« La nuit, je revois la poussière noire obscurcissant les rues silencieuses, et sous ce linceul, des cadavres grimaçants ; ils se dressent devant moi, en haillons et à demi-dévorés par les chiens ; ils m’invectivent et deviennent peu à peu furieux, plus pâles et plus affreux, et se transforment enfin en affolantes contorsions d’humanité. Puis je m’éveille, glacé et bouleversé, dans les ténèbres de la nuit. Je vais à Londres ; je me mêle aux foules affairées de Fleet Street et du Strand, et ces gens semblent être des fantômes du passé, hantant les rues que j’ai vues silencieuses et désolées, allant et venant, ombres dans une ville morte, caricatures de vie dans un corps pétrifié. »
H.G. Wells, La Guerre des mondes.
« A l’appel de la vie le temps accourt,
prolongeant la seconde où l’on vole en éclats.
Comment l’effroi s’insinue en nous,
comment la peur s’exhale de nous.
Comme il est dur d’être mis en lambeaux. »
Harry Martinson, Aniara, une odyssée de l’espace.
Je ne crois pas, contrairement au riboulant Maurice G. Dantec qui, visiblement réjoui, s’est encore fendu sur le ring, en compagnie de Cyril Pahlavi, d’un atrésique « papier » qu'il est permis de juger islamophobe, et vraisemblablement destiné à attirer l’attention de journalistes effarouchés – la méthode a fait ses preuves et nous apprenons, comme par hasard, la naissance imminente du site officiel de l’expatrié québécois, à quelques semaines de la parution de son nouveau roman… – et digne, en tout point, de figurer sur le forum putride des « jeunes » de l’UMP, je ne crois pas, donc, que les attentats (vraisemblablement) islamistes perpétrés la semaine dernière à Londres constituent les quelconques prodromes d’une « guerre des mondes » au sens où seraient confrontés non seulement des antagonistes fondamentalement, définitivement différents, des adversaires, des ennemis – on perçoit sans peine où l’usage de ces deux derniers termes, pour peu que les saintes majuscules y soient décrétées, nous mène...
La similitude frappante entre les éprouvantes images du chaos londonien et l’extrait du roman de H.G. Wells cité plus haut – que l’autre Welles, Orson, adapta en mémorable canular-fiction radiophonique… – ne doit cependant pas nous égarer : si les envahisseurs martiens inventés par l’auteur anglais – dont la puissance de feu était autrement plus formidable, tout de même, que celle des zélotes (oh !) pouilleux d’Al Qaida –, si les tripodes monstrueux de Wells faisaient bloc, soldats inhumains unis – utilitarisme à la mode alien… –, pour notre destruction totale, les terroristes ne sont, eux, que des clandestins minoritaires, des êtres humains malgré tout, barbus, stupides et lâches assassins dissimulés dans la foule musulmane qui dans son immense majorité, condamne leurs abjections. Non, je ne crois pas que plane en Occident, cette « terreur islamiste » (lire cet intéressante réaction de Marc Alpozzo) dont certains hâbleurs nous rebattent les oreilles à des fins sans doute propitiatoires, pas plus du moins que ne l’emporta au final la « terreur » communiste pendant la Guerre Froide, pas plus, encore, que ne pèse sur nous la moindre « terreur » virale. Les Israéliens peuvent être terrorisés, à juste titre. Les Palestiniens, également. Mais nous !... Ici existent seulement – ce qui devrait suffire cependant à exacerber notre vigilance – des menaces ponctuelles, et somme toute limitées, d’attentats nihilistes – hier anarchistes, là-bas indépendantistes, là encore islamistes.
Juan « Stalker » Asensio, à son tour, martèle, confus et visionnaire : « Reste une dernière voie, la seule qui affirmera, sinon notre victoire, en tous les cas notre honneur, moins que cela, un dernier soubresaut de notre honneur retrouvé, reconquis. Car ces morts-vivants, ces hommes (que seraient-ils donc, bon sang, sinon des hommes ?) prêts à mourir en chantant, outre le fait de démembrer quelques malchanceux Occidentaux obnubilés par la perfection de leur corps, parviendront peut-être mais j'en doute, à réveiller quelques-uns d'entre nous, les plus braves ou bien celles et ceux qui, eux aussi, ne craignent point la mort, pour aller défendre le territoire sacré du parc européen où gambadent et broutent en toute insouciance quelques millions de gras moutons. ». Et alors ? ai-je envie de demander, sarcastique… Et alors, en effet ? Une fois envisagé ce conflit entre d’une part, quelques milliers de tarés lobotomisés – une goutte d’eau viciée – et d’autre part, des centaines de millions d’occidentaux – le vieil Océan –, que devrions-nous faire ?... Déclarer la guerre, comme l’insinue Dantec ? Mais CONTRE QUI diriger nos missiles, par tous les dieux ? Contre les Arabes, TOUS les Arabes ?... Contre les Musulmans, TOUS les Musulmans ?... Appeler la pucelle de Saint-Cloud pour les bouter hors de France ? Convoquer Philippe Auguste et les Plantagenêt ? Confondre Saladdin et Bin-Ladin ? Devrions-nous donc larguer nos bombes, anéantir les pays d’origine des terroristes, soumettre des hommes, des femmes, des enfants, au fer vengeur – et, peut-être, radioactif – de prétendus « croisés » non moins fanatiques que leurs agresseurs – l’histoire en témoigne [1] – ? refaire, au nom de la « lutte antiterroriste », un Hiroshima d’Asie mineure ou d’Afrique du nord ? surpasser, au nom du confort occidental, le déluge infernal que les Alliés infligèrent à Dresde ? Devrions-nous vitrifier, pour plus de sûreté, la ceinture du croissant vert, rayer ses peuples impies de la carte ? C’est aux polices ! c’est aux services de renseignements ! de démanteler les réseaux terroristes, d’expulser ou, mieux, d’emprisonner les égorgeurs, équarrisseurs et plastiqueurs en tous genres – religieux, politiques, écologistes, etc. – qui mettent nos vies en danger ; pas aux machines de guerre. C’est aux gouvernements, aux parlements, aux exécutifs de freiner l’implantation en Europe d’un Islam qui, on le sait, distille dans ses mosquées les plus virulentes le poison extrémiste – de la freiner ou, à tout le moins, de la contrôler. En vérité ce genre d’anathème utilitariste qui ne dit pas son nom a pour seule conséquence – mais quel gâchis ! – la prolifération incontrôlée des pulsions xénophobes les plus viscérales, c’est-à-dire les plus primitives, des Occidentaux comme des émigrés (et non un hypothétique « sursaut » qui, selon ces mêmes prophétaillons de l’Occident, est de toute façon illusoire puisque celui-ci serait, toujours selon eux, déjà mort)... L’éréthique Dantec et ses épigones vaticinent, éructent, vocifèrent sans jamais cependant exaspérer le moindre imbécile – car les imbéciles, eux, frétillent de la queue ou ne lisent que la boue excrémentielle des tabloïds – sinon les béats thuriféraires d’un joyeux cosmopolitisme œcuménique. A première vue, j’aurais tendance à suivre le Stalker lorsqu’il écrit encore : « Ils sont vivants et nous sommes morts, je mesure bien toute l'horreur de ce que je viens d'écrire. Oui, […] car, aussi fanatisés qu'on les voudra, aussi incultes, intolérants, anti-féministes, homophobes déclarés, horriblement non-républicains et surtout, cela est parfaitement impardonnable, résolument ennemis de l'esprit tellement vertueux, internationaliste et humaniste du Baron de Coubertin, ils défendent encore une conception illuminée de la vie à coups de morts et de suicides et nous ne défendons rien […] » Rien de plus exact, comment le nier ? Et pourtant, le cerveau irrémissiblement ensemencé par les mèmes transhumanistes, je ne puis m’empêcher de deviner contre lui – contre nuit –, que ces fous d’Allah – que je soupçonne de ne jamais avoir lu le Coran, c’est-à-dire de n’être tout simplement pas Musulmans ! de n’être que nihilistes – sont, eux, déjà morts, empoisonnés jusqu’à l’os, par le venin religieux, le Mal – le « Nihilisme ». Et d’ailleurs lui-même, Stalker, n’évoquait-il pas plus haut, à leur encontre, l’état peu ragoûtant de « morts-vivants » ?... Non Juan, les terroristes n’ont pas « consommé leurs noces avec le nihilisme » : ils sont, eux, les nihilistes les plus abjects, les plus basiques, les plus dangereux qui soient – les moins vivants, en dépit de leurs violentes trémulations. Bien vivants en revanche sont encore, et seront jusqu’à la fin dernière : Bernanos, Lautréamont, Burroughs, Céline, Dick, Bergman, Cronenberg, Tarkovski, Bach, Mozart, Arvo Pärt. Le néant est le royaume de ces zombies auxquels Juan consent vie, et je refuse de commettre la même erreur – je refuse tout net d’imposer par les armes, comme ils tentent de le faire, la Civilisation mienne au monde entier. Ce n’est qu’une intime conviction, mais quotidiennement renforcée – je ne crains pas les sarcasmes – par mes voisins d’immeuble, dans mon quartier populaire parisien : si l’on y parle peu Français, s’y côtoient cependant sans tension visible – sinon aux alentours de 23 heures 30, à la sortie tonitruante des troquets – blancs, Noirs africains, Arabes, Indiens, Chinois, Vietnamiens, Sud-américains, Turcs et autres étudiants hollandais… Et vous savez quoi ? Je ne suis nullement « terrorisé », pas plus que mes propriétaires, pourtant racistes bon teint…
Ah ! mais puisque vous en êtes à spéculer, à vous prendre pour les Cassandre de la Toile, pour des Bloy courroucés : qu’en pensent les auteurs de science-fiction et d’anticipation ? A priori, le temps de la naïveté lénifiante – Jihad de Jean-Marc Ligny, qui décrivait un France fasciste où les Arabes étaient impitoyablement pourchassés – semble en tout cas bel et bien perdu – je ne m’en plaindrai pas –, même si Pierre Bordage, dans L’Ange de l’abîme et Les Chemins de Damas (deux pavés poussifs parus au Diable Vauvert, formant trilogie avec le non moins dispensable Evangile du serpent) ose encore suggérer que la guerre qu’il a imaginée entre Orient et Occident aurait été initiée (et entretenue) par les Etats-Unis… L’angélisme multi-ethnique donc, à quelques exceptions près, a fait long feu.
L’Helvète Georges Panchard, lui, premier francophone à être publié dans la collection Ailleurs & Demain chez Laffont (dirigée par Gérard Klein) depuis Michel Jeury dans les années quatre-vingt, est plus réaliste. Forteresse, son premier roman, situe son récit en 2039, une douzaine d’années après les guerres du Réveil entre l’Orient islamiste et l’Europe libérale. Tandis que cette dernière se débarrasse de ses ultimes ressortissants musulmans, les Etats-Unis sont devenus nation évangéliste, puritaine, obèse – quant au reste du monde, hormis les Yakuzas hi-tech, nous n’en saurons quasiment rien. Pour Georges Panchard il ne fait pas de doute que l’Europe, manoeuvrée par des multinationales toutes puissantes dont les dirigeants – les vrais maîtres du monde – se terrent dans d’inexpugnables « forteresses » afin d’échapper aux spadassins des mafias et des concurrents, cette Europe-là – la nôtre, à moyen terme – ne saurait assimiler l’Islam djihadiste, pas plus d’ailleurs que le Christianisme, dont l’Amérique protestante, ployant sous son propre poids – où l’individu est nié dans son corps comme dans son esprit –, représente l’impasse la plus éloquente. Les ardents (lire : fanatiques) défenseurs de l’Occident chrétien me font d’ailleurs penser aux myriades de planètes, dans Des milliards de tapis de cheveux de l’Allemand Andreas Eschbach (L’Atalante), dont les habitants, isolés du reste de la galaxie, vénèrent encore l’Empereur-Dieu tout puissant alors que celui-ci est mort des années plus tôt, vaincu par les rebelles qui depuis lors sont au pouvoir…
Les auteurs les plus passionnants proposent ainsi une vision souvent très noire, mais jamais binaire de l’avenir de l’Occident – Christopher Priest, avec Le Rat blanc (Presses de la cité), dans lequel l’Islam a conquis la planète, démontrait même que c’est le rejet xénophobe de l’étranger, et non son intégration, qui excite les frictions interethniques ou religieuses. Ainsi le jeune Stéphane Beauverger, dans son excellent Chromozone (éditions La Volte), autre thriller d’anticipation dans la veine de Babylon babies de Dantec ou de Rock Machine de Norman Spinrad, montre une Marseille post-apocalyptique divisée en territoires communautaires – « l’ordre » étant assuré par des milices privées. Parmi ces minorités dominantes se trouvent les Musulmans bien sûr, en position de force dans le sud de la France. Mais cet Islam, soucieux de survivre et de prospérer dans une société néodarwinienne où la puissance économique fait loi, est plutôt modéré – on utilise même un mutant, Khaleel, pour intercepter et analyser les flux d’informations « phéromoniques » (qui remplacent, dans le roman, les informations numériques totalement détruites par un virus militaire).
Mais si la plupart des écrivains refusent les oppositions binaires, c’est que de toute évidence la vraie menace, pour l’Occident, telle que désignée – n’en déplaise à Dantec –, par George Orwell dans son chef d’œuvre 1984 – qui érige les « arts » en tant que partage de connaissance (ou de « sensibilité » écrivit Lyotard), en l’occurrence le langage (l’écriture) en dernière défense de la métaphysique, en dernier rempart contre le Novlangue –, n’est évidemment pas ce monde Arabe aux abois, ultime refuge sans doute des fanatiques religieux – la Chrétienté, soit dit en passant, eût aussi son heure – sur une planète conquise par l’individualisme, mais bien plutôt celle, dénuée de portrait-robot, aux traits aussi banals que les vôtres, du nihilisme postmoderne. Relisons Ballard et son Millenium People – « Pour la première fois dans l’histoire humaine, un ennui féroce régnait sur le monde, scandé par des actes de violence dénués de sens », ce qui, justement, en est « exactement le sens ». – où « [renverser] les gratte-ciel, réveillait des peurs assoupies depuis longtemps dans notre esprit. » Nous retrouvons l’idée, exprimée par Juan Asensio, qu’il faut espérer une réaction à ces banderilles ennemies… Mais pour Ballard la partie est finie – nous serions tous, eux, nous, déjà morts… Dans notre monde-parc à thème où « tout est transformé en spectacle », les uns font éclater leurs bombes, les autres font mine de s’indigner, et basta ! De Millenium People j’écrivais récemment dans Galaxies (n°36) : « Le terrorisme n’est pas tant ici la marque d’un choc des civilisations que celle d’une guerre du sens, ce qui nous vaut d’ailleurs les plus belles pages du roman, où Ballard retrouve son art de la métaphore et sa scansion prophétique : “Une bombe terroriste […] produisait une violente déchirure dans le temps et l’espace, brisant la logique qui maintenait le monde en place.” Le monde moderne selon Ballard ressemble à une banlieue sans fin, à un centre commercial peuplé de morts-vivants, cadavre du 20e siècle que seule une secousse de l’ampleur du 11 septembre 2001 pourrait ranimer. C’est pourquoi les résidents de la Marina [d'où la fronde terroriste londonienne est partie], s’en prennent d’abord à des symboles — la Cinémathèque, la Tate Gallery (du « Walt Disney pour classes moyennes » !) — avant de leur préférer des cibles totalement gratuites. Ils cherchent à nous faire réintégrer le réel à coups de bombes incendiaires, sans se rendre compte qu’ils sont eux-mêmes partie intégrante du spectacle ! Comme le narrateur de Glamorama de Bret Easton Ellis (roman halluciné dans lequel des “people” s’improvisent poseurs de bombes…), Markham ne cesse de s’interroger sur son identité sociale, incapable de trouver un sens à ses actes. Et comme chez Ellis encore, ces derniers paraissent mis en scène, joués dans un décor factice : Londres prend ici des allures de cliché hollywoodien, signe que la bataille est déjà perdue. Pour les figurants de Millenium People, la révolution n’est en définitive qu’une nouvelle lubie, à peine plus excitante que les autres. Même Crash !, devenu fétiche socioculturel, y est parodié (par l’entremise de la femme de Markham, qui simule un handicap) et les soubresauts sexuels du héros — plus absent que jamais — ne sont rien de plus qu’un réflexe post-mortem. »
Relisons donc également Ellis qui dans son chef d’œuvre Glamorama ne voit dans ces carnages mondains qu’un « truc des effets spéciaux », du « maquillage », des « accessoires » qui n’ont guère plus de sens que le sexe ou le cinéma – Victor Ward, arpentant les ruines sanglantes du Ritz qu’une bombe a littéralement soufflé, croit encore voir « de temps en temps un mannequin en mousse figurant un cadavre. ». La cible d’Ellis, comme de Ballard – la fin de Millenium People est désespérée – est évidemment la lèpre relativiste qui ronge, sans espoir de rémission, le Réel. Le danger, c’est de ne considérer ces massacres dramatiques – New York, Madrid et Londres, mais aussi Kigali ou Srebrenica (où furent tués, tout de même, huit mille Musulmans…) – comme de simples informations – distractions – et non comme des événements réels et meurtriers. Si nous nous révélons incapables de tracer la limite, nous sommes effectivement perdus.
[1] L’auteur de L’Antéchrist qui n’avait rien, lui, d’un « timoré » quant il s’agissait des valeurs de l’Occident, écrivait ces mots qui, aujourd'hui, seraient sans doute qualifiés par d'aucuns de « lénitifs » : « Si l’islam méprise le christianisme, il a mille raisons pour cela ; l’islam a des hommes pour condition première… […] Le christianisme nous a frustrés de l’héritage de l’islam. La merveilleuse civilisation maure de l’Espagne, plus voisine en somme de nos sens et de nos goûts que Rome et la Grèce, cette civilisation fut foulée aux pieds (– je ne dis pas par quels pieds –), pourquoi ? puisqu’elle devait son origine à des instincts nobles, à des instincts virils, puisqu’elle disait oui à la vie, et encore avec les magnificences rares et raffinées de la vie mauresque !...[…] Soyons donc impartiaux ! les croisades – de la haute piraterie, rien de plus ! » Je veux bien croire que les choses aient changé, mais des Musulmans de ma connaissance – certes pas très pratiquants, mais n’est-ce pas justement ceux-là qui m'importent ? – me prouvent souvent par lur intelligence, leur culture, leur ouverture, que le vie, en effet, n’est pas toujours du « côté » que l’on croit…
Commentaires
Cher Olivier. D'abord, superbe papier, dans lequel, à la différence de ma bafouille, tu as pris le temps de développer, donct acte. Je ne l'ai pas fait et j'espère que tu auras considéré le texte mien dont tu parles comme une modeste réaction, avec toutes les limites que le genre impose, à l'événement que tu sais et, plus largement, au contexte.
J'espère ensuite, mais peut-être ai-je lu un peu trop vite, que tu ne m'assimiles pas aux prophètes de foire que tu décris. Confusion ? Je ne vois pas trop mais je développe. L'homme occidental, dans sa MASSE, ne vaut rien. Il est mort ou moutonnisé. Le terroriste islamiste est-il vivant ? Non, mort-vivant. Deux nihilismes s'affrontent mais je pense que celui de l'illuminé est plus proche de la lumière, en ceci qu'il garde, MEME DEVOYEE, une idée d'un salut HIC ET NUNC, qui s'imposera par la force, la folie, le meurtre, le chaos. Sabattaï Tsevi, admirablement décrit par Scholem, n'est pas loin et nos amis barbus n'ont rien inventé... Et encore, je te fais grâce du pullulement des sectes plus ou moins chrétiennes qui entendaient précipiter la fin du monde. A la tiédeur, je préfère toujours la violence qui, à mon sens, garde encore quelque idée, saveur de la vie.
Les polices, les gouvernements : oui mais... blabla. Car, et tu le sais comme moi, ceux-ci sont fondamentalement muselés par nos p... d'opinions publiques, dirigeables à souhait, plus émotives qu'une chienne en chaleur.
"Bernanos, Lautréamont, Burroughs, Céline, Dick, Bergman, Cronenberg, Tarkovski, Bach, Mozart, Arvo Pärt". Fort bien mais, encore une fois... et alors ? Tu pourrais citer le même nombre d'auteurs et/ou de génies d'origine arabe (au sens le plus large de ce terme) que nous ne serions pas plus avancés : je veux bien croire en la précellence de l'esprit, sa force véritable triomphant toujours sur la force brute mais, un moment venu, il ne faut pas craindre de se pencher sur le gouffre, à savoir : notre inconstance, l'homme creux que je suis devenu. Finalement, ces auteurs, pour faire vite, pointent notre vide et la permanence de quelques âmes fortes capables d'élan vers la beauté, l'art, Dieu. Que nous proposes-tu Olivier ?
Rien, sinon une bonne petite continuation de la situation actuelle, j'oubliais, ce fichu christianisme en moins, qui a l'air de te poser un sérieux problème ainsi qu'à Steiner rêvant une grossière Europe post-religieuse.
Je n'y peux rien moi mais l'Europe, que Steiner ou toi ne soyez pas contents, restera, malgré elle si tu le souhaites et comme en rêve ou en nostalgie, chrétienne, à moins de renier des siècles d'histoire. Peut-être y aura-t-il reniement mais tu sais, avec Pierre (mais aussi Judas), combien ce genre de mauvaise conscience est capable de tarauder un esprit...
Ah oui, dis donc, le coup de la bonne intelligence, sur le même pallier de porte, entre communautés, franchement, n'est pas digne d'une saillie d'un Besancenot un peu coincé durant un débat...
Merci en tous les cas pour ta science science-fictionnesque.
Cher Juan,
Je craignais en effet que mes propos soient mal compris - défaut de construction sans doute. Je ne t'assimile évidemment pas à ces "prophètes de foire", seulement ton billet - qui tranche, il faut bien l'avouer, avec les arguments massue de certains -, avec lequel, je l'ai dit, je suis d'accord, fait quand même de l'Islam et des Musulmans, par défaut si tu veux, des boucs émissaires. C'est-à-dire : des cibles. des ennemis.
Que puis-je proposer alors sinon, en effet, une sorte de status quo, c'est vrai, avec tout de même (car nonobstant ma petite tirade besancenotesque, je ne suis pas si naïf) des moyens accrus pour les institutions chargées de nous protéger - et je ne crois pas qu'elles en soient incapables : le nombre de morts serait, sinon, infiniment supérieur.
L'ennui, vois-tu, avec ce faisceau d'index vengeurs pointés vers les peuples d'Islam, c'est que je n'y lis généralement, sinon sous la plume rance du Front National, aucun dessein identifiable. Je suis évidemment convaincu, si c'est ce que tu sous-entend, de la nécessité de mieux contrôler l'immigration, d'où qu'elle vienne, et de surveiller étroitement - les neutraliser - les imams fondamentalistes qui sévissent ici et là. Si ce qui est sous-entendu, c'est que les pouvoirs publics feraient bien de réviser leur bienveillance naïve ou populiste envers une religion qui ne saurait être celle de la France, je suis encore d'accord. Mais curieusement, je n'y vois le plus souvent qu'une simple incitation à la xénophobie.
Par ailleurs, mon problème avec le Christianisme - tu en connais les raisons, écrite par Nietzsche depuis longtemps - ne m'aveugle pas au point de ne pas voir que, comme tu l'affirme, l'Europe est historiquement, intrinsèquement, chrétienne. Ce qui, n'en déplaise aux misonéistes nostalgiques d'une chrétienté puissante, n'en reste pas moins critiquable et, in fine, surmontable. Je ne crois pas du tout à un avenir chrétien pour l'Europe, mais bien plutôt à un avenir métaphysique dont l'héritage chrétien serait assumé, assimilé, réassemblé à l'aune des nouvelles connaissances.
Enfin, pour moi, les terroristes sont plus proches des ténèbres que de la lumière, quand les zombies occidentaux, moutonneux en effet, robotiques pourrait-on dire, évoluent dans un entremonde gris, terne, uni. Mais il me semble que tu te trompes de comparaison. Tu opposes la minorité des fous d'Allah à la "MASSE" (c'est toi qui soulignes) d'occidentaux déjà morts, quand il faudrait les opposer bien plutôt à la minorité d'occidentaux qui, tant bien que mal, mais avec non moins d'efficacité que leurs ennemis, portent encore quelque étincelle lumineuse dans le brouillard postmoderne.
Merci à vous deux pour la qualité, la clarté du dialogue.
Bienvenue en Interzone, Bill...
Je n'ai ni votre talent ni le temps pour developper, mais il me semble qu'une voie que le transhumain n'envisage pas est celle de la bataille des idees, des memes, pour les cerveaux europeens, contre l'apaisement munichois qui prevaut sur les ondes. Voir ce site tres renseigne,
http://www.ludovicmonnerat.com/
Je viens d'ailleurs de lire le texte de Cyril Pahlavi sur le site du Stalker. ;-)
Brillantissime,
Vous êtes sans doute le fils du Docteur Benway.
Bien à vous.
Le Stalker croit-il sincèrement défendre la culture chrétienne de l'Occident en réagissant à chaud, sur son blog, à "l'événement" (les attentats de Londres) et à son "contexte" (évidemment réduit au terrorisme et à la publicité qui lui est faite par les médias internationaux)? En tout cas, ni la modestie ni l'intelligence des "événéments" ne l'étouffent, il va sans dire. Que ne porte-t-il son regard vers les décennies d'esclavage, d'écrasement, de massacres et de pillages que l'Occident a fait subir à cet Orient dont il ne parle que pour commenter les informations du jour quand elles sont sanglantes? Il n'y a qu'une chose à dire, qu'on soit chrétien ou pas, sur ces quelques pauvres types qui se font exploser, parfois tout seuls... CE N'EST RIEN, RIEN DE RIEN, COMPARE AU JUSTE RETOUR DES CHOSES, qui ne manquera pas d'arriver. Le pouvoir actuel, LA VALEUR (l'argent), exige une expansion sans limite. L'Occident a pris quelques siècles d'avance, violemment, impitoyablement, (nécessairement), et il s'enfonce dans le vide plus vite qu'ailleurs. Pendant ce temps, le reste du monde lui court après, y réussit parfois, à coups de travaux forcés, de servitude généralisée au dieu vil, d'autres fois le reste du monde chancelle, et alors les infinies contradictions entre la valeur et la vie explosent en folie collective, folie individuelle, comme ici, comme partout. Le Stalker, ce c(h)réti(e)n, ne connaît même pas l'arme de Satan la plus redoutable, pourtant elle fut désignée par tous les Evangiles, et par le Coran, etc. Le Stalker boursicote et contemple son écriture/nombril, croyant y déceler le sceau du génie. Erreur: ce n'est rien que la fausse lumière de l'autosatisfaction pécheresse.
Eh bien, écrivez-lui.
Monsieur,
J'ai pris connaissance avec beaucoup d'intérêt de vos échanges avec le Stalker (avec lequel il m'est arrivé de correspondre).
J'apprécie votre mesure et, pourquoi pas, votre espérance devant des évènements qui provoquent chez beaucoup d'autres des réactions exagérées. Voyez-vous, et sans reprendre la litanie des épisodes sombres qui ont ponctué les cinq derniers siècles, il est toujours surprenant de voir avec quelle insistance l'homme européen "éveillé", par opposition à son double lobotomisé, se réfère au danger existentiel que représente l'islamisme, voire l'islam tout court.
Hormis une belle chevauchée dont l'élan s'épuisa sur les plaines de notre belle Septimanie, pour donner naissance en refluant sur le guadalquivir à l'une des plus belles expériences de société humaine, l'islam ne fut jamais intéressé par les rivages européens. Si vous pensez à la lutte contre Byzance, sachez qu'elle fut d'abord une lutte entre orientaux, Byzance ayant par ailleurs été une puissance impériale dont le joug se faisant sentir en Arabie bien avant la naissance de Mohammed. Il est de régle pour tout empire naissant d'abattre ses prédécesseurs. Par conséquent, le révisionnisme historique actuellement à l'oeuvre me sidère. Si l'Europe est avant tout chrétienne, elle ne l'est que parce qu'elle a décidé l'élimination de ses composantes musulmanes et juives au XVème siècle, sans oublier que nonobstant cette élimination (pour ne pas employer d'autres mots) elle reste, à son corps défendant, de profonde culture gréco-arabe. Ainsi, non seulement l'islam n'a jamais nourri de projet impérial contre l'Europe, mais il aurait très bien pu y prospérer en harmonie avec les autres fois si n'était le fanatisme de "l'éveil chrétien" de l'an mil et des siècles d'après.
Les efforts incessants pour essentialiser les peuples arabes et musulmans, dans les médias ou chez les intellectuels, afiin de convaincre du caractère millénnaire d'une lutte acharnée nous fait doucement rire, nous autres Arabes au fait de notre histoire, et surtout au fait de celle de l'Europe. Ce qui est étonnant, c'est que le terrorisme nihiliste de la jonction XIX / XXème, ou celui des années 1960, bien plus meurtrier que l'actuel, n'a jamais conduit aux remises en causes et aux délires du jour. Tant que les Arabes posaient des bombes ou faisaient sauter des avions au nom du nationalisme, les choses étaient considérées comme normales; maintenant qu'ils les posent au nom d'Allah, la guerre des mondes menacerait-elle? Ne vous rendez-vous pas compte qu'il s'agit de la même chose, et qu'Allah ne fait que remplacer un nationalisme moribond, et d'abord à cause de sa faillite retentissante à améliorer le sort des peuples de la région, aidé en cela par les puissances européennes en 1956 et 1967. Certes, il était difficile à l'époque d'imaginer qu'en ruinant Nasser on posait les premières briques de l'internationale islamiste, et pourtant.
Le nationalisme arabe était également jugé naturel en raison de la situation d'administration directe que vivaient beaucoup de pays. Même s'ils sont désignés comme des "terroristes" les Irakiens poseurs de bombes ne sont jamais taxés "d'atteinte aux valeurs du monde occidental" ou à sa "façon de vivre", après tout ils sont quand même chez eux et un tel argument pourrait prêter à rire. Mais en agissant à l'extérieur de leurs frontières, voire dans les pays de leur naissance, les islamistes modernes sont vus comme de véritables manifestations du Mal absolu, chose qui deviendrait caduque dès l'instant où ces gens choisiraient de se référer à une autre idéologie, comme le marxisme ou bovétisme par exemple. Deux points donc, d'un coté la fin de l'administration directe ne veut pas dire que le but que celle-ci visait n'est pas aujourd'hui atteint par des mécanismes d'administration indirecte plus efficaces (la célèbre "Arab facade" du Foreign Office), les mêmes causes entraînant les mêmes effets sous un packaging différent; de l'autre coté la réaction occidentale en général devant des évènements, dont l'ampleur reste anecdotique devant les pertes humaines et matérielles accumulées par le monde "non blanc" ne serait-ce que sur les 50 dernières années, doit nous amener à constater que l'instillation de la peur et du mépris de l'islam opérée par l'Eglise de l'an mil est toujours fonctionnelle et que l'empathie face à la mort et à la destruction reste, pour l'européen, une affaire de race. Finalement, l'islam et la racialité sont les deux grands impensés (refoulés) de la civilisation européenne, intimement liés d'ailleurs puisque le principe de race apparut d'abord pour les besoins de purification du sang espagnol au lendemain de la (re)conquista (les statuts du sang établis à l'époque ayant été plus contraignants que ceux des Nazis 400 ans plus tard).
Les Arabes et les musulmans n'ont ni la force ni les moyens de participer à une guerre des mondes, ils n'en veulent pas et n'en ont jamais voulu, allant jusqu'à offrir au Hohenstaufen (Frédérik II) un bail de 100 ans sur Jérusalem pour éviter de rééditer l'ignominie des croisades. Ceux qui nous alertent sur son imminence sont d'abord ceux qui la souhaitent ardemment parce qu'ils ne supportent plus l'absurdité de leur existence d'hommes modernes. Des choses profondes sont en effet en cours dans le monde occidental, des renversements qui laissent présager une société étrange, où l'homme risque de perdre le sens même de son humanité. Devant une telle perspective, et pour occulter d'autres évolutions qui concernent surtout la formidable concentration du capital culturel et financier entre les mains d'une infime minorité, il est pratique pour les élites de désigner l'islam comme le nouveau démon du jour, dernier né dans la panoplie de la peur livrée à domicile par voie hertzienne. L'islam connaît les soubresauts d'une civilisation qui se révèle à elle-même, de nouveau, après une léthargie de plusieurs siècles. Cette civilisation doit, au cours du processus, sécrèter des anti-corps destinés à éliminer les dernières chaînes qui l'entravent, celles de l'administration indirecte. Si l'occident décide de ne pas laisser faire, de maintenir ses chaînes et d'insister pour continuer à désigner les détenteurs du pouvoir et de la force dans ces pays, alors nous irons effectivement vers des jours tristes. C'est là le test ultime de la démocratie occidentale, contraindre les élites à renoncer à leurs projets mégalomaniaques ou se laisser embrigader dans un délire impérial qui est, de très loin, le véritable projet nihiliste de notre époque.