ma chose indicible. Est-elle vouée, comme un vulgaire phallus – ou comme le canon d'une arme de poing –, à culminer à une vingtaine de centimètres le long de mes côtes, troisième bras atrophié, inutile, disgracieux ?
Quelques semaines plus tôt, un rasoir à la main (double lame pivotante, bande lubrifiée), j’avais écouté un reportage radiophonique de France Inter sur les bonobos, ces singes proches du chimpanzé qui partagent avec l’homme 98% de son matériel génétique. Un spécialiste y avait déclaré, à ma grande stupeur, que l’une des marques distinctives des bonobos était leur « coupe » : la raie bien au milieu, comme s’ils passaient deux heures chaque matin à les peigner avec soin ! J’avais alors contemplé mon reflet dans la glace, mon crâne puis mon torse poilu taillé dans la pierre, et j’y avais décelé les preuves irréfutables de ma bonobitude. Et, bien que le crâne de ces foutus primates soit en réalité fort différent du mien, je n’avais pu me débarrasser de cette troublante analogie. Nous sommes tous des singes, un peu moins velus et à peine moins sauvages que des macaques. Plus dangereux aussi.
Bien plus dangereux.
Sur le quai d’en face, nettement moins agité – car plus proche du terminus en direction de Châtillon –, une belle rousse aux yeux verts s’impatiente. Je l’observe du coin de l’œil, vaguement séduit. Tous des singes. Les bonobos sont connus pour leur activité sexuelle débridée et pour leurs incroyables facultés orgasmiques. Ils utilisent l’érotisme et toutes ses variantes comme un outil efficace de régulation des tensions sociales. Images mentales de la rouquine, nue. Je lui pétris ses gros seins pendant que je la besogne. Masturbation, coït, flirt poussé et caresses buccales sont monnaie courante chez les bonobos. L’appareil génital des femelles présente souvent toutes les caractéristiques de l’excitation sexuelle, même en dehors des périodes habituelles de reproduction – les grandes lèvres et le clitoris gonflent ostensiblement. Ma queue de singe en rut lui arrache de petits grognements. La vulve est placée plus haut que chez les femelles d’autres espèces, où elle pend généralement de manière bien visible entre les cuisses. Cette particularité explique en partie pourquoi les femelles bonobos semblent affectionner la position dite « ventre à ventre » – qui existe aussi entre femelles, curieusement –, tandis que les mâles, plus proches pour leur part des autres chimpanzés, ont un penchant prononcé pour la levrette, position dite « ventro-dorsale » – exactement comme leurs cousins humains en somme : les hommes adorent prendre les femmes par derrière ; je n’échappe pas à la règle.
Aurore en revanche n’aimait pas cela. Elle préférait la position « ventro-ventrale ». Elle était aussi éloignée d’une guenon qu’il est possible de l’être. Elle était un ange.
La vulve d’un ange n’est pas offerte et tumescente.
La vulve d’Aurore était aussi fraîche et délicate qu’un pétale de rose.
Commentaires
La critique littéraire qui se permet de commenter les charmes d'une écrivaine (ça s'écrit puisque je l'écris), je pense à la note sur A. Nothomb (bel argument littéraire!), les femmes que la critique aime prendre par derrière (vous avez vu trop de porno)... Vous voulez vous/nous convaincre de quelque chose? C'est vrai, j'ai toujours eu des doutes sur les critiques... Machisme rampant et grosses frustrations! Il faut montrer que l'on est un homme de lettres mais un homme avant tout. Pathétique!
Ceci, mon/ma cher(e), est une fiction. Et votre vision de l'amour doit être bien pauvre, pour que vous assimiliez de la sorte une position sexuelle à la pornographie...